Il a aboli la peine de mort du Droit du Travail
Ecrit par Jean-Paul Bourgès, 27 Jan 2016, 33 commentaires
Robert BADINTER est un grand bourgeois, étroitement lié aux milieux économiques qui dominent notre vie publique, régime après régime, depuis François GUIZOT qui avait convié tous les Français à s’enrichir.
Mais on ne peut oublier qu’il fut aussi un grand avocat et celui qui fit adopter par l’Assemblée Nationale, le 9 octobre 1981, l’abolition de la peine de mort, alors que la majorité des Français souhaitaient conserver ce supplice barbare.
Jamais à court d’idées retorses pour piéger ses ennemis … comme ses « amis », François HOLLANDE avait cru génial de confier à Robert BADINTER les préliminaires d’une réforme du Code du Travail, dont tout le monde avait bien compris qu’il s’agissait de conduire à l’échafaud un siècle de conquêtes sociales.
Il y avait une belle bande d’assassins de notre prospérité à passer sous le couperet de Monsieur GUILLOTIN.
Mademoiselle DURÉE du TRAVAIL, le tout juste majeur TRENTE-CINQ-HEURES, le quasi vieillard SALAIRE-MINIMUM, le perfide DROIT-SYNDICAL et même l’archaïque survivant, REPOS-DOMINICAL, étaient promis à l’exécution capitale qui devait avoir lieu en Place de Grève, rebaptisée Place du Patronat.
Hélas, comme chacun sait, on n’est jamais si bien trahi que par les siens.
Le rapport remis lundi à Manuel VALLS par Robert BADINTER rappelle la fonction incontournable du Droit du Travail et reformule en soixante et un articles l’ensemble de ce qu’il doit obligatoirement contenir.
Même si, point par point, il renvoie souvent à la loi pour les modalités pratiques de chacun des articles, il verrouille un grand nombre de principes. Il deviendra, dès lors, difficile de poursuivre le détricotage de ce qui est le seul bouclier des salariés en un temps où, compte-tenu du chômage, leur situation est devenue si fragile.
François HOLLANDE, Manuel VALLS et Emmanuel MACRON voulaient la mort du Droit du Travail, mais Robert BADINTER vient d’abolir cette deuxième peine de mort. Le Patronat ne s’y est pas trompé, et Alexandre SAUBOT, spécialiste des questions sociales au MEDEF, vient de faire part de son désappointement en parlant « d’occasion manquée ».
Le MEDEF espérait tordre le cou au Droit du Travail … il devra attendre une autre occasion. Merci à Robert BADINTER pour ce sursis à exécuter.
Jean-Paul BOURGЀS 26 janvier 2015
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Comme on voudrait que ce soit cela la vraie histoire…
En réalité, tout en affirmant le maintien de principes “au niveau des principes”, le rapport Badinter ouvre la porte au niveau des “règles”:
à la fin de toute efficacité de la notion de durée légale du travail … puisque, si celle-ci reste inscrite, ce n’est qu’à titre de vague référence… les négociations au cas par cas étant habilitées à fixer “le seuil de déclenchement des heures complémentaires”. La ministre a d’ailleurs annoncé de plus que les heures supplémentaires ne seraient plus valorisées que de 10% …
à l’organisation de référendums bidon à l’initiative de syndicats inféodés au patronat
à l’établissement en même temps que d’un CDI … du devis du licenciement …
etc. etc.
Probablement les solfériniens ont-ils espéré que le charisme de Badinter, le garde des sceaux de l’abolition de la peine de mort, suffirait à légitimer ce rapport, précurseur de la transformation du code du travail en règlement intérieur du patronat …
Mais pour l’instant, il n’y a guère que la CFDT, pour comme à son accoutumée applaudir à ce mauvais coup…
Olivier, tout en restant méfiant, d’où ma formule du “sursis à exécuter”, je pense que la lecture de l’interview d’Alexandre SAUBOT donne un éclairage différent. Le Gouvernement et le MEDEF espéraient bien autre chose et, même si le renvoi aux lois et règlements doivent conduire au maintien de la mobilisation des salariés, il n’est plus possible, par exemple de dire qu’il n’y a pas besoin de “durée légale du travail”. C’est la loi qui l’avait fixée à 40 heures, puis à 39 heures, puis à 35 heures … et une autre loi peut descendre à 32 ou remonter à 42. Dire que c’est la loi qui fixe la durée légale, c’est normal … et là on entre dans le champ des responsabilités politiques.
De nombreux autres articles sont dans le même esprit.
Très cordialement. Jean-Paul
Jean-Paul,je ne connais pas cet interview… Ni celui qui s’y exprime. Pouvez-vous en donner la ref? Un lien?
Pour ma part, je m’en tiens à la présentation faite par Badinter lui-même, en duo avec la ministre du travail… sur France-Inter. Et à ce que j’ai lu dans Le Monde.
Le rapport de la commission Badinter tend à devenir un préambule, et celui-ci est cantonné à l’énoncé de “principes”.
Ces “principes” ne sont pas en eux-mêmes applicables… Cela sera du ressort des “règles”… qu’il appartiendra à la loi et/ou aux procédures sur le terrain de déterminer.
La ministre s’est empressée de donner l’exemple de “la durée légale du travail” … dont elle préserve le “principe” tout en rendant ce principe totalement inopérant… puisque la définition du “seuil déclenchant le paiement des heures supplémentaires” sera sans référence à la durée légale du travail.
