Au Maroc, le journaliste d’investigation et militant des droits de l’Homme Omar Radi, harcelé par les autorités marocaines depuis des nombreuses années, a été arrêté le 29 juillet 2020 après de multiples convocations antérieures, pour espionnage, puis pour viol. Il est maintenu en détention provisoire depuis dix mois, et est actuellement gravement malade des suites d’une grève de la faim de 22 jours qu’il a démarrée pour protester contre sa détention.
Soulaiman Raïssouni, éditorialiste et rédacteur en chef du quotidien Akhbar Al Yaoum, le dernier journal indépendant du pays, a également été la cible d’un harcèlement policier et judiciaire notamment depuis sa couverture du soulèvement populaire du Rif en 2017. Il a également été placé en détention provisoire avec une accusation de violences sexuelles. Il poursuit une grève de la faim depuis 51 jours et sa vie est menacée.
Les accusations à caractère sexuel sont désormais des techniques classiques pour décourager les manifestations de soutien envers les journalistes qui défendent des positions militantes au Maroc.
Mais les féministes marocaines ont rédigé un manifeste contre l’instrumentalisation des combats féministes. Un appel des 120 journalistes a été publié et diffusé sur le site des Éditions En Toutes Lettres pour tenter d’obtenir la libération des deux journalistes en détention, dont la vie est désormais en danger, et dénoncer le harcèlement, la diffamation, la détention provisoire dont ils ont été victimes :
De nombreuses organisations, comme Amnesty International, se sont associées à des appels et dénonciations :
À notre tour, en tant qu’enseignant.e.s et chercheur.e.s, nous nous associons à ces appels, nous soutenons sans réserve ces deux journalistes indépendants, menacés, et nous dénonçons l’usage odieux des accusations de viol destinées à salir des intellectuels dont nous saluons les combats et le courage.
L’appel des 120 journalistes reste ouvert et peut être signé en écrivant à appelsahafa21@gmail.com
Joëlle Le Marec, professeure, Sorbonne Université, Directrice du GRIPIC
Igor Babou, professeur, université de Paris, membre du Ladyss (UMR CNRS 7533)
]]>Voici un appel des collègues, étudiants et personnels de l’université de Boğaziçi (Turquie) que nous relayons.
En tant qu’étudiant.e.s, diplômé.e.s, professeur.es, personnel universitaire, et soutiens de l’autonomie des universités, nous disons :
Nous sommes là !
Nous n’acceptons pas, nous ne renonçons pas !
Avec une affectation imposée de recteur, sans recourir à aucune méthode démocratique, la volonté des
membres du corps professoral, du personnel, des étudiants et des diplômés de l’Université de Boğaziçi
(Bosphore) a de nouveau été ignorée.
Nous pensons qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité de défendre l’autonomie académique, la
participation démocratique et les principes de la liberté académique, non seulement pour le bien de notre
université mais pour le bénéfice de l’ensemble de la société et en particulier afin de fournir un
environnement propice à l’éducation aux jeunes générations et de leur laisser un solide héritage
institutionnel.
La violation des valeurs démocratiques et d’autonomie des universités, qui sont des institutions publiques,
n’est autre que la violation des valeurs démocratiques de la société.
Nous souhaitons rappeler à chacun.e nos valeurs fondamentales telles qu’acceptées par notre Sénat de
l’université :
En tant que diplômés de l’Université de Boğaziçi, nous défendons notre université, et déclarons que nous
sommes solidaires de tous les acteur.e.s de l’université et de la société, qui s’efforcent de faire respecter les
principes et les valeurs qui font des universités des universités réelles et accomplies.
Nous suivons non seulement de près ce processus, mais nous y participons également activement. Nous
appelons chacun et chacune, à être solidaire, pour une société et une université libre et démocratique.
Cher.e.s ami.e.s, chèr.e.s professeur.e.s français.e.s,
Nous avons besoin de votre soutien et votre solidarité pour défendre notre université, si vous
partagez ces valeurs universelles et si vous voulez rejoindre à notre lutte pour notre avenir.
Pour que nos amis, dont certains ont été arrêtés et détenus pendant la mobilisation, ne se sentent
pas seul(e)s :
Nous vous invitons à réaliser et nous envoyer une courte vidéo en exprimant votre solidarité avec
l’université de Boğaziçi, l’une des meilleures et prestigieuses d’universités du monde, et la pupille
de notre pays, mais aussi un refuge pour nos ami.e.s LGBTIQ+.
Adresse mail pour vos vidéos : universitebogazicisoutien@gmail.com
ou sur Facebook : Université de Boğaziçi — Soutien
Cette semaine a sans doute été la pire qu’ait vécu l’université française, qui va prendre un virage autoritaire dont les enseignant.e.s, les chercheur.e.s et les étudiant.e.s vont faire les frais.
Tout d’abord, le Sénat vient d’adopter un amendement à la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) qui porte gravement atteinte aux franchises universitaires et à nos libertés de revendication et sans doute d’expression, ainsi qu’aux vôtres. Voici en effet le texte liberticide qui a été adopté :
« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».
Autrement-dit, tous les collègues et étudiant.e.s que je connais depuis 25 ans que je fais ce métier, sont maintenant passibles de prison (entre 1 an et 5 ans) et d’amendes (de 7500 euros à 45000 euros) si nous faisons maintenant ce que nous avions toujours fait, à savoir exercer notre capacité de jugement critique en protestant dans nos lieux de travail quand nous estimons qu’une mesure ou une action est illégitime.
Voir ici les éléments factuels et l’analyse : https://academia.hypotheses.org/28160 voir aussi : https://universiteouverte.org/2020/11/10/luniversite-en-taule/
En parallèle, les règles de recrutement des enseignant.e.s chercheur.e.s titulaires de l’université ont changé, là aussi pour le pire, puisque le CNU (Conseil national des universités) qui était une garantie de collégialité contre les dérives localistes et les recrutements de complaisance, est maintenant dessaisi de sa fonction d’évaluation des dossiers de qualification (l’étape préalable aux concours sur des postes d’enseignants-chercheur). La ministre de l’enseignement supérieur a en effet validé l’amendement sénatorial voté par LREM et LR en commission mixte paritaire qui permet de déroger aux qualifications par le CNU pour les recrutements universitaires. En tant que membre du CNU de ma discipline, je considère que cet amendement est inacceptable.
De plus, la programmation budgétaire votée par la représentation nationale, s’est appuyée sur des données qui ont été considérées comme fausses et insincères par de nombreux collègues, et va entériner un état de précarité sans précédent dans la recherche française. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est en effet en baisse de 175,9 millions € en 2021. Voir ici les éléments factuels : http://rogueesr.fr/20201026/
Voir également ici pour la position de la Commission permanente du Conseil National des Universités, qui n’est pas particulièrement connue pour être un groupuscule gauchiste, mais qui demande carrément la démission de la ministre : https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2020/11/08/frederique-vidal-ne-dispose-plus-de-la-legitimite-necessaire-pour-agir-en-faveur-de-l-universite_1804958
Il faut ajouter à ce tableau guère brillant les attaques publiques des sciences humaines et sociales et de leur travail de déconstruction critique par le ministre de l’éducation nationale (voir ici : https://academia.hypotheses.org/27287), ainsi les conflits d’intérêt lors de la nomination du président du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Enfin, il faut ajouter à cet ensemble désastreux pour la démocratie les atteintes à la liberté de la presse (notamment l’interdiction programmée de photographier ou de filmer les visages des policiers, ce qui fera de la France un pays plus répressif que la Chine dans ce domaine), et les violences policières qui s’exercent là aussi de manière systématique, disproportionnée et injustifiée sur les élèves de lycées en ce moment-même. Il semble donc que le virage répressif et autoritaire de la France s’accentue dans des proportions et à une vitesse vertigineuses.
Ne rien faire et ne rien dire, ne pas protester, c’est collaborer à cette dérive autoritaire qui est en train de s’installer dans le pays et qui ne peut que nous conduire à la catastrophe.
En conséquence, un appel à la grève vient d’être lancé à l’initiative de plusieurs organisations d’enseignants chercheurs et d’étudiant.e.s, dont Université Ouverte, Rogue ESR, Facs et labos en lutte et Sauvons l’Université.
