Histoire de gâcher un peu plus notre week-end, voici une info sidérante en provenance du Sénat, envoyée par Jérôme Valluy (Université Paris 1), et qui démontre le mépris dans lequel la classe politique tient l’université et la recherche. Si ce texte est adopté définitivement, il ne restera plus qu’à recruter les collègues sur la base d’appartenances politiques locales, des amitiés avec tel ou tel président ou directeur d’établissement, ou bien carrément en mettant en place des tombolas. Après tout, au point où on en est de la perte de sens et de l’absurdité de nos métiers…
Mais Dieu merci, la Sainte inquisition de l’AERES est sauvegardée dans ses fonctions : on voit à quel point il était important d’avoir mis en place des assises de l’enseignement supérieur, participatives et tout et tout (on y croit…), pour restaurer la démocratie, l’écoute et le partage entre les acteurs de terrain et le ministère.
Celles et ceux qui ont soutenu ces politiques de destruction de l’enseignement supérieur et de la recherche, ou celles et ceux qui ont laissé faire sans protester, arrivent-ils/elles encore à se regarder dans une glace le matin ?
Un amendement sidérant, improvisé par les Verts, a été adopté et introduit hier soir au Sénat dans le projet de loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche : la suppression pure et simple de la procédure de qualification nationale par le CNU pour les recrutements et promotions des enseignants-chercheurs : http://www.senat.fr/amendements/2012–2013/660/Amdt_6.html
L’amendement n°6 supprime le premier alinéa de l’actuel article L. 952–6 du code de l’éducation prévoyant “Sauf dispositions contraires des statuts particuliers, la qualification des enseignants-chercheurs est reconnue par une instance nationale.” Ci-dessous le premier extrait des débats, vers 21h30, où l’on voit la complaisante ambiguïté de la rapporteure et surtout de la ministre préférant laissant passer, tout en en ayant pas l’air, mais sans s’exprimer clairement contre, sans doute pour s’assurer du vote global des Verts sur le projet (adopté hier vers 1h du matin) quitte à leur laisser faire n’importe quoi plutôt que de défendre la procédure de qualification.
Le caractère improvisé de l’opération apparaît dans le rejet d’un autre amendement n°7 (cf. ci-dessous deuxième extrait) de mise en cohérence du code de l’éducation. Mais ce rejet concernant des statuts dérogatoires ne réduit pas la portée de la suppression opérée par le précédent amendement.
La commission mixte paritaire est prévue pour mercredi 26 juin 2013 avec 7 députés (4 gauche, 3 opposition) + 7 sénateurs (3 socialistes, 1 Vert, 2 UMP, 1 UDI). Le texte, pour être adopté, devra recueillir 8 voix pour. Les sénateurs écolo et UDI vont être en position de négocier la 8ème voix. En cas d’échec, la loi reprendra le chemin des deux hémicycles pour deuxième lecture à l’AN, où le dépôt d’amendements serait ainsi ré-ouvert (séance éventuelle le 9 juillet) et au Sénat (15 juillet). Si les texte adoptés dans les deux chambres ne sont pas identiques, la loi retournera à l’AN pour décision finale.
En revanche, l’AERES est maintenue (amendement n°24 de suppression rejeté) !!!
Si il reste en l’état, le texte de loi portera un coup fatal à l’évaluation par le CNU des compétences dans chaque discipline scientifique : les petites disciplines en particulier, faibles dans les commissions locales, risquent de voir se multiplier des recrutements locaux décalés par rapport à leurs domaines et de se trouver ainsi laminées par des disciplines voisines plus puissantes dans les jeux de pouvoirs internes aux universités. Cet amendement porte un nouveau coup au caractère national des statuts d’enseignants-chercheurs au profit d’une gestion locale allant dans le sens de la régionalisation en cours du système universitaire français. La qualification par le CNU tant des docteurs, candidats aux postes d’enseignants-chercheurs, que des enseignants-chercheurs, candidats à une promotion, est une procédure d’évaluation indispensable à la qualité du travail dans cette profession : sa suppression risque de servir de prétexte à la réintroduction d’une autre forme d’évaluation, technocratique et non scientifique, aux fins de réductions budgétaires par modulation des services d’enseignement. En l’absence de cette évaluation des recherches et des dossiers de candidatures par le CNU, la propension aux recrutements localistes de candidats plus séduisants par leurs proximités ou dépendances relationnelles que par les mérites de leurs productions et expériences s’aggravera inéluctablement au détriment de la qualité du service public d’enseignement supérieur et de recherche.