Cela me rappelle l’époque où le ministère Allègre invitait les équipes universitaires à “surligneur 3,5,8 ” les formations… sans toucher aux diplômes définis par la loi à Bac+2 et Bac+4… Afin de ne pas impliquer le Parlement (sic). La loi allait tomber peu à peu en désuétude et on allait se retrouver avec le système LMD… Mais la loi, devenue inopérante, définissait toujours des DEUG, des DUT, des maîtrises.… Simplement ces réalités légales, non abolies, étaient devenus inopérantes et démonétisées..
Le social-libéralisme fonctionne ainsi, social au niveau des principes inopérants, ultra-libéral au niveau de la réalité.
Badinter n’est plus le grand homme politique qui porta l’abolition de la peine de mort devant le Parlement…
Ce qu’il fait aujourd’hui avec le code du travail ressemble au projet Hollande-Valls à propos de la déchéance de nationalité: au niveau du principe inscrit dans la constitution il “concerne tous les citoyens, sans discrimination”, au niveau de la réalité mise en oeuvre, il ne pourra s’appliquer qu’à des bi-nationaux (ou “bâtards de nationalité”) …
Quand ce gouvernement proclame un principe … c’est qu’il s’apprête à le bafouer.
L’interview est dans Le Monde de mardi après-midi.
Mais pour l’instant, il n’y a guère que la CFDT, pour comme à son accoutumée applaudir à ce mauvais coup…
Tout le monde connaît ce proverbe : quand le pouvoir rétablira l’esclavage, la CFDT négociera la longueur des chaines.
Je viens de relire les commentaires postés ici et ceux sur Mediapart, puisque je publie encore aux deux endroits.
La question qui me vient : “Qu’auriez-vous voulu que dise, ou que ne dise pas, ce rapport ?”.
Mr Badinter est de ces gens qui pensent que la richesse par la captation de la plus-value n’est pas un privilège éhonté et que la misère fait partie de l’ordre des choses. Dire que Mr Badinter est une référence morale est une contre-vérité qui ne peut être considérée comme vraie qu’à l’intérieur d’un système de référence inférieur/supérieur. Pour ceux qui, comme moi, considèrent que l’inégalité ne peut être que l’exception (désordre physique ou mental), Mr Badinter est à ranger dans le camp des adversaires. Il doit être très difficile d’être l’époux de Mme Publicis sans partager la vision de l’innocuité de la publicité et des communicants.
Larbi, ça n’est pas pour faire joli que j’ai commencé par rappeler de quel milieu fait partie Robert BADINTER et, à ce titre, il est évidemment marqué par cette appartenance.
Tes façons de raisonner et les siennes sont, évidemment, fort écartées.
Le problème est plutôt dans la composition de la commission qui a planché autour de Robert BADINTER qui ne comprenait que des juristes experts … alors qu’il eut été intéressant d’y retrouver des syndicalistes et des patrons.
Bien à toi. Jean-Paul
Tu as des raisons d’être modéré dans tes appréciations. Moi je n’en ai pas. Quand les riches bourgeois se sentent une âme compatissante, c’est à la façon des dames patronnesses qui savent mieux que nous comment adoucir notre condition, qui en attendent de la reconnaissance et un surcroît de soumission. Mais elles regimbent quand on leur demande ce qui devrait nous revenir de droit, à savoir moins de compassion méprisante et un plus juste partage des richesses que nous produisons. Les George Sand qui font fonctionner les glandes lacrymales avec “La mare au diable” mais qui traitent les communards de canailles ne m’ont jamais paru fréquentables longtemps malgré le plaisir qu’on peut prendre à leur conversation.
Ces gens-là n’ont jamais souri à un “subalterne” mais à l’image qu’ils s’en font. Les classes supérieures, les études supérieures, les races supérieures, tout cela est basé sur le schéma qu’ils se font de l’humanité. La solidarité leur est étrangère, sauf celle de classe.
J’espère que je ne te fâche pas, mon ami.
Larbi, pourquoi “aurais-je des raisons d’être modéré” ? J’ai lu le texte, je me suis rappelé ce qu’on disait quand cette commission a démarré son travail … et je trouve que cette première étape de cadrage d’ensemble est positive. Je constate aussi que le spécialiste du MEDEF fait la gueule en parlant “d’occasion manquée” pour exprimer sa déception.
Je ne fais pas de procès d’intention, et ça tu pourrais le regretter.
En tout cas, nous sommes suffisamment souvent d’accord, pour que ton propos ne risque pas de me fâcher.
Très amicalement. Jean-Paul
Je trouve les critiques à ce sujet bien trop compréhensives vis-à-vis des difficultés rencontrées par cette commission. Pour moi, il ne s’agit pas d’une contre-offensive face au Medef, quel que soit les commentaires qu’il en fait. Les avides de pouvoir et d’argent ont rarement des discours de satisfaction, mis à part lors des dictatures qu’ils sont arrivés à mettre au pouvoir. Ils grattent, parfois au bulldozer, parfois à la petite cuiller, mais ils grattent. Ils parlent d’occasion manquée comme s’il s’agissait d’une perdrix manquée sur dix abattues.
