“Lucioles” : n° 1 d’une revue pour habiter plus librement et fraternellement les espaces institutionnels et culturels communs
Ecrit par Joëlle Le Marec, 5 Déc 2015, 4 commentaires
« Lucioles » est une revue gratuite, destiné à rendre plus habitables et plus fraternels, pour celles et ceux qui y vivent au quotidien, les universités et les établissements de recherche et d’enseignement supérieur.
Elle était en gestation depuis des années, mais les contractions se sont accélérées juste après les attentats de janvier, après le massacre des membres de la rédaction de Charlie Hebdo par des jeunes gens qui avaient grandi dans l’environnement culturel, éducatif et politique que nous imaginions — à tort — être celui qui doit préserver de la haine et de la désespérance.
A quelques uns nous nous sommes alors réunis avec l’envie impérieuse de nous débarrasser des faux problèmes qui nous encombrent, nous distraient et nous éteignent ; avec l’envie impérieuse de mettre la même énergie à vouloir un monde plus fraternel, que celle que déploient les ennemis de la vie à nous faire tous aller dans un mur. Cette énergie de mort a irradié les attentats de novembre, à Paris et à Beyrouth et ailleurs dans le monde.
Le constat de l’absence stupéfiante de prise en compte de tout ce qui s’était exprimé dans la rue et dans des espaces quotidiens, immédiatement après les attentats nous inquiète et nous conforte dans notre envie d’habiter plus pleinement, plus librement et plus fraternellement, nos espaces communs.
Puisqu’il y a si peu à attendre des personnels politiques, des élus, et de nombre de managers obsédés par des modèles faux et dangereux de ce qu’est la vie sociale (peur et méfiance de principe, idéologies de la compétition, de l’excellence, de l’argent, des hiérarchies, des réformes, etc.), il faut que nous nous occupions d’organiser les conditions d’une solidarité, d’une liberté, d’une fraternité, immédiatement là où nous sommes, dans les lieux et les moments qui nous appartiennent encore, même s’ils sont colonisés jour après jour par le quadrillage insensé de la gestion bureaucratique et autoritaire des activités et des relations humaines.
C’est pourquoi nous, enseignants-chercheurs, doctorants, graphiste, ingénieurs, salariés titulaires ou personnels précaires de l’université, acteurs culturels et créateurs liés au monde de la recherche décidons de nous exprimer : qu’est ce qui au jour le jour, nous éloigne les uns des autres ? Qu’est ce qui nous aliène ? Comment nous dire les choses directement ? Comment récupérer nos capacités à nous critiquer, à nous comprendre ? Comment agir ensemble, sans le filtre de procédures qui nous éloignent toujours plus des possibilités de créer quotidiennement, nos formes de travail, nos manières de régler des problèmes ensemble ? Comment récupérer des marges de liberté dans nos manières d’habiter des institutions destinées à former des jeunes gens à être des personnalités autonomes, destinées à produire un savoir à discuter et partager entre tous, destinées à expérimenter des manières de réfléchir, de travailler ensemble, de vivre ensembles ?
Ce premier numéro comporte des textes qui expriment ce qui est vécu au quotidien dans une université par des chercheurs et des personnels administratifs, jeunes et moins jeunes. Nous interpelons, nous interrogeons, nous portons des témoignages. Nous souhaitons engager des dialogues avec ceux qui sont nos interlocuteurs quotidiens, dont nous ne connaissons pas forcément les contraintes et les projets, notamment les personnels administratifs et techniques. Notre ambition à ce stade est de les rejoindre, sur la base d’une critique et d’une ouverture mutuelle sérieuse (et non sur la base d’illusions ou de manifestations de bonne volonté de façade et sans portée).
Nous appelons nos lecteurs à nous contacter par collectif.lucioles@gmail.fr pour discuter, pour écrire ou pour s’exprimer sous d’autres formes, pour répondre, pour interpeler à leur tour, s’ils acceptent le projet qui est le suivant : habiter notre institution ensemble, plus librement et plus fraternellement. Le collectif a décidé, pour le moment, de ne pas afficher la liste de ses membres pour rendre plus égalitaires et plus collectivement assumées les prises de parole singulières. Mais chaque membre peut revendiquer ce qu’il a écrit en son nom propre comme il veut et où il veut.
Téléchargez le premier numéro en PDF : LUCIOLES
La revue est imprimée, elle est distribuée de main en main par ses auteurs, pour discuter et échanger.
Les auteurs du numéro 1 sont : Igor Babou, Claudio Broitman, Catalina Sabbagh, Judith Dehail, Mélodie Faury, Ludovic Garattini, Sarah Kitar, Joëlle Le Marec, Nina Rocipon
Annonce très sympathique. Lucioles peut contribuer à rendre à l’Université quelque chose de sa parole… qui est devenue très peu “la parole universitaire”, au sens proposé par Pierre Macherey…
Se soucier au quotidien de la qualité des relations et de la compréhension, contre la “barbarie” managériale…
Très bonne idée. Vous avez sans doute raison de faire cela… moi, il y a maintenant deux ans, j’ai choisi de passer à l’éméritat, parce que je désespérais que l’Université puisse redevenir un lieu comme celui dont parle la présentation de Joëlle.
En tout cas je vais aller voir… Et faire connaître.
En plus d’Indiscipline.fr, çà nous en fait des photophores à faire connaître et à faire vivre.
Une bien belle initiative, dont nous avons terriblement besoin. Nous réapproprier nos espaces de travail, inventer de nouvelles solidarités, témoigner de notre vécu, partager nos expériences et nos indignations, réapprendre à agir ensemble ou tout simplement à nous parler : des choses essentielles dont Lucioles porte la nécessaire et concrète utopie. Longue vie à Lucioles! Très envie de proposer un texte pour un prochain numéro.
Merci pour ces réactions, je me réjouis vraiment aussi de l’initiative d’Igor pour ouvrir Indiscipline à ce type d’échange, je n’allais pas tellement sur Médiapart, je ratais vos interventions à tous les deux. Ça serait super que tu écrives pour le numéro 2.
Je voulais signaler que l’idée de Joëlle et des autres auteurs, en produisant une revue papier (la mise en ligne sur Indiscipline est une idée venue après coup), s’accompagne d’une réflexion sur la cohérence entre le propos et la démarche. Ainsi, la revue Lucioles vise à ré-instaurer des liens sociaux et des solidarités dans une sorte d’infra-ordinaire des institutions, c’est à dire entre des personnes et des groupes travaillant ensemble mais ressentant évidemment des dissymétries dans la pratique (et les salaires). Sa diffusion est donc pensée dans cette même perspective de restructuration des liens de proximité : au lieu de mettre la revue en ligne et d’en rester là, l’idée de Joëlle est que chaque auteur doit la distribuer à un(e) collègue dans son institution en présentant la démarche et en engageant une discussion. Là où les réseaux sociaux tuent la proximité en insérant des distances et des médiations techniques entre les salariés, l’idée est au contraire de réduire les distances et les médiations au profit d’un débat en face à face qui prolonge la démarche de la revue, et qui implique les auteurs et les (futurs) lecteurs, eux-mêmes sollicités comme futurs auteurs.
Je voulais signaler cela, car la revue Luciole est née d’une réflexion sur la destruction des liens sociaux de proximité dans les institutions du savoir, et la démarche d’ensemble est au moins aussi importante que son contenu.