C’est pourquoi mon écran restera noir à partir de ce soir et mes cours sont donc annulés du 13 au 17 novembre.
Une assemblée générale est organisée en ligne demain à 12h : https://www.facebook.com/events/685882975692845
Je copie colle ci-dessous le communiqué de Rogue ESR.
Soutenir la CP-CNU dans son appel à la démission de Mme Vidal:
]]>
Pour empêcher les recrutements d’être placés sous le contrôle des présidences:
Opération « Écrans noirs » dans toutes les universités du vendredi 13 au mardi 17 novembreNous sommes nombreux à être indignés par le contenu et les conditions d’adoption, en commission mixte paritaire, du projet de Loi de programmation de la recherche (LPR). La suppression de la qualification par le CNU, la création d’un nouveau délit de « trouble à la tranquillité et d’atteinte au bon ordre des établissements » et la poursuite d’une programmation budgétaire indigente et d’une précarisation accrue des emplois dans l’enseignement supérieur et la recherche nous semblent devoir appeler une réaction collective forte de toute la communauté universitaire et de toutes nos instances locales et nationales.
Nous proposons que les bureaux de toutes les sections du CNU, que les membres des conseils centraux des établissements et des conseils de composantes et de laboratoires, que les sociétés savantes, que les associations professionnelles, les collectifs et les organisations syndicales appellent l’ensemble des personnels à éteindre leurs écrans et à entrer en grève du vendredi 13 au mardi 17 novembre, date de l’adoption de la loi par l’Assemblée Nationale. Cette grève pourrait éventuellement être prolongée jusqu’au vote final au Sénat.
Dans cette période très dure pour les étudiantes et les étudiants, nous appelons par la suite à ne plus faire que notre métier — produire, transmettre, critiquer et conserver les savoirs — de sorte à leur accorder toute l’attention nécessaire. Nous appelons en conséquence à arrêter jusqu’à nouvel ordre toute contribution à des jurys de concours de la fonction publique, à des jurys de concours de grandes écoles, à des jurys de baccalauréat, à des jurys d’évaluation et plus généralement à toutes les instances pour lesquelles nous sommes en permanence sollicités.
Facs et labos en lutte / RogueESR / Sauvons l’Université / Université Ouverte———————–
RogueESR est un collectif de membres de la communauté académique. Il rassemble celles et ceux qui font vivre ses institutions au quotidien, et qui souhaitent défendre un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvert à toutes et tous.
Contact : contact@rogueesr.fr
Twitter : @rogueesr
Site: http://rogueesr.fr
J’ai signé avec plus de 2000 collègues universitaires, doctorant.e.s et étudiant.e.s une tribune dans Le Monde en réponse au manifeste des 100 réactionnaires qui appelaient à la mise en place d’une police de la pensée à l’université. Les temps sombres sont donc revenus : ceux où il faut se battre à nouveau pour la liberté de mener des recherches, d’en débattre et de les publier sans censure politique en France. Le pire étant qu’il faut se battre y compris contre ses propres collègues : une signataire du “manifeste des 100”, littéraire distinguée, fait partie de mon UFR… Des collègues qui, au lieu d’argumenter et de se documenter sur des travaux qu’il n’ont visiblement pas lus ou en tout cas pas compris, adhèrent à la sinistre propagande et au lexique de l’extrême droite et semblent souhaiter le retour des autodafés… Comme la tribune que nous avons signée n’est accessible qu’aux abonné.e.s du Monde, je la recopie intégralement plus bas. L’enjeu est suffisamment important pour qu’on laisse chacun.e juger sur pièce des arguments échangés.
Cette tribune rejoint à sa manière les diverses tribunes de collègues et d’étudiant.e.s publiées récemment en réponse aux propos calomnieux proférés par Jean-Michel Blanquer à propos de l’université, et également aux récentes et inadmissibles attaques du Sénat contre les libertés académiques :
http://rogueesr.fr/lettre-ouverte-lpr/
https://blogs.mediapart.fr/fanny-monbeig/blog/311020/pas-en-mon-nom
Pas de doute : c’est bien une droite extrême radicalisée que nous avons actuellement au pouvoir, et si nous la laissons faire, elle plongera le pays dans un totalitarisme d’autant plus violent et arbitraire qu’il se présente en col blanc et qu’il s’accompagne d’un déluge écœurant de propagande médiatique.
Voici le texte de la tribune publiée dans Le Monde :
]]>Nous avons lu le texte désolant intitulé « manifeste des cent ». Nous savons bien que nous ne convaincrons pas ses signataires : nous pourrions donc les laisser dire et les laisser faire. Cependant, leur appel à la police de la pensée dans les universités ne saurait rester sans réaction. Pas davantage que leur vocabulaire emprunté à l’extrême droite, après Jean-Michel Blanquer et son recours au registre de la « gangrène ».
« Islamo-gauchisme », puisque telle est l’insulte agitée pour tout argument, nous rappelle d’autres injures, à l’instar de « judéo-bolchevisme » : des temps sombres et des anathèmes auxquels nous refusons de céder.
Les universitaires auteurs de ce texte devraient le savoir : il ne suffit pas de brandir des mots disqualifiants, comme « doxa » ou « prêchi-prêcha », à la place d’un argumentaire. Parce que ces mots risquent fort, alors, de se retourner contre leurs signataires. Mieux vaut donc utiliser avec prudence les accusations de « conformisme intellectuel », de « peur » et de « politiquement correct » : elles pourraient bien s’appliquer à ceux et celles qui les émettent.Au fond, une seule « thèse » est ici avancée : un courant d’étude et de pensée se développerait dans les universités, qui nourrirait « une haine des “Blancs’’ et de la France ». Une telle affirmation est sidérante. En quoi l’étude des identités multiples et croisées, des oppressions et des combats pour l’émancipation conduirait-elle à de tels sentiments ?
Nous connaissons l’histoire de France dans toute sa diversité. On y trouve des engagements pour l’émancipation, l’égalité et le droit ; on y trouve aussi des horreurs, violence coloniale, violence sociale et formes terribles de répression. Mais rien qui en fasse une « essence ».
Une autre accusation grave vient du mot « racialiste » censé définir l’« idéologie » prétendument diffusée dans les universités. L’approche ici visée, parce qu’elle examine entre autres le poids des oppressions sociales, sexistes, et racistes, serait « racialiste ». L’épithète est infâme : elle désigne des pensées et régimes racistes qui se fondent sur une supposée hiérarchie des races. Les signataires le savent pourtant très bien : l’approche sociologique et critique des questions raciales, tout comme les approches intersectionnelles si souvent attaquées, en mettant au jour ces oppressions, entend au contraire les combattre.
Il est encore un stigmate distillé dans ce texte : cette approche viendrait des « campus nord-américains ». Cette « accusation » prêterait à sourire si elle ne sous-entendait pas que toute forme de réflexion s’inspirant et se nourrissant d’ailleurs serait par principe suspecte. De surcroît, cette manière d’étudier les sociétés émane de tous les continents – et tout autant d’ailleurs de l’ensemble du continent américain et des Caraïbes. C’est réjouissant.Le « Manifeste des cent » propose deux choses : fustiger tout un courant d’analyse des sociétés qui devrait être combattu et traqué ; exiger une instance de contrôle pour la défense des libertés académiques. Ses signataires ne paraissent pas percevoir à quel point ces propositions sont contradictoires : combien les libertés sont précisément foulées au pied lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée. Chercher à censurer l’expression de ce travail est non seulement inacceptable ; cela avilit aussi les principes que dit défendre l’« appel des cent » : la république et la liberté.Il est consternant qu’à l’heure du deuil face à des attentats terroristes, à l’heure des rappels sur la liberté d’expression, des universitaires s’emparent d’assassinats abjects pour régler leurs comptes et accuser leurs collègues de complicité. C’est indigne de la situation.Nous continuerons de défendre la place d’une approche ouverte, critique et tolérante, une transmissiondes savoirs fondée sur l’émancipation et la dignité, comme une contribution salutaire face à la violence et la haine.