Tu as pointé l’absence de représentants des “sans dents”, cette commission savait donc où aller. Surtout ne pas rappeller les difficultés de la population, les écarts énormes d’espérance de vie, la santé de plus en plus négligée et le sort des employés jetables. Ils dansent un mortel tango, mortel pour nous : deux pas en arrière, trois pas en avant. Et nous reculons d’autant.
A mes yeux, Larbi, tu confonds la mission qu’avait la commission BADINTER de fixer le cadre d’un Code du Travail à rendre plus clair parce que reformulé, non en mille-feuille, mais en doctrine de référence … et la lutte politique à mener par ceux qui veulent protéger les acquis sociaux et en obtenir de nouveaux, face à ceux à qui des régressions procureraient encore plus de profits.
Le problème actuel, et c’est ce que j’avais traité dans mon billet récent sur la droitisation de notre société ( http://indiscipline.fr/deux-mois-apres-il-refuse-de-comprendre/ ), c’est que le centre de gravité de notre vie politique s’est considérablement déplacé en direction des plus favorisés. Et c’est ça qui est inquiétant.
@Larbi benBelkacem : ” Les classes supérieures, les études supérieures, les races supérieures, tout cela est basé sur le schéma qu’ils se font de l’humanité. La solidarité leur est étrangère, sauf celle de classe.”
Faut peut-être pas exagérer non plus : en France, 80% d’une classe d’âge arrive au bac et peut donc accéder à des études supérieures. Excusez-moi, mais comparer ça avec le nazisme est infect. J’ai fait des études supérieures, et je forme dans le supérieur des centaines d’étudiants chaque année. Parmi ces étudiants, certains (ici à La Réunion) sont sans doute dans une mouise économique qui ferait passer un prolo français de banlieue pour un “bourgeois” (63% de chômeurs chez les moins de 25 ans ici), et ces étudiants comptent sur les études supérieures pour avoir un destin moins merdique que celui de leurs parents. Ce site, où vous écrivez et où vous comparez la “race supérieure” et les “études supérieures” n’existe que parce que des “bourgeois” dans mon genre sont assez cons pour accepter de s’en occuper à leurs heures perdues. Est-ce que nous devons en tirer l’idée que vous, Larbi, vous contribuez à la domination bourgeoise en y écrivant ? Si vous pensez vraiment ce que vous écrivez, alors pour des raisons de cohérence intellectuelle, vous devriez refuser d’écrire ou de lire ce qui s’écrit ici, car sans le “supérieur”, ce site n’aurait jamais existé. L’idée même de “domination” n’aurait aucune consistance intellectuelle sans les travaux d’un sociologue, Pierre Bourdieu, formé à… l’ENS ! Le summum du summum du lieux de la consécration et de la reproduction. Et tiens, je vais en rajouter une couche : Joëlle et moi avons enseigné à l’ENS durant une décennie, et Indiscipline est née dans une ENS. Et je n’en ai pas honte du tout : mes parents étaient de simples instits, et mes grands parents des ouvriers : comme quoi, les schémas définitifs sur la reproduction, bof bof.
Un peu de retenue, quoi, mince ! Et de tact ! J’en ai marre parfois de cet esprit “anar compulsif” à deux balles qu’on trouve partout sur les forums qui se croient de gauche : si on n’a que la lutte des classes versions Groucho Marx (les bons vs les méchants, les gentils prolos tous roses vs les méchants bourgeois dominants, etc.), on n’est pas sortis de l’auberge à sens commun, et c’est pas comme ça qu’on avancera vers une réelle émancipation, et encore moins vers un monde plus égalitaire. parce que le discours victimaire est parfois plus surplombant et méprisant que l’arrogance des dominants. Et parce que si la société se résumait à l’opposition dominés/dominants, alors le monde serait si simple que cette opposition n’aurait pas tenu un siècle. Or, c’est bien la complexité et l’hétérogénéité qu’il faut arriver à penser, en dépassant (d’urgence !) ces schémas sans doute rassurants pour l’ego, mais faux et politiquement inefficaces.
D’une certaine manière, il y a une arrogance de ceux qui, pour revendiquer leur caractère populaire, passent leur temps à utiliser les mêmes armes (mépris, excès, refus des nuances) que les dominants. En gros, les humains ne se résument pas à des classes sociales, pas plus que les destins individuels ne se résument à des pourcentages.
Apparemment, je m’exprime mal puisqu’on me comprend mal. Je ne faisais pas allusion au nazisme mais à Jules Ferry, grand bourgeois, chantre des études supérieures et de la civilisation supérieure à apporter aux races inférieures bénéficiaires du colonialisme et dont le nom figure sur beaucoup de lieux d’enseignement.
Ma charge portait non sur les bourgeois (dont je fais partie par le langage que j’emploie et par mon savoir qui n’est pas inexistant), mais sur les cupides dont les plus nocifs se retrouvent dans la bourgeoisie. Il existe également des prolos cupides mais le rayon d’action de leur nocivité n’a rien à voir avec celui des bourgeois cupides.
Je n’attaque pas les profs mais le système éducatif qui condamne tant d’humains en les convainquant de leur infériorité. La révolte interne est en marche, je l’attends.
Pour la valeur de mon anarchisme, deux balles c’est trop. Comptons en centimes puisque les millimes n’existent pas en Europe. Ou coupons la pièce en tout petits morceaux et un seul suffira.
Si je range, en premier crible, les humains en dominants et dominés c’est que la vie me l’a appris. Après ce premier tri, je sais en faire d’autres, pas à l’infini puisque le nombre des humains est fini. Et quand on lutte contre un incendie, on s’attaque d’abord aux flammes les plus dangereuses.