Jérôme Valluy — 22 juin 2013, 13h
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Extraits du compte-rendu de séance du 21 juin : http://www.senat.fr/cra/s20130621/s20130621_4.html#par_747——————————————————————
“Mme la présidente. — Amendement n°6, présenté par M. Gattolin et les membres du groupe écologiste.Après l’article 43 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L. 952–6 du code de l’éducation est supprimé.
Mme Corinne Bouchoux. — Les modalités de la qualification sont une originalité française. La procédure est très chronophage, coûteuse et détourne les enseignants-chercheurs de leurs missions premières, la recherche et la formation. Je reprends ici la proposition 126 du rapport Berger. Faisons confiance aux jurys de thèse et supprimons cette procédure.
Mme Dominique Gillot, rapporteure. — La proposition de M. Berger est intéressante mais prématurée ; la concertation n’a pas encore abouti. Retrait ?
Mme Geneviève Fioraso, ministre. — On peine à obtenir le consensus de la communauté scientifique. Le temps n’est pas venu d’installer ce dispositif. Laissons le temps au temps. L’objectif de la loi est avant tout d’apaiser, de rassembler, de remobiliser.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. — Le temps n’est pas venu d’installer ce dispositif ? Il ne s’agit pas d’installer mais de supprimer un dispositif qui pénalise tous les doctorants de France…
L’amendement n°6 est adopté.”
http://www.senat.fr/amendements/2012–2013/660/Amdt_6.html
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ARTICLE 44
Mme la présidente. — Amendement n°7, présenté par M. Gattolin et les membres du groupe écologiste.Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Les mots : « dont la qualification est reconnue par l’instance nationale prévue à l’article L. 952–6 » sont supprimés ;
Mme Corinne Bouchoux. — Amendement de cohérence.
Mme Dominique Gillot, rapporteure. — Je maintiens l’avis défavorable de la commission. La concertation n’est pas mûre pour supprimer la qualification.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. — Même avis.
L’amendement n°7 n’est pas adopté.
http://www.senat.fr/amendements/2012–2013/660/Amdt_7.html
Bonjour,
Il y a un contre-sens au sujet de l’AERES dans le texte que vous recopiez : l’amendement n°24 de suppression qui a été rejeté visait à supprimer l’article qui supprime l’AERES. Donc l’AERES disparaît bien, jusqu’à nouveau rebondissement.
Oui, il y a un contresens dans la référence entre parenthèse : dans l’urgence de l’alerte, j’ai rédigé trop vite… et substitué ultérieurement dans l’envoi du message, la phrase suivante :
En revanche, l’AERES ré-intitulée HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) est maintenue avec pour mission “De s’assurer de la prise en compte, dans les évaluations des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’ensemble des missions qui leur sont assignées par la loi” (art.49–4).
Ce que je voulais dire c’est que la suppression des qualifications au CNU comme mode d’évaluation intelligente dans nos carrières conduirait donc inéluctablement à l’apparition, sous l’égide de l’AERES réformée, d’un autre mode d’évaluation probablement aussi délétère que ceux que nous avons combattus en 2009.
Bien cordialement,
J.Valluy
Mais ça sert à quoi la qualification CNU, pour aboutir à cette situation ?
http://www.voxforte.com/les-sujets.aspx?r=798
Pouvez vous me le dire?