La Tribune : ”
atteint le 11 septembre 2020 les 125 signataires, scientifiques, universitaires et professionnels de santé y critique la gesticulation et la posture protectrice du gouvernement. Celles-ci divisent et infantilisent les citoyens, portent atteinte à leurs droits fondamentaux sans que les mesures autoritaires, disparates et souvent liberticides ne relève d’une stratégie sanitaire précise. Pour suivre cette pétition, voir la page Médiapart de Laurent Muchielli, l’un de ses initiateurs: https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/110920/covid-nous-ne-voulons-plus-etre-gouvernes-par-la-peur
Nous, scientifiques et universitaires de toutes disciplines, et professionnels de santé, exerçant notre libre arbitre et notre liberté d’expression, disons que nous ne voulons plus être gouvernés par et dans la peur. La société française est actuellement en tension, beaucoup de citoyens s’affolent ou au contraire se moquent des consignes, et nombre de décideurs paniquent. Il est urgent de changer de cap.
Nous ne sommes pas en guerre mais confrontés à une épidémie qui a causé 30 décès le 9 septembre, contre 1 438 le 14 avril. La situation n’est donc plus du tout la même qu’il y a 5 mois. Par ailleurs, si la guerre peut parfois justifier un état d’urgence et des restrictions exceptionnelles de l’Etat de droit et des libertés publiques qui fondent la démocratie et la République, ce n’est pas le cas d’une épidémie. Aujourd’hui comme hier, cette crise doit nous unir et nous responsabiliser, pas nous diviser ni nous soumettre.
C’est pourquoi nous appelons les autorités politiques et sanitaires françaises à cesser d’insuffler la peur à travers une communication anxiogène qui exagère systématiquement les dangers sans en expliquer les causes et les mécanismes. Il ne faut pas confondre la responsabilisation éclairée avec la culpabilisation moralisatrice, ni l’éducation citoyenne avec l’infantilisation. Nous appelons également l’ensemble des journalistes à ne plus relayer sans distance une communication qui est devenue contre-productive : la majorité de nos concitoyens ne fait plus confiance aux discours officiels, les complotismes en tous genres foisonnent sur les réseaux sociaux et les extrémismes en profitent.
Le confinement général, mesure inédite dans notre histoire, a eu des conséquences individuelles, économiques et sociales parfois terribles qui sont loin de s’être encore toutes manifestées et d’avoir été toutes évaluées. Laisser planer la menace de son renouvellement n’est pas responsable.
Il faut évidemment protéger les plus faibles. Mais de même que l’imposition du port du masque dans la rue, y compris dans les régions où le virus ne circule pas, l’efficacité du confinement n’est pas démontrée scientifiquement. Ces mesures générales et uniformes, imposées sous surveillance policière, relèvent davantage d’une volonté d’afficher une posture protectrice que d’une stratégie sanitaire précise. D’où leur grande volatilité depuis six mois. Beaucoup d’autres pays agissent avec plus de cohérence. Une coordination européenne serait nécessaire.
Nous appelons également le gouvernement à ne pas instrumentaliser la science. La science a pour condition sine qua non la transparence, le pluralisme, le débat contradictoire, la connaissance précise des données et l’absence de conflits d’intérêts. Le Conseil Scientifique du Covid-19 ne respectant pas l’ensemble de ces critères, il devrait être refondé ou supprimé.
Nous rappelons par ailleurs que les premiers à soigner les malades sont les médecins généralistes. Les écarter de la lutte contre le Covid, en ne leur fournissant ni tests ni masques et en suspendant leur liberté de prescrire les médicaments autorisés de leur choix a constitué une erreur qui ne doit pas se reproduire. L’ensemble des soignants doit au contraire être mobilisé, équipé et solidarisé afin d’améliorer nos capacités de réaction et non les restreindre.
Enfin, les impératifs de protection contre la contagion ne doivent pas conduire à trahir l’éthique médicale et les principes humanistes fondamentaux. Isoler les malades et protéger les personnes à risque ne veut pas dire les priver de tous droits et de toute vie sociale. Trop de personnes âgées sont décédées et se dégradent encore actuellement dans un abandon motivé par des motifs sanitaires non justifiés. Trop de familles souffrent de ne pouvoir leur apporter l’affection indispensable à leur bonheur et à leur santé.
Il est urgent de nous remettre à penser ensemble pour définir démocratiquement nos stratégies sanitaires, redonner de la confiance à nos concitoyens et de l’avenir à notre jeunesse.
Les 105 premiers signataires
Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université de Paris
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS
Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’Université de Bordeaux
Gilles Boeuf, professeur de biologie à Paris-Sorbonne Université
Pierre-Henri Gouyon, professeur de biologie au Muséum National d’Histoire Naturelle
Jean Roudier, professeur de rhumatologie à l’Université d’Aix-Marseille
Louis Fouché, médecin, anesthésiste réanimateur à l’Hôpital de la Conception
Olivier de Soyres, médecin, réanimateur à la clinique des Cèdres
Christophe Lançon, professeur de psychiatrie à l’Université d’Aix-Marseille
Laurent Toubiana, épidémiologiste à l’INSERM
Mylène Weill, biologiste, directrice de recherche au CNRS
Anne Atlan, généticienne des populations et sociologue, directrice de recherche au CNRS
Bernard Swynghedauw, biologiste, directeur de recherche émérite à l’INSERM
Marc-André Selosse, professeur de microbiologie au Muséum National d’Histoire Naturelle
Jean-Louis Thillier, médecin, immunopathologiste
Jean-François Lesgards, biochimiste, chercheur au CNRS
Alexandra Menant, biologiste, chercheuse au CNRS
André Comte-Sponville, philosophe
François Gastaud, Chirurgien Orthopédiste à Strasbourg
Éric Desmons, professeur de droit public à l’Université Sorbonne Paris Nord
Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’Université de Bourgogne Franche-Comté
Charalambos Apostolidis, professeur de droit public à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté
Nicolas Sembel, professeur de sociologie à l’Université d’Aix-Marseille
Dominique Crozat, professeur de géographie à l’Université de Montpellier
Marnix Dressen-Vagne, professeur de sociologie à l’Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Thomas Hippler, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Caen Normandie
Nicolas Leblond, maître de conférences en droit à l’Université Polytechnique Hauts-de-France
Dominique Labbé, politiste, enseignant émérite à l’Université de Grenoble-Alpes
Arnaud Rey, chercheur en psychologie au CNRS
Mathias Delori, politiste, chercheur au CNRS
Jacques Tassin, écologue, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
Sylvie Gourlet-Fleury, écologue, chercheuse au CIRAD
Emmanuelle Sultan, docteur en océanographie physique, ingénieure de recherche au Muséum National d’Histoire Naturelle
Christophe Leroy, biologiste, docteur en biologie moléculaire et cellulaire
Bernard Dugué, docteur en pharmacologie, docteur en philosophie
Yannick Gottwalles, chef du pôle Urgences des hôpitaux civils de Colmar
Hélène Banoun, docteur en pharmacologie, ancien chercheur à l’INSERM
Pierre-Yves Santiago, chirurgien à l’Institut Ophtalmologique de l’Ouest Jules Verne
Morgane Miègeville, cadre de santé, responsable pédagogique AP-HP
Colette Nordmann, Médecin du Sport
Franklin Joulie, chirurgien, Nantes
Christian Perronne, infectiologue, professeur à l’Université de Versailles Saint Quentin — Paris Saclay
Charles Menard, médecin, psychiatre
Arnauld Cabelguenne, docteur en pharmacologie
Marie-Claire Cabelguenne, pharmacienne
Franck Enjolras, psychiatre et anthropologue, chercheur à l’EHESS
Denis Agret, médecin urgentiste et santé publique
Guillaume Barucq, médecin généraliste (Biarritz)
Stéphane Tessier, médecin de santé publique
Alain Le Hyaric, médecin hospitalier à la retraite
Malika Balduyck, maître de conférences en biochimie et praticien hospitalier au CHU de Lille
Marie Laure Cadart, médecin et anthropologue
Yann Jacob, psychologue
Nicole Vernazza-Licht, anthropologue de la santé, chercheuse associée au CNRS
Grégoire Millet, physiologiste, professeur à l’Université de Lausanne
Agnès Florin, professeur émérite de psychologie à l’Université de Nantes