Je dois manquer de courage puisque je ne me suis pas joint à la pétition demandant ma déchéance de la nationalité française. Je suis binational et Mr Cazeneuve n’aurait pas manqué d’exaucer mon souhait et j’ai eu peur.
J’écris sous mon nom sur internet, ce qui me vaut des menaces de la part de certains, mal intentionnés vis-à-vis d’un apostat. Mais ma lâcheté ne va pas jusqu’à me faire taire.
Mes discours sont hirsutes, et quelquefois il y a une très grosse mèche qui dépasse.
Charbonnier est maître chez lui. Vous êtes maître chez vous.
A vous lire, tous.
Le grand problème avec Jules FERRY c’est qu’il est double. C’est à la fois “l’homme de l’école gratuite et obligatoire”, et celui “du colonialisme triomphant”.
Mais sommes-nous, nous-mêmes, toujours d’une cohérence parfaite ?
Plutôt que sur des noms du passé, avec le risque de commettre de sérieux anachronismes, je préfère les points de vue liés au présent et aux faits.
En construisant une série, par amalgame de tout ce qui peut être accolé au qualificatif supérieur, vous aboutissez à exprimer haine et mépris pour: “ces gens-là”…
Qui ont été au passage un peu spécifié par le personnage des “dames patronnesses” … auquel, bien sûr, personne ne peut s’identifier positivement!
C’est pour exprimer une revendication d’égalité, je crois, et cette revendication est évidemment juste et légitime.
Mais c’est aussi insulter bien des gens qui sont pourtant engagés eux aussi dans la lutte pour l’égalité.
En ce qui me concerne, alors que rien dans mon “origine” (terme que je récuse) familiale ne m’y destinait j’ai pris, personnellement les moyens de faire des études “supérieures”, qui m’ont pris fort longtemps (beaucoup plus de temps que si mes conditions économiques avaient été différentes) pour m’amener aux diplômes, grades et fonctions de professeur d’université. Après avoir enseigné en collège, et en lycée (“technique”), également en IUT, toujours en me battant pour que le plus grand nombre de mes élèves accède égalitairement et librement aux formations, y compris de “haut niveau”, qui leur convenaient. J’ai au total été enseignant 42 ans, poursuivant toujours le projet, et le mettant en pratique, d’un enseignement supérieur pour le plus grand nombre. J’ai très souvent eu la satisfaction de participer à la réussite au plus haut niveau d’étudiant(e)s comme moi “issus” de catégories sociales où la génération précédente avait “arrêté l’école” à 13 ans (comme mon père) ou après un CAP, ou avec un “niveau bac” (c’est-à-dire sans le bac).
L’enseignement supérieur de masse, d’esprit universitaire, c’est-à-dire associé à la recherche et sans séparation des réalités scientifiques, techniques et sociales de monde contemporain.
La défense de l’enseignement supérieur, c’est tout le contraire du racisme.
Ne serait-ce, par ailleurs, que parce qu’un minimum de formation en sciences sociales ou en biologie humaine ruine la notion de race… et, évidemment, avec elle tout idée de hiérarchie entre les races…
Expérience personnelle, moi aussi : En CM2, je passe l’examen d’entrée en sixième. Premier du canton. Le choix du lycée m’est offert par le réglement. Ma mère demande mon inscription en classique (Latin-Grec). “Vous n’y pensez pas ! Un algérien qui ferait des études supérieures !”. On m’inscrit d’autorité en collège technique CAP d’ajusteur, l’aristocratie ouvrière. J’y suis resté jusqu’à mes quatorze ans révolus et suis descendu à la mine le jour de mon anniversaire. J’ai été choyé par certains de mes profs avec lesquels j’ai fait du théâtre et qui m’ont incité à monter une troupe composée de maghrébins, à dix sept ans. Je les révère encore aujourd’hui.
Anarchiste à deux balles dites-vous ! En attendant la révolte interne.
Larbi, tu as lu mon texte de l’autre jour “de l’indiscipline … à la discipline et vice versa”. Ton parcours est plus proche de celui de mon grand-père que de celui des “grands bourgeois” que j’évoquais en parlant de Robert BADINTER.
Les bourgeois sont ce qu’ils sont … nous ne les referons pas, mais tous ceux qui ont placé le respect de l’Homme au-dessus du respect de ce que possèdent matériellement les hommes, et parmi eux tous les enseignants, de l’école maternelle jusqu’à l’Université, ne doivent pas offrir aux puissants (Et non aux “supérieurs”) le plaisir de nous entre-dévorer sur des nuances de formulation.
Haïr les puissants n’apporte pas grand-chose, il vaut mieux les vaincre.
Quand je fréquentais les classes auto-proclamées supérieures, paraphrasant Chimène, j’ai dit à un ploutocrate : “Va ! Je ne te hais point, mais j’essaierais de te vaincre.” Il m’a répondu : “Tu as dejà perdu ! Nous avons, dans ton camp, des alliés inconscients de l’être, et il y a de fortes chance que tu en fasses partie “.
Et c’est vrai, hélas.
C’est tristement lucide.