Mohamed
HDR
RSA
Toutes les organisations ou instances représentatives des scientifiques avaient demandé, pour le moins « une remise à plat du Grand emprunt. Quels que furent les problèmes des Assises, il reste que le rapport final reprend cette idée en demandant que les Idex, Labex et autres Ex n’aient plus de « personnalité morale » et s’intègrent au structures normales. En réponse, Gallois reprend mot pour mot ce qu’aurait pu dire Pécresse (2) : « Les 8 IDEX retenues à ce jour, y compris deux projets encore en cours de création (…) , bénéficient d’une dotation en capital dont ils pourront consommer les intérêts. Si au bout de quatre années probatoires, ils sont restés fidèles au projet, cette dotation leur sera acquise. Quant aux LABEX et aux EQUIPEX, les laboratoires d’excellence et les équipements d’excellence, ils ont permis de mettre en place un financement de long terme pour des projets de recherche de niveau mondial ou pour des équipements de pointe qui peinaient à trouver des financements ». Pas un mot de changé ! A l’évidence, au lieu de simplifier le système d’ES‑R, Gallois a décidé qu’on gardait toutes les scories du sarkozisme. Et au-delà de l’ES‑R, il reprend l’idée de la TVA sociale pour financer les 20 milliards du Crédit d’impôt pour la compétitivité.
Sur cette page, il serait utile de signaler que l’amendement a êté refusé en seconde lecture à l’Assemblée Nationale et donc qu’il a disparu de la nouvelle loi.
Et ainsi de mettre fin à des commentaires déplacés sur une pseudo volonté du gouvernement de nuire aux enseignants chercheurs.
Ceci dit le localisme a encore de beaux jours devant lui et le copinage aussi.
signé : un mcf en retraite
Les universitaires ont toujours de très bonnes raisons de défendre leurs institutions. On aimerait qu’ils déploient la même énergie et la même éloquence à protester contre la précarité de tous ces docteurs à qui on a délivré un diplôme tout juste bon à être encadré et accroché sur le mur de leur salon.
La qualification est une aberration endémique à la France. De deux choses l’une : soit le doctorat est une véritable garantie de compétences en matière de recherche (l’article L 612–7 du Code de l’Éducation précise qu’il constitue même une expérience professionnelle dans le domaine de la recherche, qui peut être reconnue par les conventions collectives) et n’importe quel docteur peut légitimement soumettre sa candidature à un poste correspondant à son profil, soit ce doctorat ne vaut rien du tout, auquel cas il faut avoir l’honnêteté et le courage de le reconnaître, et de reconnaître aussi qu’en encourageant à poursuivre sur la voie du doctorat des étudiants qui n’ont rien à y faire, on les trompe effrontément.
S’il y a trop de candidatures, la solution est de revoir à la hausse les compétences scientifiques requises de la part d’un doctorant pour l’obtention de son doctorat. Dans certaines sections, ce ne serait vraiment pas un luxe. Seulement, cela en dissuaderait certains, et cela ferait moins de primes à toucher pour les directeurs de thèse.
Où est la légitimité des jurys de thèse lorsque leurs rapports sont contredits par ceux des membres du CNU ? Où est la légitimité du docteur lorsque son travail est qualifié, de manière lapidaire, de “peu convaincant” ?
Vous invoquez le “copinage” en matière de recrutement, que l’évaluation par une instance nationale permettrait d’éviter. Bien entendu, il est impossible que de telles dérives puissent exister au sein du CNU…
Docteur de la Sorbonne en sciences humaines, parcours sans fautes. Lors de mon passage aux CNU 23 et 24 (deux années consécutives, 2007 et 2008), je suis refoulé malgré mes publications, mon expérience.Je suis né en France, y est grandi, mais lorsque l’on à un nom à consonnance “étrangère”, cela complique encore davantage la tâche.J’ai fais appel et lors de mon audition à la commission d’appel : il y avait dans la salle que les vieux “sages” des différentes sections des sciences humaines mais je n’étais nullement impressionné. Leur conclusion (preuves à l’appui) : Le candidat n’a pas montré assez de motivation pour devenir maître de conférence !!!!!!Tous les lèches bottes que je connaissais à Paris 4 ont eu le petit poste et c’est ainsi que ça fonctionne.IL FAUT DISSOUDRE CETTE “INSTITUTION”, CETTE SUPERCHERIE, QUI N EXISTE NUL PART AILLEURS, QUI SERT A FILTRER ET A NE LAISSER PASSER QUE LES COPAINS ET COPINES.LA GRANDE VERITE (ET TRISTE) EST QUE LE SYSTEME UNIVERSITAIRE FRANCAIS AINSI QUE LA RECHERCHE (CNRS ET COMPAGNIE) INSTITUENT LE CLIENTELISME (C EST UN PEU COMME EN POLITIQUE…). ET CELA DURE DEPUIS TROP LONGTEMPS. IL N Y A PAS DE POSTE POUR TOUT LE MONDE. ON VOUS LAISSE FAIRE UNE THESE MAIS ON NE VOUS DIT PAS QU IL NE FAUDRA PAS ESPERER PAR LA SUITE UN POSTE PUISQU ILS SONT DISTRIBUES AU COMPTE GOUTTE ET PAS A N IMPORTE QUI.MAIS BON J AI ESPOIR CAR TOUT LE SYSTEME EST AUJOURD’HUI A BOUT DE SOUFFLE. UN DE MES ANCIENS PROFS M AVOUAIT QUE LES ETUDIANTS NE LISAIENT MEME PLUS….