Daniel Bley, anthropologue biologiste, directeur de recherche émérite au CNRS
Bernard Gaillard, psychologue, professeur émérite à l’Université de Rennes 2
Soizic Noël-Bourgois, docteur en ethno-anthropologie, infirmière, membre de l’Académie des Sciences Infirmières
Farhad Khosrokhavar, professeur émérite à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales
Jean-François Dhôte, forestier, directeur de recherches à l’INRAE
Richard Frackowiak, neurologue, professeur émérite à l’University College of London
Serge Dufoulon, professeur de sociologie à l’Université Grenoble Alpes
Michel Koebel, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg
Rémy Marchal, professeur des universités à l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers
Jean-François Bayart, professeur de science politique à l’IHEID
Marie-José Minassian, philosophe, enseignante émérite à l’Université Paris 8
Dominique Pécaud, professeur de sociologie à l’Université de Nantes
Frédéric Barbe, maître de conférences à l’École Nationale Supérieure d’Architecture
Christopher Pollmann, professeur de droit public à l’Université de Lorraine
Pascal Roman, professeur de psychologie à l’Université de Lausanne
Olivier Esteves, professeur de civilisation anglaise à l’Université de Lille
Dan Ferrand-Bechmann, professeure honoraire de sociologie à l’Université Paris 8
Didier Blanc, professeur de droit public à l’Université de Toulouse
Dominique Glaymann, professeur de sociologie à l’Université d’Evry – Paris Saclay
Bernadette Aubert, maître de conférences en droit à l’Université de Poitiers
Fabrice Flipo, professeur de philosophie à l’Institut Mines-Telecom BS
Pierre-Cyrille Hautcoeur, économiste et historien, directeur d’études à l’EHESS
Maryse Esterle, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université d’Artois
Christophe Dargere, sociologue, chercheur associé au Centre Max Weber
Anouk Guiné, professeur à l’Université Le Havre Normandie
Guy Chapouillié, professeur émérite à l’École Nationale Supérieure de l’Audio-Visuel de l’Université de Toulouse
Didier Bigo, professeur de sociologie à Sciences-Po Paris
Claude Gautier, professeur de philosophie à l’École Normale Supérieure de Lyon
Stéphane Cantéro, magistrat, enseignant à l’Université de Rennes 1
James Masy, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de Rennes 2
Olivier Jean-Marie Chantraine, professeur émérite de sciences de l’information et la communication à l’Université de Lille
Claire Neirinck, professeur de droit émérite à l’Université de Toulouse 1
Mathieu Dubois, professeur d’histoire à l’université de Nantes
Marc Roux, professeur honoraire de Zootechnie à l’AgroSup Dijon
Jérôme Reynier, docteur en psychologie sociale, enseignant dans le secondaire
Christian Palloix, professeur émérite d’économie à l’Université de Picardie Jules Verne
Arlette Bourcier-Mucchielli, psychologue, professeur honoraire à l’Université de Nice
Christophe Lemardelé, docteur en histoire des religions, chercheur associé au CNRS
Lucie Jouvet Legrand, socio-anthropologue, Maîtresse de conférences à l’Université de Franche-Comté
Michelle Zancarini-Fournel, historienne, professeur émérite à l’Université de Lyon
Jean-Luc Viaux, professeur émérite de psychologie à l’Université de Rouen
Thomas Meunier, chercheur associé au Woods Hole Oceanographic Institution
André Cayol, enseignant-chercheur émérite à l’Université de Technologie de Compiègne
Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue
Dominique Géraud-Coulon, médecin rééducateur
Alexandra Henrion Caude, généticienne, ancienne directrice de recherche à l’Inserm
Tamara Baron, psychologue en milieu pénitentiaire
Bruno Péquignot, professeur émérite de sociologie à l’Université Paris Sorbonne Nouvelle
Colette Anné, mathématicienne, Chargée de Recherche (CRHC) du CNRS
Jean-Michel de Chaisemartin, psychiatre des hôpitaux honoraire
Pascal Lardellier, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne
Michel David, psychiatre des hôpitaux
Michel Claessens, professeur de communication scientifique, Commission européenne et Université Libre de Bruxelles
Marta Barreda Gonzalez, médecin généraliste, spécialiste en santé publique
Laurent Brunaud, professeur de chirurgie viscérale et digestive au CHRU de Nancy
Pascal Mensah, médecin généraliste
Thierry Medynski, médecin généraliste
Sylvie Laval, psychiatre, Rhône
Mathilde Hautereau-Boutonnet, professeur de droit à Aix-Marseille Université
Jean-Pierre Letourneur, médecin, hepatogastroenterologue
Bénédicte Helfer, médecin, Risques sanitaires majeurs et gestion de crise
Jean-Luc Stanek, Santé Navale et chirurgien-dentiste
Anny Combrichon, psychiatre psychanalyste, Lyon
Simon Postec, docteur en Mathématique, professeur à l’Institut National des Sciences Appliquées de Rennes
Laurent Sedel, médecin, ancien chef de service en orthopédie à l’hôpital Lariboisière
Jean-Jacques Coulon, médecin généraliste et urgentiste, Bourges
Pierre Concialdi, chercheur en sciences sociales
Xavier Pin, professeur de droit pénal à l’université Jean Moulin Lyon III
Thierry Desjardins, pédologue, chercheur à L’institut de Recherche pour le Développement (IRD)
Nicole Chaudière, pharmacienne
]]>Le déconfinement a commencé mais quelque chose d’essentiel est en train de manquer. Nous avons ressenti collectivement notre fragilité et nous avons éprouvé, toutes et tous, la reconnaissance due à celles et ceux qui ont pris soin de nos vies pendant toute la période du confinement.
Cette dette partagée a rendu tolérable l’écart insupportable entre celles et ceux dont le rôle était de rester confiné.e.s pour éviter la propagation du Covid 19, et celles et ceux qui s’exposaient pour soigner et maintenir les vies en danger. Elle rendait également désirable et nécessaire la perspective, après le danger, d’une place centrale au souci d’autrui, enfin reconnu, essentiel, pour aller vers une société structurée par les interdépendances.
Nous avons applaudi en sachant bien que cela n’était pas suffisant, car nous projetions dans ce geste un début d’autre chose, un soutien plus engagé dans les luttes menées depuis des mois par les personnels de l’hôpital public qui se sont retrouvés face à des situations insupportables.
Nous avons lu et écouté les chiffres quotidiens, nombre de cas, nombre de victimes, en essayant de réparer le gouffre entre ce qui était une donnée statistique pour les uns et une perte irrémédiable pour les autres, privé de contacts avec leurs proches.
Pendant des semaines, des milliers de personnes ont pris des risques pour les autres, elles n’ont pas été protégées ou si peu. Pendant des semaines des dizaines de milliers de personnes sont mortes, elles ont été privées d’hommage, de funérailles. Ce sont les soignant.e.s qui ont assumé les derniers moments, ce sont elles et eux qui les ont vu mourir.
Les applaudissements se raréfient, le nombre de cas diminue en dépit du nombre toujours très élevé de victimes. Les discours politiques et médiatiques se sont déportés vers la reprise des activités. Nous sortons dans les rues, nous travaillons, le management sort de son trou. Nous nous retrouvons mais nous sommes privés de liberté.
Une inquiétude sourde, vive, collective, nous travaille. Nous sommes tenaillés par l’indignité d’une indifférence possible à ce qui aura été vécu si différemment par les un.e.s et es autres, d’un oubli rapide du nécessaire partage de la dette, des dons, du chagrin, des pertes.
Beaucoup d’entre nous sont parents et/ou enfants de soignants. Certains ont perdu des parents, des proches, des amis. Nous sommes tous collectivement les proches de ceux qui ont pris soin de nous, et nous avons tous perdu collectivement les milliers victimes dont les noms et les visages ne sont pratiquement jamais apparus dans nos médias.
Toute société vivante chérit ses jeunes prend soin de ses aînés, pleure ses morts. Nous ne pouvons supporter de voir à ce point abimés les principes d’une société décente. Mais les rares rassemblements sont interdits et réprimés dans la violence par la police.
Nous exigeons de la part de notre gouvernement qu’il en finisse avec la démagogie et la brutalité infligée l’hôpital public, qu’il reconnaisse sa dette à l’égard de la population qui a fait face, qu’il garantisse des conditions de travail et d’étude décentes, un minimum de respect face à l’ampleur de ce qui est fait et subi.