Il s’agit d’une injustice, raciste et racialiste. Visiblement, vous ne vous en êtes pas laissé abattre et avez conservé votre liberté, et votre volonté de conduire votre vie. Pourtant cette injustice en a été suivie d’une série d’autres…
Des injustices de ce genre j’en ai combattu tout au long de ma carrière (ce qui prouve qu’elles existaient, comme elles existent toujours, et ce n’est pas avec l’actuel gouvernement qu’elles sont près de disparaître…). Combattre ces injustices c’est, accessoirement, défendre l’enseignement supérieur.
Je n’ai parlé nulle part “d’anarchiste à deux balles” … d’autant plus que je ne sais même pas ce que peut signifier cette expression…
Je vois qu’Igor a parlé “d’esprit anar compulsif à deux balles” Venant d’un ex-keupon … j’y vois une invitation à ne pas trop vite sauter sur un mot pour autour de celui ‑ci amalgamer des gens, des idées, des pratiques qui n’ont rien en commun.. et dont certains peuvent légitimement trouver être ainsi traités injustement…
Désolé. J’ai cru que vous aviez lu tout le fil, comme je le fais. Le commentaire d’Igor Babou: “J’en ai marre parfois de cet esprit « anar compulsif » à deux balles qu’on trouve partout sur les forums qui se croient de gauche”. Lecturede mon commentaire et réponse à en 1/4 d’heure, je m’avoue perdant.
Puis-je ? Je crois qu’il y a incompréhension mutuelle. C’est déjà peut-être une question de génération, c’est aussi, à n’en pas douter, une question de provenance (et je dis bien de provenance, pas de “milieu”). Lorsque je lis ce qu’écrivent Igor et Olivier sur l’ouverture que peut apporter l’éducation, l’accès aux études supérieures, les parcours individuels toutes classes sociales confondues ‑il existe bien toujours des différences, mais il n’y a plus de “parcours” empêché‑, je ne peux effectivement qu’être d’accord avec eux. Je vois les mêmes choses, j’ai suivi un parcours similaire, alors que mes grands-parents étaient des ouvriers, des immigrés italiens et mes parents… mes parents ont eu plus de chance, mais cela n’en fait pas des grands-bourgeois quand même. Lorsque je lis Larbi, j’ai le sentiment qu’il a cumulé une double peine, celle d’être un immigré d’un pays du Maghreb, à une époque où les filières dites classiques et conduisant vers l’université leur étaient fermées. Ce n’était pas le cas pour tous les enfants des classes populaires, ni même pour tous les enfants d’immigrés (ceux de l’émigration européenne n’ont pas été concernés). Dans ma génération, déjà, la situation qu’il décrit était impensable. Mais lui est arrivé au mauvais moment, de là où il est arrivé, et son ressentiment d’avoir été privé de quelque chose qui, de fait, pour tous par la suite est devenu possible, alors qu’à le lire il l’aurait largement mérité, je peux l’entendre. Il y est parvenu autrement, par l’art, mais j’entends bien la difficulté d’un chemin qui aurait dû être moins “barré”. Ce que j’entends moins, c’est la remise en cause des lieux de transmissions du savoir, ou leur rejet, pour cause de pseudo appartenance à la “bourgeoisie”, parce que ça je ne l’entendrai jamais. Et, si je puis me permettre, il me semble que Jean-Paul voit juste en écrivant que nous ne devons pas offrir aux “puissants” le plaisir de nous voir nous entre-dévorer. L’ennemi est le même pour 99% d’entre-nous, ouvriers, universitaires, artistes, ou tout ce qu’on voudra d’autre. Et il est le 1% qui reste. Ce qu’il ne nous faut pas perdre de vue.
Bien cordialement, et bonne réconciliation à tous, j’espère. 🙂
Je suis en parfait accord avec ton commentaire, Christine (Peut-être parce que, sensiblement de l’âge de Larbi, mes grands-parents étaient nés socialement très bas, avaient su profiter de l’ascenseur social de la IIème République … mais avaient été soumis à des injustices de castes, et que mon père, ayant accédé à l’élite intellectuelle, aurait pu faire penser qu’il était devenu bourgeois alors que c’est du “petit peuple” qu’il se considérait (J’entends encore mes parents discutant de l’achat de leur première voiture en 1957. Papa avait envie d’une Aronde. Et maman lui disant “Ne trouves-tu pas que c’est un trop beau véhicule pour nous ? Qu’en aurait pensé ton père”).
Chez nous, on ne respectait que l’Homme et on ne concevait qu’un moyen de progresser dans la société, sans devenir “supérieur” pour autant : faire des études.
Je ne pense pas que nous ayons besoin de nous réconcilier … car nous ne sommes pas fâchés par une divergence … heureusement.
Non, bien entendu, nous ne sommes pas fâchés 😉
Christine a certainement raison sur la perspective temporelle, qui inscrit des différences de vécu et crée des incompréhensions.
C’est extrêmement difficile à vivre, pour moi, de lire des procès en “bourgeoisie” et en position de “domination” portées à l’encontre de l’enseignement supérieur. Par ce que nous sommes un certain nombre à avoir lutté, contre nos propres intérêts personnels et de carrière, au sein de l’enseignement supérieur, contre des dominations bureaucratiques et politique qui visaient à éradiquer toute perspective d’émancipation de cet enseignement.