OUI POUR LA SUPPRESSION DE CETTE INSTANCE DE COPINAGE, C EST UNE URGENCE !
Vous dites : “La thèse n’est pas et n’a jamais été un diplôme débouchant avec certitude sur un poste, c’est un fait” : EN FRANCE SEULEMENT !!!
Si après tout ce que vous avez lu plus haut vous n’êtes toujours pas convaincu, ma seule réponse sera : non, mon expérience concrète des métiers de la recherche et des recrutement m’a amplement démontré la nécessité de ces filtres et l’importance du CNU. Quant aux règles en matière de délivrance des thèses, elles existent et il n’y a aucun besoin de les reformuler. Simplement, de les appliquer… ce que s’empressent de nous empêcher de faire correctement nos tutelles, qui vont dans le sens de toujours moins d’exigence et de règles.
Mais ceux qui prônent l’abandon de la qualif et qui tirent à boulets rouge sur l’ambulance du CNU seront sans doute bientôt exaucés : le localisme et les recrutement sur la base du clientélisme se substitueront rapidement, par la force des doctrines néo-libérales appliquées à l’université, aux dernières règles reposant sur la collégialité. On verra alors si cela construit une université plus juste et plus démocratique… je suis absolument persuadé du contraire.
Je n’attends aucune reconnaissance de cette instance et il n’y a aucunes contre-vérités dans mes propos, mais vous êtes libre de penser ce que vous voulez, et moi de même. Mais trouvez-vous normal qu’à 2 reprises (deux années consécutives, mon dossier a reçu l’avis favorable des deux professeurs d’université, et les avis défavorables à deux reprises des maîtres de conférence, en principe moins expérimentés ? Puis, à la commission d’appel (car j’ai fait appel), le refus a été justifié par le fait que je n’apparaissais pas suffisamment motivé! (j’ai gardé les rapports de soutenance et de la commission d’appel). Pour information, mes ouvrages (j’en ai déjà publié trois à compte d’éditeur) ont été acquis par les bibliothèques des plus grandes universités américaines et étrangères, et même en France d’ailleurs(Harvard, Stanford,New York, bibliothèque du Congrès, Londres,BNF…), notamment le premier, qui est basé en partie sur mes travaux de thèse. (Parallèlement, j’ai publié plusieurs articles dans des revues internationales à comités de lecture reconnues).
Il y a filtrage évidemment dans tous les pays, mais cela, on le sait déjà, et c’est normal, mais en France, j’ai bien l’impression qu’il est à géométrie variable.
Je nuance mes propos pour finir : Dans les CNU, il y a sans aucun doute des membres dignes de juger de la qualité des dossiers, et d’autres qui, à mon humble avis, n’ont malheureusement rien à faire dans ces instances, et cela contribue à les décrédibiliser ainsi que ce système de filtrage.
Pour revenir à ce qui est essentiel, au-delà de mon expérience personnelle, qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, je vous rejoins sur le fait que les évolutions actuelles nous font craindre le pire pour l’avenir du système universitaire en France. L’université, le monde de la recherche, sont de plus en plus prisonniers d’une logique de gouvernance mondiale orientée par les impératifs du tout économique, du profit. Le réel danger est, comme vous le dites, l’imposition de la doctrine néolibérale à l’université. Cette réalité dépasse la sphère universitaire, car c’est tout le “système monde” que cette logique menace de conduire au gouffre.