Nous exigeons également de pouvoir nous réunir, toutes celles et tous ceux qui le souhaitent, lors d’une journée d’expression collective de notre gratitude, de notre tristesse, de nos aspirations. Nous souhaitons que cette journée soit l’occasion, enfin, de reconnaître et éprouver l’importance majeure des solidarités qui nous font vivre.
Nous demandons aussi à la justice qu’elle veille sur la population, la protège, fasse droit aux demandes de justice et à celles et ceux qui se tournent vers elle, rétablisse le sens des responsabilités, fasse respecter les libertés.
Une tribune initialement publiée dans Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/collectifs-solidarite-pandemie-paris-banlieue/blog/080520/pandemie-et-solidarites-associations-et-collectifs-citoyens-bout
Nous nous adressons à vous, au public, mais aussi à celles et ceux qui, par leur position dans les institutions, dans le monde de la culture, de l’art, de la science ou de l’éducation ont quelque pouvoir de décision, quelque capacité à réagir, et à exercer une pression sur les pouvoirs publics. Car pendant la pandémie virale ils se déchargent de leurs missions de solidarité sur un monde associatif ou sur des collectifs citoyens à bout de souffle.
Des personnes vivent en enfer dans notre pays. Harcelées par la police, malades par manque de soins, sombrant dans la dépression et se suicidant parfois, elles sont chassées et ballottées quotidiennement entre Paris et sa banlieue. Indésirables partout, elles errent, faisant des kilomètres sans trouver refuge. Sans savon pour appliquer les « gestes barrières » entre elles, ni avec le reste de la population. Sans points d’eau ni sanitaires. Il suffirait pourtant d’un effort minime des pouvoirs publics pour sauver des vies humaines, un effort minuscule par rapport aux dizaines de milliards d’euros débloqués, durant le confinement, pour soutenir l’activité de groupes industriels pourtant puissants.
On attendrait au moins que l’État ne menace pas la vie de gens qui ont tout perdu. Pourtant, les salaires de nombreux fonctionnaires de police sont dépensés pour harceler des enfants et adolescents à la rue, forcés de se regrouper dans des lieux où ils sont au contact des dealers de crack. Des enfants non pas rassurés, mais terrifiés lorsqu’ils rencontrent les forces de l’ordre. On ne peut qu’être glacés de voir la force publique utilisée pour détruire les tentes et les rares possessions de personnes démunies, ou pour verbaliser les gens qui leur viennent en aide.
Le monde associatif et des collectifs informels tentent de soulager l’enfer que vivent les milliers de sans-abri en île de France, privés de droits, de soins, d’eau, de nourriture, d’informations. 42000 personnes sont prises en charge chaque soir dans les hôtels sociaux d’Île-de-France d’après les chiffres de la mairie de Paris. Et les chiffres manquent pour ceux qui sont à la rue, mais on estime à 40 le nombre de nourrissons qui dorment dehors sous la seule protection de leur mère. Quant aux Centres d’Hébergement d’Urgence, ils ont reçu la consigne de maintenir la trêve hivernale pour respecter le confinement, mais aucun budget ne leur a été attribué pour répondre aux besoins des familles qui y sont entassées.
Évidemment, il y a des morts, mais ils ne sont pas même comptés. La banalité du mal s’est instillée aujourd’hui dans notre quotidien. Ce sont des solidarités quasi-clandestines qui sauvent.
Et nous qui écrivons, qui sommes-nous ? Nous sommes sur le terrain ou en contact avec le monde des associations, des collectifs citoyens ou des squats. Dans le contexte du confinement, nous sommes admiratifs de l’énergie, du courage et de l’intelligence qui sont mobilisés par ces personnes pour aider des jeunes migrants isolés, des familles, des sans domiciles fixes, des réfugiés, des jeunes mères à la rue avec leur bébé.
D’après les témoignages et observations recueillis, on constate une évolution du mécanisme d’aide aux plus démunis à Paris et en Île de France. Des associations et des ONG subventionnées par l’État ou les collectivités territoriales assurent depuis longtemps les fonctions de solidarité que les pouvoirs publics leur délèguent. Mais de nouveaux besoins ont émergé avec la pandémie, et ces associations prestataires se tournent alors vers des collectifs informels et des associations non subventionnées. Ces collectifs solidaires souvent très ancrés localement prennent le relai des associations et des ONG pour des distributions alimentaires destinées à des adultes et des nouveaux nés, et pour maintenir un accès aux soins et un suivi administratif des populations les plus fragilisées. Signalons que l’AP-HP fait également appel à ces associations et collectifs tant il manque lui-même de tout. Et il y trouve non seulement de l’énergie, mais aussi des compétences : certaines des personnes interrogées travaillent dans le secteur hospitalier ou dans les services sociaux. Enfin, on trouve aussi des autonomes qui assurent la survie de sans-abris, de Rroms, de migrants, etc.
Ce secteur fonctionne sur la base du bénévolat, et les personnes déclarent une grosse charge de travail qui met en péril leur vie professionnelle et parfois personnelle. Les personnes que nous avons interrogées assurent par exemple la distribution d’un millier de repas chaque semaine dans les quartiers du nord parisien (collectif Solidarité migrants Wilson), ou encore elles distribuent plus de 160 petits bagages par mois avec tout le nécessaire pour l’arrivée du bébé des mamans en grande précarité, dans Paris et sa banlieue (association Un petit bagage d’amour, qui constate une augmentation importante des demandes depuis le début de la crise sanitaire), ou encore elles fournissent des repas pour 300 familles livrées une à deux fois par quinzaine (collectif Solid 19 de Patin, qui regroupe des habitants et associations locales). Elles s’organisent également pour trouver chaque jour des hébergements d’urgence et de la nourriture à des dizaines de personnes sans abri que le Samu social ne prend pas en charge (collectif Les midis du Mie), et elles doivent en plus gérer les inquiétudes des hébergeurs en période de confinement, favoriser l’accès à l’information et au droit pour les hébergés, sans oublier de rechercher des financements privés.
Ce secteur associatif ou citoyen, confronté à la pandémie et au harcèlement policier, est lui-aussi à bout et dépend d’une logistique et de réseaux qui sont fournis par des squats, des collectifs sur lesquelles tous comptent aujourd’hui mais qui doivent eux-mêmes lutter pour se maintenir.
L’un de ces squats est le terrain d’enquête de l’un d’entre nous depuis deux ans (le Laboratoire Écologique Zéro déchet de Pantin). Sans le bâtiment désaffecté qu’il a ouvert, et qui sans cela serait resté vide et gardienné à grand frais par les pouvoirs publics, les associations et collectifs auraient encore plus de mal à travailler. Par exemple, une association est hébergée par l’église St Sulpice qui a fermé à cause du confinement. C’est grâce au squat de Pantin qu’elle a pu maintenir son activité et que d’autres ont pu bénéficier d’un lieu de collecte, de distribution et de stockage.
Ce processus accompagne la destruction soigneusement organisée des services publics par l’État et les collectivités territoriales. On compte aujourd’hui sur la décence ordinaire, la dignité, le courage d’agir et les compétences de personnes ou de collectifs souvent précarisés eux-mêmes. Mais tout cela entre dans une forme de clandestinité, dans l’invisibilité institutionnelle et médiatique. L’usage du numérique par les institutions, d’après certains de nos interlocuteurs, ajoute encore aux problèmes et à l’invisibilité des populations n’ayant pas accès à internet.
La vie de réfugiés, d’enfants, de familles subissant l’enfer, disparait des radars de l’action publique. Elle échappe parfois au secteur associatif qui se tourne alors vers des collectifs et personnes aidantes qui assument les valeurs de la démocratie et des principes humanistes, mais qui sont harcelés et maltraités. Nous ne pouvons supporter qu’il en soit ainsi. Nous voulons que la situation apparaisse en pleine lumière telle qu’elle est, c’est-à-dire comme une menace directe pour la dignité et les droits humains, et pour la démocratie.