Nous avons perdu, certes, mais si nous avons perdu c’est aussi faute d’avoir obtenu le soutien de la population française qui nous a laissé nous battre seuls face aux prétendues “réformes” du supérieur. Réformes qui n’étaient en fait que des techniques de casse des services publics, et dont le résultat est une éducation à deux vitesses, bien plus inégalitaire qu’avant, et bien plus médiocre et conformiste au plan des contenus.
Indiscipline est né de ces luttes, nous le rappelons dans les textes de présentation du site. Et si on a remis Indiscipline en route, c’est aussi parce que j’en avais plus qu’assez du poujadisme de gauche (ce que je qualifiais d’anarchisme compulsif à deux balles) que je lisais à longueur de discussions sur Médiapart, poujadisme de gauche selon lequel à partir du moment où une personne se présente comme universitaire, ou intellectuelle, ou quoi que ce soit d’autre qu’ouvrier, elle ne pourrait qu’être au service du capitalisme, de la domination, et tout cela évidemment pour défendre ses intérêts de classe. Poujadisme de gauche qui, comme celui de droite, s’accompagne d’un mépris des nuances et de toute forme de savoir constitué sur des concepts ou sur des observations qui ne rentreraient pas dans le sacro saint cadre de la pensée de la domination : dogme laïque et gauchiste, pensée quasiment religieuse (saint Marx protégez les…), pas si nouvelle que ça évidement, pensée qui a bien montré son incapacité à aboutir à une quelconque révolution faute de penser la diversité et l’hétérogénéité des rapports de domination qui n’opposent pas deux catégories monolithiques d’acteurs sociaux, mais des strates composées de discours, d’organisations, d’objets, et d’acteurs enchevêtrés. On peut bien vouer Foucault aux gémonies, chez les adeptes des pensées binaires, il reste bien plus pertinent de penser “les” pouvoirs que “le” pouvoir, du moins si on veut sincèrement progresser contre les dominations, et non se contenter d’incantations sans portée politique.
Larbi, imaginez que je vienne sur un forum de théâtreux ou de danseurs impliqués dans des luttes politiques depuis des années, et que je dise au détour d’une phrase : “le théâtre et la danse, dans leur rapport scène-salle séculaire, n’est qu’un exercice de domination d’une élite sur un public inféodé : l
Non, bien entendu, nous ne sommes pas fâchés 😉
Christine a certainement raison sur la perspective temporelle, qui inscrit des différences de vécu et crée des incompréhensions.
C’est extrêmement difficile à vivre, pour moi, de lire des procès en “bourgeoisie” et en position de “domination” portées à l’encontre de l’enseignement supérieur. Par ce que nous sommes un certain nombre à avoir lutté, contre nos propres intérêts personnels et de carrière, au sein de l’enseignement supérieur, contre des dominations bureaucratiques et politique qui visaient à éradiquer toute perspective d’émancipation de cet enseignement.
Nous avons perdu, certes, mais si nous avons perdu c’est aussi faute d’avoir obtenu le soutien de la population française qui nous a laissé nous battre seuls face aux prétendues “réformes” du supérieur. Réformes qui n’étaient en fait que des techniques de casse des services publics, et dont le résultat est une éducation à deux vitesses, bien plus inégalitaire qu’avant, et bien plus médiocre et conformiste au plan des contenus.
Indiscipline est né de ces luttes, nous le rappelons dans les textes de présentation du site. Et si on a remis Indiscipline en route, c’est aussi parce que j’en avais plus qu’assez du poujadisme de gauche (ce que je qualifiais d’anarchisme compulsif à deux balles) que je lisais à longueur de discussions sur Médiapart, poujadisme de gauche selon lequel à partir du moment où une personne se présente comme universitaire, ou intellectuelle, ou quoi que ce soit d’autre qu’ouvrier, elle ne pourrait qu’être au service du capitalisme, de la domination, et tout cela évidemment pour défendre ses intérêts de classe. Poujadisme de gauche qui, comme celui de droite, s’accompagne d’un mépris des nuances et de toute forme de savoir constitué sur des concepts ou sur des observations qui ne rentreraient pas dans le sacro saint cadre de la pensée de la domination : dogme laïque et gauchiste, pensée quasiment religieuse (saint Marx protégez les…), pas si nouvelle que ça évidement, pensée qui a bien montré son incapacité à aboutir à une quelconque révolution faute de penser la diversité et l’hétérogénéité des rapports de domination qui n’opposent pas deux catégories monolithiques d’acteurs sociaux, mais des strates composées de discours, d’organisations, d’objets, et d’acteurs enchevêtrés. On peut bien vouer Foucault aux gémonies, chez les adeptes des pensées binaires, il reste bien plus pertinent de penser “les” pouvoirs que “le” pouvoir, du moins si on veut sincèrement progresser contre les dominations, et non se contenter d’incantations sans portée politique.
Larbi, imaginez que je vienne sur un forum de théâtreux ou de danseurs impliqués dans des luttes politiques depuis des années, et que je dise au détour d’une phrase : “Le théâtre et la danse, dans leur rapport scène-salle séculaire, n’est qu’un exercice de domination d’une élite auto-proclamée sur un public inféodé : la classe supérieure, la danse, la race supérieure c’est pareil”. Ca énerverait un peu, je pense…
Essayons donc, avant d’écrire, de prendre en compte les lieux où nous écrivons, et les gens qui s’y sont investis. Sinon, Indiscipline finira dans le même bourbier que Médiapart.
