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On n’a pas toujours parlé de “compétences” au pluriel…


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La démarche “com­pé­tences” est d’une cer­taine façon une inno­va­tion lexi­cale. “Com­pé­tence” en effet est un mot qua­si-inusi­té au plu­riel jus­qu’à l’in­tro­duc­tion de la dégra­da­tion de la com­pé­tence, qua­li­té de la per­sonne, dans “les com­pé­tences”, uti­li­tés poten­tielles de la per­sonne sur le mar­ché du tra­vail en émergence..

L’o­ri­gine de cette inno­va­tion dis­cur­sive est dans l’é­la­bo­ra­tion idéo­lo­gique de l’UIMM, sec­tion du CNPF concer­nant le puis­sant sec­teur des indus­tries métal­lur­giques et minières, qui finan­ça un cer­tain nombre d’é­tudes, puis de thèses, en par­ti­cu­lier en Sciences de l’E­du­ca­tion, dont la fina­li­té était de défi­nir les spé­ci­fi­ci­tés des pro­duits de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle que le patro­nat sou­hai­tait ache­ter (à savoir des gens qu’on consi­dé­rait comme des per­sonnes quand on ne met­tait pas “com­pé­tence” au pluriel.

Les com­pé­tences ” sont appa­rues comme un excellent repère pour l’é­la­bo­ra­tion et l’é­va­lua­tion des dis­po­si­tifs de “pro­fes­sio­na­li­sa­tion” à l’U­ni­ver­si­té. En effet “décli­ner” (déli­cieux vocable évo­quant à la fois la rigueur de la gram­maire latine et le laxisme de la pen­sée mana­gé­riale) les “visées de la for­ma­tion” en “termes de com­pé­tence” s’est géné­ra­li­sé comme norme de pré­sen­ta­tion des “maquettes” de for­ma­tion pro­fes­sio­na­li­sée. On a appe­lé cela “la lisi­bi­li­té”… Il fal­lait entendre par là non une réelle clar­té de l’ex­pres­sion, mais une tra­duc­tion-tra­hi­son dans les mots, normes et cri­tères de l’employabilité immé­diate et au meilleur coût … iden­ti­fiée abu­si­ve­ment à une garan­tie contre chô­mage et déqua­li­fi­ca­tion. Les sadiques du minis­tère de l’en­sei­gne­ment supé­rieur ne man­quaient pas de sou­li­gner à tout moment que cette décli­nai­son “était un excellent exer­cice” pour les équipes pédagogiques.

Paral­lè­le­ment on déve­lop­pa la norme com­plé­men­taire que ces “for­ma­tions pro­fes­sion­na­li­santes décli­nées en termes de com­pé­tences” devaient “être ados­sées à des équipes de recherche” et “sous la res­pon­sa­bi­li­té péda­go­gique de direc­teurs de recherche”. Il ne s’a­gis­sait évi­dem­ment pas de garan­tir la qua­li­té dis­ci­pli­naire et épis­té­mo­lo­gique des for­ma­tions, mais plu­tôt d’o­rien­ter les équipes de recherche vers des sujets et thèmes pré­ten­du­ment “appli­qués”, en fait orien­tés vers le sou­ci de ver­ba­li­ser et struc­tu­rer les élé­ments de dis­cours aisé­ment trans­mis­sibles pres­sen­tis par les milieux “pro­fes­sion­nels”.

Ce qu’on appe­la doc­te­ment “le pilo­tage par l’aval”…

Il n’y avait pas de rai­son de limi­ter le mas­sacre à la seule uni­ver­si­té… La démarche s’a­bat­tit donc ensuite sur le second degré, et même sur le pri­maire … et l’en­sei­gne­ment préscolaire.

Les lec­teurs de Nietszche auront recon­nu là un ava­tar de Conflits des Facul­tés… Où des pans entiers de l’U­ni­ver­si­té ont bas­cu­lé du côté de l’u­ti­li­ta­risme éco­no­miste, croyant dans un pre­mier temps trou­ver là des finan­ce­ments et une légi­ti­mi­té socio-éco­no­mique puis décou­vrant dans un deuxième temps qu’ils avaient signé allé­geance à d’autres com­man­di­taires que l’E­tat et la sociéte … Et que doré­na­vant ce serait leurs nou­veaux com­man­di­taires qui les éva­lue­raient et, au plus juste, les financeraient.