Signataires
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Nous, enseignant.e.s‑chercheur.e.s, enseignant.e.s, chercheur.e.s, doctorant.e.s et étudiant.e.s de toutes disciplines de l’Université de Paris, affirmons notre solidarité à l’égard de nos collègues BIATSS (personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé). Nous rappelons notre attachement à un traitement égalitaire de tous les personnels de l’université, ainsi que notre exigence du respect des normes démocratiques et collégiales de prises de décision dans notre établissement.
Dans le mot « université », il y a l’idée d’universalité des savoirs scientifiques. Mais il ne saurait exister d’universalité des savoirs et des sciences sans un traitement égalitaire des personnes et des groupes qui œuvrent en commun pour produire, diffuser et enseigner ces savoirs. Nos collègues BIATSS assurent la gestion et la diffusion de nos livres et de nos revues, l’administration de nos cursus et de nos programmes de recherche ainsi que de leurs financements, participent à nos recherches et à nos publications, contribuent à l’efficacité technique et logistique de nos travaux et enseignements, et prennent soin de la santé physique et psychologique de l’ensemble des personnels de notre université. Sans les BIATSS, nous ne pourrions plus travailler ni produire et enseigner ces savoirs qu’on dit « universels ».
Pourtant, une décision prise par la présidence de l’Université de Paris remet gravement en cause l’égalité de traitement entre les enseignant.e.s‑chercheur.e.s, enseignant.e.s, chercheur.e.s d’un côté et les BIATSS de l’autre, dans le contexte dramatique de la pandémie et du confinement.
En effet, la présidence de l’Université de Paris a décidé de retirer à tous les personnels BIATSS 5 jours de congés. Or, imposer des congés obligatoires en période de confinement revient à supprimer des congés annuels ! Les agents doivent pouvoir profiter de leurs jours de congés pour reprendre des forces. Mais nous savons tous et toutes, pour l’expérimenter malheureusement au quotidien, que le confinement à la maison ne correspond pas à des vacances. Les conditions de vie sont souvent difficiles : soin des enfants, suivi de leur travail scolaire, stress dû à l’enfermement, fatigue psychologique. Il est impossible de se reposer dans cette atmosphère.
Il y a donc rupture d’égalité entre les personnels enseignant.e.s‑chercheur.e.s, enseignant.e.s, chercheur.e.s et les BIATSS à qui on demande un effort plus important alors même que leurs salaires sont inférieurs aux nôtres et que nous constatons chaque jour leur investissement et leur dévouement, notamment pour les personnes contraintes de travailler sur place et ne pouvant pas bénéficier du télétravail.
Cette décision a été prise de manière unilatérale et sans concertation avec les organisations syndicales. Par ailleurs, elle est passée outre l’avis des instances représentatives du personnel (Comité Technique et Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail) qui doivent obligatoirement se prononcer par vote sur ce type de mesure. A la rupture d’égalité s’ajoute donc un déni de démocratie qui augure mal du fonctionnement futur de l’université fusionnée.
Nous affirmons ici notre profond désaccord avec cette mesure inacceptable et discriminatoire.
Dans un moment de crise extrême, où le « nous » collectif devrait s’imposer et où la présidence devrait se mettre au service de l’intérêt commun, cette décision oppose les personnels de l’université, instaure des conditions d’inégalité et inscrit dans le fonctionnement administratif et politique de l’établissement un dangereux précédent autocratique.
Nous exigeons le retrait de cette mesure discriminatoire, et une compensation du travail des agents mobilisé.e.s sur place qui pourrait prendre la forme de jours de congés supplémentaires ou d’une prime spécifique à discuter avec les représentant.e.s du personnel.
239 | Yolanda Yolanda Vidal Fernandez | Yolanda Vidal Fernandez — Hypnose EMDR Magnétisme |
238 | OLIVIER BOUMENDIL | Radiologue Chercheur OB CONSEIL |
237 | Gilles Perret | Retraité,simple donateur aux ONG et assos, en attendant l’avènement du communisme libertaire |
236 | Jacques Destouet | UN CITOYEN QUI EN A MARRE DES COUPS DE FILS INTEMPESTIFS D“UNE CERTAINE MORGANE DE MEDECINS DU MONDE |
235 | Catherine Prudlo | SAENES en Mathématiques |
234 | Benoite Aubé | Post-doc, Université de Paris |
233 | Marine Bitrou | Technicienne de recherche et des collection patrimoniales, B, CN, bibliothèque |
232 | Nezha Devanne | MCF Psychologie |
231 | Rémi Goasdoué | MCF Sciences de l’éducation |
230 | Philippe Radi | PRCE, mathématiques, IUT Paris Descartes |
229 | Marie Collombel | MCF en sciences du langage |
228 | Clo COLOMBET | Gestionnaire |
227 | Véronique Izard | Chargée de Recherches, Sciences Cognitives |
226 | Eric Dagiral | MCF en sociologie |
225 | Xavier Onfroy | Doctorant |
224 | Svetlana Russkikh | Doctorante |
223 | Etienne Rabbe | Doctorant |
222 | Muriel Epstein | PRAG |
221 | Naoual Mahroug | doctorante |
220 | Iris Padiou | Doctorante |
219 | Anthony Pecqueux | Sociologie, CNRS Centre Max Weber |
218 | Louise Déjeans | Docteure |
217 | Suzanne Gruca | Doctorante |
216 | Clarisse Pantin de la Guère | Secrétaire à l’IUT ADJ TECHNIQUE DE RECHERCHE ET FORMATION |
215 | florence moneron | Secrétaire à l’IUT ADJ TECHNIQUE DE RECHERCHE ET FORMATION |
214 | Mourad Ouziri | MCF, Université de Paris |
213 | Servane Gey | MCF Université de Paris — IUT |
212 | Sebastien Martin | PR, Mathématiques, IUT |
211 | Marie ROLLAND | Cadre pédagogique, Ecole de service social |
210 | Antoine-Eric Sammartino | MCF associé, Université de Paris — IUT Paris |
209 | Florence Muri | MCF, Statistique, IUT Université de Paris |
208 | Paul Guion | PRCE université de Paris |
207 | Alexandre Chevillot-Biraud | Ingénieur d’études CNRS |
206 | Nawal Serradji | MCU |
205 | Lucie Martin | IE Université de Paris |
204 | FAIZA MAMECHE | Université Paris Diderot-UFR de Chimie- ITODYS |
203 | Serge Turcaud | Ingénieur de Recherche |
202 | Jean-Sébastien Eideliman | Maître de conférences en sociologie |
201 | Roland Nguyen | Assistant Ingénieur — CNRS |
200 | Jeanne Devèze | Étudiante M1 — Faculté SHS |
199 | Florent Barbault | Mcf Chimie |
198 | Rigas Arvanitis | DR IRD, Ceped |
197 | Nathalie Portilla | Doctorante |
196 | Valentina La Corte | MCU, Institut de Psychologie, Université de Paris |
195 | François Chau | Maître de conférences, Université de Paris, Chimie |
194 | Laurianne Cabrera | CRCN — CNRS |
193 | Nikita Bedez | Bibliothécaire assistante spécialisée |
192 | Philippe DECORSE | Ingénieur de Recherche, Université de Paris |
191 | Sebastien Bellynck | Assistant Ingénieur |
190 | Leïla Boubekeur-Lecaque | Chercheure CNRS |
189 | Mélanie Shaïek-Reversat | Technicienne en production et analyses de données CERLIS |
188 | Laura Ruiz de Elvira | IRD |
187 | Alexandre Portefaix | Étudiant L3 Linguistique Faculté SHS — diplômé Master PCPI Institut de Psychologie |
186 | François Maurel | Professeur, Université de Paris, Chimie |
185 | Laurence Estanove | PRAG anglais |
184 | Serge NICOLAS | Pr Psychologie |
183 | Baptiste Fauvel | Université de Paris Institut de psychologie LMC2 |
182 | Hyojun LEE | Stagiaire M2, Institut de Psychologie, Laboratoire Mémoire, Cerveau & Cognition |
181 | Catherine Azoulay | Pr SHS- Institut de psychologie-Labo PCPP |
180 | Clara DUCHET | Maître de conférences |
179 | Elsa Ramos | MCF |
178 | Jean-Baptiste Lanfranchi | MCF, IUT de Paris, LaPEA |
177 | Flora Aubertin | Doctorante Laboratoire PCPP |
176 | Carole Martin | PRCE anglais |