Igor, même si j’ai toujours un peu peur que l’auto-censure devienne de la censure tout court … quand je lis : “Sinon, Indiscipline finira dans le même bourbier que Médiapart”, je me dis que ça mérite qu’on veille à éviter ce naufrage.
Heureusement, on en est encore loin !
Oui, mais ça mérite, en effet, de rester vigilant. N’hésitons donc pas à nous signaler, sans agressivité, les dérives éventuelles … auxquelles chacun d’entre nous peut céder … ça sera une bonne façon de s’aider mutuellement à maintenir la qualité d’Indiscipline.
Larbi, imaginez que je vienne sur un forum de théâtreux ou de danseurs impliqués dans des luttes politiques depuis des années, et que je dise au détour d’une phrase : « le théâtre et la danse, dans leur rapport scène-salle séculaire, n’est qu’un exercice de domination d’une élite sur un public inféodé : l
Si surprenant que ça puisse paraître, cette phrase n’est qu’une partie de ce que j’ai dit en 1968 dans un de ces forums, à savoir que nous, du spectacle vivant, devenions des artistes gouvernementaux et que nous participions au fractionnement de la société par son versant culturel. L’art n’a pas à être pédagogique, mais les artistes si. Je reprends souvent cette métaphore d’une recette d’un plat connu de tous : le pot-au-feu. Rien n’a été oublié dans la mise en œuvre, ingrédients, préparation, temps de cuisson, … mais elle est écrite en russe, en alphabet cyrillique et seuls les initiés sont capables de comprendre. Lesdits initiés sont très satisfait de cette différence qui leur permet d’afficher un air de supériorité sur les incultes.
Je défends la pratique d’un spectacle populaire exigeant, qui s’adresse à tous les niveaux de compréhension. Je pourrais m’étendre sur les deux formes d’intelligence que nous possédons, la cérébrale et la sensible, mais je l’ai déjà fait longuement et je crains de lasser.
Sur le litige : j’ai beau me relire vingt fois, je ne vois pas l’insulte aux enseignants dont vous me chargez.
Ces gens-là n’ont jamais souri à un « subalterne » mais à l’image qu’ils s’en font. Les classes supérieures, les études supérieures, les races supérieures, tout cela est basé sur le schéma qu’ils se font de l’humanité. La solidarité leur est étrangère, sauf celle de classe.
“Ces gens-là”, si on se réfère au paragraphe précédent sont ” (…) les riches bourgeois se sentent une âme compatissante, c’est à la façon des dames patronnesses qui savent mieux que nous comment adoucir notre condition”.
Je suis un adepte du “Pourquoi dit-il cela, et pourquoi de cette façon ?”. C’est pour moi la meilleure façon d’entamer un dialogue sans rejet à priori. Associé à “Tourner sept fois la pensée dans son crâne avant d’y réfléchir”, ça permet de séparer le bon grain de l’ivraie.
J’essaie d’être le moins nocif possible, mais parfois, j’oublie de couvrir ma tête en entrant dans une synagogue, et ça choque.
Quant à la perspective temporelle, elle a son importance, c’est vrai, mais uniquement par le nombre de réajustements de la pensée que les années permettent.
@Larbi “Sur le litige : j’ai beau me relire vingt fois, je ne vois pas l’insulte aux enseignants dont vous me chargez.
Ces gens-là n’ont jamais souri à un « subalterne » mais à l’image qu’ils s’en font. Les classes supérieures, les études supérieures, les races supérieures, tout cela est basé sur le schéma qu’ils se font de l’humanité. La solidarité leur est étrangère, sauf celle de classe.
« Ces gens-là », si on se réfère au paragraphe précédent sont » (…) les riches bourgeois se sentent une âme compatissante, c’est à la façon des dames patronnesses qui savent mieux que nous comment adoucir notre condition« .
Je suis un adepte du « Pourquoi dit-il cela, et pourquoi de cette façon ? ». ”
On va dire qu’il y a eu une collision entre une phrase maladroite (de votre part) et une possible surinterprétation (de ma part). Ce qui nous permettra de repartir sur de bonnes bases 😉
Disons que, dans ce que je vois à l’université, je n’arrive pas à faire un lien uniforme et évident entre les classes supérieures ou bourgeoises et les études dites “supérieures” (qui n’ont de “supérieures” que relativement au “secondaire” et au “primaire”, non en soi). Il y a bien longtemps (c’était déjà le cas au début des années 70) que pas mal d’étudiants sont pauvres, voire pour certains dans la misère, avec le lot de précarité, d’obligation de travailler comme caissiers (caissières) au Mc Do, voire de vie sous les ponts ou de prostitution (si si… ça arrive, y compris au plus haut niveau des études doctorales). On a tous des exemples en tête de ces parcours étudiants, qui n’ont rien de bourgeois : juste la classe moyenne paupérisée qui n’accède même pas aux bourses auxquelles certains enfants d’ouvriers accèdent, ce qui conduit au paradoxe que certains enfants de la classe moyenne, en raison des plafonds salariaux d’attribution des bourses (les salaires des parents) deviennent plus précaires que des enfants d’ouvriers. Déjà, en 1966, paraissait un célèbre texte : “De la misère en milieu étudiant”. A lire ici : https://infokiosques.net/lire.php?id_article=14
Où en est-on aujourd’hui ? L’Insee, si on accepte provisoirement ici ses catégories, nous dit ceci au sujet des effectifs étudiants :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF07113
Donc près d’un million et demie d’étudiants rien qu’à l’université en 2014, auxquels il faut rajouter tout le reste (prépas, formations d’ingénieurs, etc.). Un enseignement de masse, donc. Pas réservé à une oligarchie, ni même à une élite.
