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Casseurs d’enfants, pilleurs d’espoirs


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Je suis blanche, je ne suis pas jeune. Je rentre sans doute dans cet ima­gi­naire des “hon­nêtes gens”, des “bons Fran­çais”, que ne cessent de convo­quer les membres de notre gouvernement.

Je suis chez moi dans ce pays qui semble-t-il est le mien, aujourd’hui en tout cas, alors que selon ce gou­ver­ne­ment il ne serait pas celui « des cas­seurs et des pilleurs », caté­go­rie qui inclut a prio­ri tout ado­les­cent noir ou arabe à capuche. La démons­tra­tion en a été faite ces jours-ci à Lyon. Des lycéens et étu­diants, des jeunes mani­fes­tants, c’est-à-dire des cas­seurs et pilleurs poten­tiels, ont été enfer­més sur la place Bel­le­cour le 21 octobre der­nier, char­gés,  asphyxiés, insul­tés sans relâche pen­dant cinq heures, et dis­cri­mi­nés, les plus blancs et les plus vieux ayant pu sor­tir avant les plus jeunes et les plus foncés.

Mais dans la réa­li­té qui heu­reu­se­ment n’est pas le cau­che­mar qui suinte des cer­veaux et des paroles de nos ministres et de notre pré­sident, ces jeunes-là sont chez eux ici.

Ils sont d’ici, quoi qu’en dise et que veuille notre gou­ver­ne­ment, et quoique ces jeunes disent et veulent eux-mêmes. Il se peut, au train ou vont les choses, que moi-même je me sente de moins en moins chez moi sans pou­voir faire autre­ment que d’assumer le fait d’être d’ici, de France, cet État de plus en plus répres­sif, raciste, corrompu.

Ces jeunes sont non seule­ment d’ici comme nous (les blancs moins jeunes) mais ils sont aus­si nos jeunes, nos enfants. Je les aime. Leurs sil­houettes indis­tinctes et spec­ta­cu­laires dans la fumée et la cohue ont fait le tour du monde : « la France brûle ».  Vus de près ils sont très jeunes, pour la plu­part “incon­nus des ser­vices de police”.  Cer­tains ont cas­sé des vitrines, d’autres lan­cé des boules de papier frois­sé pris dans leurs cahiers. Ils passent en com­pa­ru­tion immédiate.

Ils sont nos enfants à tous.  C’est ce que nous avons en prin­cipe incor­po­ré si la trans­mis­sion inter­gé­né­ra­tion­nelle a bien fonc­tion­né, leurs parents et nous-mêmes, et ceux qui n’ont pas d’en­fants à eux mais sont en âge d’être res­pon­sables de la géné­ra­tion qui gran­dit, tous  sont membres de la com­mu­nau­té humaine des parents, com­mu­nau­té  anthro­po­lo­gique par­fois presque oubliée par des décen­nies de néga­tion ou de déni de ce qui  échappe à la ratio­na­li­sa­tion des liens intergénérationnels.

Ce sont nos enfants, ils m’intéressent, je ne sais com­ment les prendre, ils sont trop loin de moi. Mais je res­sens le mépris qu’ils res­sentent, je res­sens la vio­lence à laquelle ils sont expo­sés, je sais comme eux que la plu­part n’ont pas d’avenir  et c’est insup­por­table. Je n’ai pas envie  d’une socié­té où il est mani­feste qu’ils n’auront pas de place, enser­rés dans le  mépris qui les fera deve­nir les cas­seurs de ceux qui les suivront.

On ne cesse à l’antenne et dans la presse de cri­ti­quer l’absence d’alternative aux réformes d’austérité.

Bien sûr qu’il y a des alter­na­tives qui s’expriment, bien plus fortes que des pro­po­si­tions tech­niques en dix points.  Ce sont nos aspi­ra­tions et l’énergie que nous sommes prêts à inves­tir pour qu’elles prennent corps : prêts à payer plus pour plus de jus­tice sociale, mais pas pour plus d’injustice. Prêts à affron­ter les chan­ge­ments qui s’imposent face aux crises envi­ron­ne­men­tales qui s’annoncent, mais pas les crises et humeurs des mar­chés et des agences de nota­tion. Prêts à essayer de mettre en œuvre le prin­cipe de fra­ter­ni­té, mais pas à encais­ser l’autoritarisme de ceux qui se sentent pro­prié­taires des ins­ti­tu­tions et des biens publics.

Prêts sur­tout à tout faire pour que le monde dans lequel gran­dissent nos enfants  soit digne d’eux et de leurs aspi­ra­tions sans cesse niées  —   ah! la figure si moquée du jeune, consom­ma­teur et apa­thique, enfant gâté,  pour­tant si redou­té lors­qu’il se mobi­lise, si effrayant qu’on crie alors à la pul­sion infan­tile encore —  mais  sûre­ment pas prêts, jamais, à leur pour­rir l’a­ve­nir : jamais  des parents, parents au sens large de tous ceux qui sont res­pon­sable du sort de la géné­ra­tion qui gran­dit, jamais des parents  ne pour­raient accep­ter ça.

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