Au bout de quelques années, les mêmes com­man­di­taires n’au­ront pas man­qué de se lamen­ter des retards et de la non-com­pé­ti­ti­vi­té de l’U­ni­ver­si­té dans les domaines qu’ils l’ont contrainte à négliger…

Juste retour de bâton…

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4 réponses “On n’a pas toujours parlé de “compétences” au pluriel…”

  1. Al Ceste
    14 janvier 2016 à 17 h 35 min

    (Petit troll : voir ma ques­tion dans le troquet)

    • 14 janvier 2016 à 19 h 17 min

      J’ai remar­qué que le tan­dem instruits/margoulins était tou­jours à l’a­van­tage de ces der­niers. Peut-on en déduire une niai­se­rie chez lez ins­truits ou une incom­pré­hen­sion inavouable du fonc­tion­ne­ment de la socié­té ? Je pense à Chasles et Vrain-Lucas.
      Accep­ter le pilo­tage par l’a­val reve­nait à accep­ter l’au­dience de TF1 comme réfé­rence de ce que doit être une émis­sion de télé­vi­sion. (Ce qui est d’ailleurs le cas pour beau­coup de nos dirigeants)

  2. Avatar photo 14 janvier 2016 à 21 h 22 min

    C’est très juste de signa­ler la res­pon­sa­bi­li­té des col­lègues en sciences de l’é­du­ca­tion dans la dif­fu­sion et la légi­ti­ma­tion de la nov­langue mana­gé­riale et dans cette vision uti­li­ta­riste et a‑critique de l’u­ni­ver­si­té : ils en ont été les fers de lance, et on se retrouve aujourd’­hui avec le dogme des “réfé­ren­tiels de com­pé­tences” à gérer, dans nos pra­tiques quo­ti­diennes. J’ai l’im­pres­sion que l’ha­bi­tus des sciences de l’é­duc, consis­tant à par­tir de la norme des textes minis­té­riels pour en assu­rer l’ap­pli­ca­bi­li­té a joué ici à plein son rôle de des­truc­tion des intel­li­gences. L’i­dée même de “réfé­ren­tiels de com­pé­tences” est d’un tech­no­cra­tisme qui confine au cré­ti­nisme. Bref, je ne vais pas me lais­ser aller à mon amour immo­dé­ré pour les sciences de l’é­du­ca­tion ici…

    Sinon, est-ce qu’on ne peut pas dire que le dogme du “pilo­tage par l’a­val” s’ins­crit dans ce qu’on a appe­lé “toyo­tisme” dans l’in­dus­trie auto­mo­bile au début des années 80 ? Le contexte me semble plus géné­ral, en fait, que celui du New Public Mana­ge­ment : l’en­semble de l’in­dus­trie a subi ces trans­for­ma­tions à la fois orga­ni­sa­tion­nelles, idéo­lo­giques et lexi­cales. De la part des poli­tiques, ce qui semble urgent c’est de faire comme si l’u­ni­ver­si­té était ana­logue dans ses fina­li­tés et dans son fonc­tion­ne­ment avec l’in­dus­trie, et éga­le­ment comme si le savoir rele­vait des pro­ces­sus d’in­dus­tria­li­sa­tion et de mar­chan­di­sa­tion. Et ça a des effets per­for­ma­tifs… bien relayés, il faut le recon­naître, par des col­la­bo­ra­teurs zélés au sein de nos éta­blis­se­ments : en science de l’é­du­ca­tion, mais aus­si dans des tas d’autres dis­ci­plines des sciences de la nature aux sciences sociales.

    • 16 janvier 2016 à 18 h 39 min

      Pour les Sciences de l’E­du, je ne te suis que si on parle de manière rela­tive… l’en­semble des col­lègues de cette sec­tion n’adhère pas néces­sai­re­ment à l’i­déo­lo­gie et aux méthodes mises en oeuvre par ceux d’entre eux qui se sont pré­ci­pi­tés dans l’instrumentalisation …

      De même qu’en SIC, tout le monde ne consi­dère pas Mon­sieur Ségué­la comme un nou­veau Boddisatva…

      Pour ce qui est du toyo­tisme, tu as tout à fait rai­son… Il faut pour faire ce pas, de consi­dé­rer qu’il y a là du toyo­tisme, consi­dé­rer aus­si que l’U­ni­ver­si­té a été assi­gnée dans le même mou­ve­ment à la four­ni­ture de “pro­duits”… Là aus­si, il y a heu­reu­se­ment encore de la résis­tance et, par­fois, de beaux restes.…

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