Bon, et en ce qui concerne la provenance sociale de ces étudiants, l’Insee a aussi des infos :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF07150
Si on prend le commentaire de l’Insee, à cette même page, on peut se dire que la reproduction joue à plein :
“En France métropolitaine et départements d’outre-mer, l’origine sociale des étudiants français évolue très peu d’une année à l’autre. Les étudiants des catégories sociales les plus favorisées continuent à être fortement surreprésentés par rapport aux jeunes de catégories sociales plus modestes : toutes formations confondues, 30 % des étudiants ont des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale tandis que 11 % sont enfants d’ouvriers.”
Oui, mais sauf que l’Insee ne dit pas que ça signifie tout de même que 70% des étudiants ne sont pas issus de familles de cadres supérieurs. Si on oppose ouvriers et cadres sup, alors on reste dans une perspective à la Bourdieu, celle de la reproduction sociale des élites. C’est pas faux. Mais si on regarde la population qui se situe entre ces deux pôles, cela fait 60% d’étudiants qui viennent de cette fameuse et mal définie “classe moyenne”. Mais c’est difficile à catégoriser en termes de capital économique, par exemple, puisque l’Insee amalgame les artisans avec les chefs d’entreprises (il y a tout de même une différence entre être le fils ou la fille du PDG d’Alcatel et le fils ou la fille d’un artisan Plombier).
L’Insee définit ainsi ses catégories (http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/nomencl-prof-cat-socio-profes.htm) :
“La nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles dite PCS a remplacé, en 1982, la CSP. Elle classe la population selon une synthèse de la profession (ou de l’ancienne profession), de la position hiérarchique et du statut (salarié ou non).
Elle comporte trois niveaux d’agrégation emboîtés :
— les groupes socioprofessionnels (8 postes) ;
— les catégories socioprofessionnelles (24 et 42 postes) ;
— les professions (486 postes).
Cette version (PCS-2003) est en vigueur depuis le 1er janvier 2003. Les premier et deuxième niveaux sont restés inchangés par rapport à la version en vigueur de 1982 à 2003.
La rénovation de 2003 a donc porté uniquement sur le troisième niveau qui comprenait 455 postes dans la version 1982. Elle a permis de regrouper des professions dont la distinction était devenue obsolète, et d’en éclater d’autres afin de tenir compte de l’apparition de nouveaux métiers ou de nouvelles fonctions transversales aux différentes activités industrielles.”
…ce qui rend toute tentative de comparaison des origines étudiantes entre avant 1982 et après 1982 hasardeuse. De plus, la nomenclature PCS qui a remplacé les CSP amalgame des professions, des positions hiérarchiques et des statuts : difficile d’en tirer des idées précises sur le niveau de salaire des parents, dans un contexte où il n’y pas plus forcément corrélation entre un statut et un salaire (un artisan peut parfaitement gagner plus qu’un cadre de la fonction publique).
Voilà, c’est en raison à la fois de la perception au cas par cas que j’ai des étudiants que je vois là où je suis (petit bout de la lorgnette) et de ces statistiques de l’Insee (et de la difficulté à les interpréter), que je récuse d’une part les associations directes entre milieux de provenance et accès aux études supérieures, et d’autre part, que je doute de la pertinence d’une représentation de la société en “bourgeois” et “non bourgeois”. Si les choses étaient aussi tranchées, on saurait comment agir et renverser la situation. Le problème, c’est que la réalité sociale est beaucoup plus complexe. C’est ce que nous disent nos expériences de terrain, et les statistiques. Même si personne, bien évidemment, ne néglige les effets de la reproduction sociale des élites.
J’ai des souvenirs similaires, Jean-Paul, et je crois bien que c’est un des premiers. Celui de mon grand-père, qui m’avait offert une poupée noire, discutant avec une jeune ingénieur d’origine africaine. Et ce monsieur, dont avec le recul j’ai compris que cela n’avait pas dû être facile, me demandant si je voulais échanger ma poupée contre une poupée blanche. Je l’ai serrée contre moi, lui ai dit non. Et il m’a demandé pourquoi. J’ai dit, ce qui était la vérité, “parce que je l’aime”. Et je n’ai pas compris alors pourquoi ce monsieur très sérieux a eu les larmes aux yeux. Je me souviens simplement que c’était ce qui comptait pour mon grand-père, l’humanité, et qu’il respectait par dessus tout les études, lui qui n’en avait pas fait, ou très peu. C’est ce qu’il m’a transmis de plus précieux, les deux. La foi en l’être humain quand même et le désir d’apprendre, d’étudier, de transmettre, de chercher. C’était un petit hommage, à lui, pour ce qu’il m’a appris, à toi, pour ton ouverture et ta générosité.
Christine, je n’ai strictement aucun mérite. J’ai eu la chance immense d’être élevé d’une part par des parents ayant de hautes valeurs morales et d’avoir eu, d’autre part, des professeurs remarquables (Comme Olivier TODD, aujourd’hui âgé de quatre-vingt-six ans, avec qui j’ai eu le plaisir de déjeuner ce mardi.
Ceux qui n’ont pas eu de telles chances ne sont pas à blâmer.