Décret sur le doctorat : soupçon, déni de compétences et positivisme naïf
Ecrit par Igor Babou, 16 Oct 2016, 0 commentaire
- Concernant la composition du jury de soutenance : avoir un minimum de 4 membres de jury et un maximum de 8 membres et tendre vers l’équilibre h/f.
- Concernant la soutenance : le directeur de thèse (et autres membres ayant participé à la direction du doctorant) participe(nt) à la soutenance mais ne prennent pas part à la délibération.
Je ne sais pas si les auteurs de ce décret en mesurent bien les conséquences…
Quand on participe régulièrement à des jurys de thèses, on sait bien que la présence du directeur de thèse aux délibérations du jury est essentielle pour permettre aux membres du jury de se faire une idée du contexte institutionnel, et personnel, de réalisation de la thèse. On a tous et toutes eu à discuter de points contextuels de ce type, que l’on ait été directeur ou évaluateur d’une thèse. Ces discussions permettent par exemple de bien mesurer les conséquences du choix d’une mention, de comprendre les objectifs professionnels du doctorant ou de la doctorante, de débattre en commun du type de commentaire qui sera annexé au rapport de soutenance, etc.
Mais la représentation que se fait le ministère de notre travail semble être celle où les directeurs ou directrices de thèse, forcément suspect(e)s d’intentions maléfiques, fausseraient perfidement le jugement du jury. Car je suppose que si l’on exclut maintenant les directeurs ou directrices de thèse des délibérations c’est que l’on estime qu’ils feraient pression, ou se livreraient à d’obscures manœuvres en faveur du doctorant ou de la doctorante. Il n’est pas venu à l’idée du législateur qu’un directeur ou une directrice de thèse peut tout aussi bien préférer n’exercer aucune influence sur ses collègues, par simple respect de leurs compétences… l’ère du soupçon généralisé et d’un positivisme naïf — car il s’agit bien de cela, qui consiste à croire que toute prise en considération de facteurs humains serait forcément préjudiciable à l’exercice d’un jugement reposant sur une rationalité abstraite — aura ici eu raison du bon sens : ne tenant aucun compte de la réalité des pratiques, ce décret ne permet plus de contextualiser le travail des candidats au cours des délibérations des jurys. Et voilà les directeurs et directrices de thèse désigné(e)s à la vindicte : ah ! Si au moins on pouvait les remplacer par des ordinateurs quantiques programmés par de brillants didacticiens de la thèse, si possible contrôlés par quelque bureaucrate ministérieux ! On aurait alors un jugement rationnel absolument dégagé de toutes les turpitudes humaines : la Vérité d’une thèse, sa dose d’excellence, son sens profond, apparaîtraient dans un chemin de lumière au sein du ciel radieux de la Science Pure. Si, si. C’est le Ministère qui le pense, donc c’est vrai.
Et une fois de plus, on prive l’université d’espaces de débat critique. Car d’une part, il n’y a pas eu de débat concernant cette mesure : qui a été consulté ? Quand ? D’autre part, les débats de soutenances avec le jury sont aussi intéressants pour nous, qui dirigeons des thèses, que pour les autres membres du jury : sans la présence du directeur ou de la directrice de thèse, ils ne seront pas moins susceptibles d’être sujets à des jugements personnels ou à des conflits académiques, mais en plus on aura perdu une occasion de débattre lors des jurys.
Qui sait si on ne devra pas en plus attendre, derrière la porte de la salle des thèses, aussi anxieux que les candidats, la fin des délibération et l’arrivée des membres qui ne seront plus dès lors nos collègues, mais qui seront devenus nos évaluateurs…
Merci, donc, à ce gouvernement du mépris de nous avoir, durant des années, démontré que la gauche ne valait finalement pas mieux dans son rapport aux intellectuels et au savoir que la droite la plus réactionnaire. Nous saurons en tirer les leçons en 2017.
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