175 | Marielle Hababou-Bernson | Assistante en laboratoire de recherche — INCC Université de Paris |
174 | Judith Vergne | IE à l’INCC de l’Université de Paris |
173 | Pascale PIOLINO | Directrice du laboratoire MC2Lba |
172 | Anh Nguyen | Enseignant contractuel — Paris Descartes SHS |
171 | Sabine FILIU | CNRS titulaire ass.ingénieur INCC |
170 | Xanthie Vlachopoulou | MCF Institut de Psychologie |
169 | Lukas Bögge | Doctorant, Institut de Psychologie, Laboratoire Mémoire, Cerveau et Cognition |
168 | Octave Debary | Pr Anthropologie |
167 | Philippe Blondé | Doctorant, Institut de Psychologie, Laboratoire Mémoire, Cerveau et Cognition |
166 | Marianne Barbu-Roth | CRHC CNRS INCC UMR 8002 |
165 | pascale le blanc | AI CNRS |
164 | Klara Kovarski | Chercheuse, Fondation Ophtalmologique Rothschild, INCC-CNRS/Université de Paris |
163 | Marco Sperduti | MCU, Institut de Psychologie, Laboratoire Mémoire, Cerveau et Cognition |
162 | Viviane Huet | Technicienne de recherche — INCC Université de Paris / CNRS |
161 | Emmanuel Devouche | MCU |
160 | arlette streri | Professeur Emerite, INCC |
159 | Frédérick PETIT | Secrétaire Laboratoire LMC2 — UFR Ψ |
158 | Hervé Suaudeau | IE CNRS |
157 | Flora Baudry | Doctorante, Université de Paris |
156 | Thierry Nazzi | DR CNRS à l’INCC Université de Paris — Paris Descartes / CNRS |
155 | Gilles Dewailly | IGE CNRS |
154 | David VAIDIS | MCF |
153 | Pierre Nioche | MCF |
152 | Claire Sergent | MCU à l’INCC Université de Paris — Paris Descartes / CNRS |
151 | Fannie SEMPREZ | Assistant ingénieur, BIATSS, Université de Paris |
150 | Willy Serniclaes | DR emerite CNRS INCC U. Paris |
149 | Carolina Baeza Velasco | MCU |
148 | Marc Vantourout | MCF Sciences de l’éducation |
147 | Eric RODITI | PR, Faculté SHS, laboratoire EDA |
146 | Marie-Sophie BUFARULL | Gestionnaire administrative |
145 | Dorine Vergilino-Perez | PR, Institut de Psychologie |
144 | Séverine Maggio | IGE, Psychologie |
143 | Judit Gervain | DR CNRS, UMR8002 |
142 | Pierre-Justin Chantepie | Docteur, Psychologie |
141 | stéphanie rubi | professeure, sciences de l’éducation, université de paris |
140 | Valerie Sacriste | MCF Faculté SH |
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Demain ou après demain “ils” décideront le confinement. Nos soignants seront harassés, et pourtant nous savons que nous pourrons compter sur eux les yeux fermés. Mais pas sur la nuée de personnages qui nous gouvernent, nous informent, nous gèrent, nous cadrent, nous étouffent, nous entravent, nous méprisent, nous la population, le public, les gens, nous les bêtes comme dirait Stéphanie l’amie retrouvée. Il ne faudra pas oublier que le dimanche 15 mars, sur une chaîne de Radio France, dans une émission économique, un expert non interrompu par les journalistes a pu dire que le problème principal était que le pays n’avait pas été assez loin dans l’effort pour réduire la dette, et que cela nous empêchait de pouvoir aujourd’hui investir massivement contre le virus. Et un autre invité de la même émission déclarer que pour que l’économie reparte après le coronavirus, il faudrait que les gens soient en vie. Oui, on a pu encore entendre ça et sentir le respect frémissant des animateurs de l’émission, dans celle-ci comme tant d’autres, cette fois comme tant d’autres fois auparavant. Et on aura pu entendre aussi, encore et encore, des appels à des instances de décisions supranationales, pour coordonner d’encore plus haut, plus loin, plus criminellement, plus stupidement.
Je n’oublierai pas que j’aurai eu confiance avant tout dans ceux et celles qui prennent soin de nous, mon fils et tant d’autres qui devront lutter pour nous, demain et pour combien de temps, avec leur merveilleuse compétence et intelligence, et qui luttent par-dessus le marché contre la surdité du gouvernement et des tutelles.
Je n’oublierai pas que nos jeunes, nos enfants, nos frères et nos soeurs, ceux qu’on a gazés sur lesquels on a tapés pendant des mois et des mois parce qu’ils luttaient pour leur avenir, ceux qui attendent aux portes des métropoles et aux frontières de l’Europe, si vivants, vulnérables et merveilleux, seront ceux qui auront gagné l’ouverture après la fin de ce capitalisme pourri et mortifère qui s’effondre, eux qui étaient prêts depuis si longtemps et qui devaient attendre, subir les entraves de cette cohorte de décideurs et de possédants, si lente, si dure à la détente, si bête, si égoïste.
Quand nous pourrons sortir — quand — il ne manquera pas de politiques, de managers, d’experts, de gens de médias, de directeurs, pour faire comme si de rien n’était, pour retourner commander, pour intimer, pour enjoindre de retourner travailler, remettre la machine en marche, relancer l’économie, rattraper, travailler, travailler ou disparaître. Ces gens auront des tons assurés, des mines graves, ils donneront des directives, ils tanceront.
Nous devrons nous rappeler alors combien ils étaient incompétents, insensibles, lents, lourds, combien ils étaient pesants, il fallait sans cesse les secouer, ils ne comprenaient rien, rien de rien. Nous avions compris depuis tant d’années que le capitalisme était fini, nous savions depuis si longtemps qu’ils étaient étrangement insensibles au vivant,à la jeunesse, à leurs frères migrants, qui mouraient, nous connaissions par cœur leur espèce d’innocence parfois, suffisante, insupportable.
Pour le coronavirus, après un moment incertain, nous avons brusquement compris à un moment, qu’il fallait absolument tout faire pour sauver les vies le plus vite possible, nous l’avons senti car cette journée là, nous avons changé d’heure en heure, nous avons muté, nous avons senti le moment où nous sommes entrés dans l’inconnu, nous avons pris congé de la mobilisation en cours qui battait son plein avec encore une dernière discussion, un dernier élan avant de quitter les lieux avec une poignée d’étudiants et de collègues si attentifs si concentrés, dommage on était obligé de déjà se dire au-revoir. Nous avons pris congé de ce que nous faisions, d’une manière de vivre, d’une séries de mobilisations depuis ces années dans un monde qui s’effondrait et qui se faisait de plus en plus brutal. C’est un virus qui a mis la pagaille finalement, un brin sommaire qui a circulé partout indifférents aux frontières, et aux milieux sociaux, et qui fait tout vaciller.
Mais ils en étaient encore à organiser, à se consulter, à s’imaginer qu’ils nous protégeaient de la panique, confondant notre inquiétude avec une peur irrationnelle, se regardant dans la glace en managers rassurants, alors que c’était leur sensibilité et leur raison atrophiées qui nous inquiétaient au plus haut point.
Nous devrons nous rappeler combien, à ce moment-là, ils étaient lents à la détente, combien ils étaient lourds, il fallait sans cesse les attendre, au bord du chemin, ils en étaient encore à faire la leçon, à leur sang froid de théâtre, puis à se demander pour les élections, les activités, la continuité du travail grâce à des plate-formes innovantes, des prestataires qui leur permettraient encore de manager, les directives, les acronymes. On se demandait combien d’heures il leur faudrait pour réaliser et faire leur devoir tout simple, faire leur part pour aider à sauver des vies, dire les quelques mots, allez, un effort, on perd du temps. Et quand enfin ils comprenaient, à peu près, après quatre ou cinq revirements, ils leur fallait encore adopter ce ton arrogant, ce registre administratif, sans daigner reconnaître qu’ils devaient leur prise de conscience toujours tardive à la poussée de ceux qui avaient compris et sans qui ils en seraient restés encore des heures, des jours, à leurs décisions criminelles.
Ils faudra se rappeler qu’ils ne s’intéressaient pas aux malades, ils ne s’intéressaient pas à ceux qui étaient sans abri, ni à ceux qui seraient sans revenu, ni à ceux qui étaient vulnérables, ni à ceux qui seraient en danger quinze jours plus tard faute de place à l’hôpital. Ils s’intéressaient aux manières de poursuivre les activités productives, au pilotage de ceux qui seraient chez eux avec leurs enfants. Ils ne pensaient pas une seconde que les enfants auraient peut-être autre chose en tête que rattraper à distance le cours d’anglais ou de gestion, peut-être autre chose à apprendre, à comprendre, dans ce monde qui leur appartient, puisqu’ils sont aussi, ces enfants, des êtres vivants dans la tourmente du vivant.
Il faudra absolument se rappeler, le jour venu, que nous n’aurons pas à obéir, nous n’aurons pas à aller à telle réunion de relance, nous n’aurons pas à répondre oui tous en chœur pour leur redonner l’ascendant alors qu’ils n’auront agi que grâce à la mobilisation sans faille de tous ceux qu’ils avaient attaqué pendant des mois, ou bien auxquels ils étaient insensibles et indifférents. Il faudra nous rappeler à qui nous devrons quelque chose, il faudra nous entraider dans ces milieux là qui ont été vivants et souffrants à ce moment, il faudra en finir avec la fausseté, les couches de crasse managériale, et suivre ce qui nous a fait comprendre quelque chose de ce qui nous faisait tenir ensemble au moment où ça commençait.
Demain ou après demain “ils” décideront le confinement. Nos soignants seront harassés, et pourtant nous savons que nous pourrons compter sur eux les yeux fermés. Mais pas sur la nuée de personnages qui nous gouvernent, nous informent, nous gèrent, nous cadrent, nous étouffent, nous entravent, nous méprisent, nous la population, le public, les gens, nous les bêtes comme dirait Stéphanie l’amie retrouvée. Il ne faudra pas oublier que le dimanche 15 mars, sur une chaîne de Radio France, dans une émission économique, un expert non interrompu par les journalistes a pu dire que le problème principal était que le pays n’avait pas été assez loin dans l’effort pour réduire la dette, et que cela nous empêchait de pouvoir aujourd’hui investir massivement contre le virus. Et un autre invité de la même émission déclarer que pour que l’économie reparte après le coronavirus, il faudrait que les gens soient en vie. Oui, on a pu encore entendre ça et sentir le respect frémissant des animateurs de l’émission, dans celle-ci comme tant d’autres, cette fois comme tant d’autres fois auparavant. Et on aura pu entendre aussi, encore et encore, des appels à des instances de décisions supranationales, pour coordonner d’encore plus haut, plus loin, plus criminellement, plus stupidement.
Je n’oublierai pas que j’aurai eu confiance avant tout dans ceux et celles qui prennent soin de nous, mon fils et tant d’autres qui devront lutter pour nous, demain et pour combien de temps, avec leur merveilleuse compétence et intelligence, et qui luttent par-dessus le marché contre la surdité du gouvernement et des tutelles.
Je n’oublierai pas que nos jeunes, nos enfants, nos frères et nos soeurs, ceux qu’on a gazés sur lesquels on a tapés pendant des mois et des mois parce qu’ils luttaient pour leur avenir, ceux qui attendent aux portes des métropoles et aux frontières de l’Europe, si vivants, vulnérables et merveilleux, seront ceux qui auront gagné l’ouverture après la fin de ce capitalisme pourri et mortifère qui s’effondre, eux qui étaient prêts depuis si longtemps et qui devaient attendre, subir les entraves de cette cohorte de décideurs et de possédants, si lente, si dure à la détente, si bête, si égoïste.
Quand nous pourrons sortir — quand — il ne manquera pas de politiques, de managers, d’experts, de gens de médias, de directeurs, pour faire comme si de rien n’était, pour retourner commander, pour intimer, pour enjoindre de retourner travailler, remettre la machine en marche, relancer l’économie, rattraper, travailler, travailler ou disparaître. Ces gens auront des tons assurés, des mines graves, ils donneront des directives, ils tanceront.
Nous devrons nous rappeler alors combien ils étaient incompétents, insensibles, lents, lourds, combien ils étaient pesants, il fallait sans cesse les secouer, ils ne comprenaient rien, rien de rien. Nous avions compris depuis tant d’années que le capitalisme était fini, nous savions depuis si longtemps qu’ils étaient étrangement insensibles au vivant,à la jeunesse, à leurs frères migrants, qui mouraient, nous connaissions par cœur leur espèce d’innocence parfois, suffisante, insupportable.
Pour le coronavirus, après un moment incertain, nous avons brusquement compris à un moment, qu’il fallait absolument tout faire pour sauver les vies le plus vite possible, nous l’avons senti car cette journée là, nous avons changé d’heure en heure, nous avons muté, nous avons senti le moment où nous sommes entrés dans l’inconnu, nous avons pris congé de la mobilisation en cours qui battait son plein avec encore une dernière discussion, un dernier élan avant de quitter les lieux avec une poignée d’étudiants et de collègues si attentifs si concentrés, dommage on était obligé de déjà se dire au-revoir. Nous avons pris congé de ce que nous faisions, d’une manière de vivre, d’une séries de mobilisations depuis ces années dans un monde qui s’effondrait et qui se faisait de plus en plus brutal. C’est un virus qui a mis la pagaille finalement, un brin sommaire qui a circulé partout indifférents aux frontières, et aux milieux sociaux, et qui fait tout vaciller.
Mais ils en étaient encore à organiser, à se consulter, à s’imaginer qu’ils nous protégeaient de la panique, confondant notre inquiétude avec une peur irrationnelle, se regardant dans la glace en managers rassurants, alors que c’était leur sensibilité et leur raison atrophiées qui nous inquiétaient au plus haut point.
Nous devrons nous rappeler combien, à ce moment-là, ils étaient lents à la détente, combien ils étaient lourds, il fallait sans cesse les attendre, au bord du chemin, ils en étaient encore à faire la leçon, à leur sang froid de théâtre, puis à se demander pour les élections, les activités, la continuité du travail grâce à des plate-formes innovantes, des prestataires qui leur permettraient encore de manager, les directives, les acronymes. On se demandait combien d’heures il leur faudrait pour réaliser et faire leur devoir tout simple, faire leur part pour aider à sauver des vies, dire les quelques mots, allez, un effort, on perd du temps. Et quand enfin ils comprenaient, à peu près, après quatre ou cinq revirements, ils leur fallait encore adopter ce ton arrogant, ce registre administratif, sans daigner reconnaître qu’ils devaient leur prise de conscience toujours tardive à la poussée de ceux qui avaient compris et sans qui ils en seraient restés encore des heures, des jours, à leurs décisions criminelles.
Ils faudra se rappeler qu’ils ne s’intéressaient pas aux malades, ils ne s’intéressaient pas à ceux qui étaient sans abri, ni à ceux qui seraient sans revenu, ni à ceux qui étaient vulnérables, ni à ceux qui seraient en danger quinze jours plus tard faute de place à l’hôpital. Ils s’intéressaient aux manières de poursuivre les activités productives, au pilotage de ceux qui seraient chez eux avec leurs enfants. Ils ne pensaient pas une seconde que les enfants auraient peut-être autre chose en tête que rattraper à distance le cours d’anglais ou de gestion, peut-être autre chose à apprendre, à comprendre, dans ce monde qui leur appartient, puisqu’ils sont aussi, ces enfants, des êtres vivants dans la tourmente du vivant.
Il faudra absolument se rappeler, le jour venu, que nous n’aurons pas à obéir, nous n’aurons pas à aller à telle réunion de relance, nous n’aurons pas à répondre oui tous en chœur pour leur redonner l’ascendant alors qu’ils n’auront agi que grâce à la mobilisation sans faille de tous ceux qu’ils avaient attaqué pendant des mois, ou bien auxquels ils étaient insensibles et indifférents. Il faudra nous rappeler à qui nous devrons quelque chose, il faudra nous entraider dans ces milieux là qui ont été vivants et souffrants à ce moment, il faudra en finir avec la fausseté, les couches de crasse managériale, et suivre ce qui nous a fait comprendre quelque chose de ce qui nous faisait tenir ensemble au moment où ça commençait.