Nice
Ecrit par Joëlle Le Marec, 15 Juil 2016, 1 commentaire
Qu’est ce qu’on peut faire? Comment faire? Ce matin je ne sais pas comment faire. En bruit de fond il y a l’attentat de Nice encore un attentat, les victimes, l’effroi encore, les souffrances inouïes, des réactions qui suivent.
Le caractère totalement incompréhensible des décisions et des actions de ceux qui prévoient et commettent les attentats.
Les déclarations de responsables politiques envahis par une anesthésiante bêtise (Estrosi.…), et qui veulent en découdre. On a beau donner des explications à tout…La seule chose que je comprends c’est que la plupart des êtres humains aspirent à des choses qui se partagent assez facilement : une vie chouette, des liens forts, les espoirs les choses à faire, le chagrins évidemment aussi mais les efforts pour que malgré tout le chagrin soit contenu, circonscrit quand il arrive, pour que la vie reprenne le dessus toujours. Les conditions ne sont pas réunies pour de très nombreuses populations et individus : l’accès à une vie ordinaire décente leur est impossible et il n’est pas une priorité collective. Quelques êtres humains aspirent à autre chose encore : ils veulent imposer, transformer, modeler, détruire éventuellement la vie de millions de gens, de milliers, de centaines, de dizaines, au nom d’une idéologie, d’une foi, d’une autorité, de certitudes. Immense fatras ahurissant, épuisant, écœurant, de plans politiques, religieux, économiques, élaborés par des personnes qui décident de transformer les vies d’autrui irrémédiablement pour des idées, des projections, des “réalités”. Se débarrasser du kitsch mortel des visées générales religiodélirantes, scientificodélirantes économicodélirantes. Seul le quotidien est le terreau de ce qui est vivant. Ne rien vouloir d’autre, chacun, que les conditions qui permettent un quotidien correct pour chacun, avec un impératif d’égalité qui suffirait presque, puisqu’il implique une attention réelle et sensible, donc fraternelle, si on ne raisonne pas dans des modèles généraux.
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Nos gouvernants font preuve d’une totale incompétence, et pire, ils sont en partie responsables, par l’incohérence de la politique extérieure de la France depuis plusieurs années, de ces vagues d’attentats : quand on vend des avions de chasse à des pays totalitaires qui financent DAESH, ou quand on soutient militairement un boucher comme Bachar Al Assad sous prétexte qu’il serait un rempart contre l’islamisme, on ne peut que se prendre le retour de boomerang du terrorisme… Sans compter la démagogie politique consistant à prétendre que l’état d’urgence devrait être prolongé, alors que cet attentat vient d’être commis dans une période d’état d’urgence et que cela n’a servi à rien, justement… Sans oublier le refus de s’appuyer sur des savoirs (la sociologie serait une “culture de l’excuse”…) pour analyser les problèmes, ce qui conduit à ne penser les problèmes qu’à travers le filtre des idéologies sécuritaires, de la réaction pulsionnelle immédiate, et de l’audimat. Car les médias font partie intégrante du système terroriste : ces attentats de masse ne seraient pas commis s’ils n’étaient pas complaisamment relayés par des médias avides d’images de sang, de massacres, et pour qui tout est bon pour vendre de l’audience à leurs annonceurs. On a vu la dernière fois l’ignoble attitude de BFM TV, qui a fait courir des risques mortels aux policiers et aux personnes enfermées dans le Bataclan en diffusant des infos stratégiques pouvant être exploitées par les terroristes : cette chaine a‑t-elle eu à en subir les conséquences ? Même pas. A‑t-elle changé d’attitude ? J’en doute… Les autres sont-elles si différentes ? Pas vraiment…
Incompétence, démagogie, incohérence géopolitique, refus des analyses problématisés des problèmes, système médiatico-terroriste : tout cela concourt en effet à ce que les questions qui se posent deviennent “que puis-je faire, moi, de là où je suis ?”. As-tu entendu le discours de Hollande suite à ce massacre ? Je n’ai jamais entendu phrases plus creuses, et pensée plus plate : on ne sentait que la culture stéréotypée du communicant qui a du lui rédiger son speech. Que dans des moments pareils, on n’ait que des nains de la pensée comme Hollande, Valls, et Cazeneuve à se mettre sous la dent donne la mesure du problème… Nos gouvernants sont dangereux, et c’est à nous, malheureusement, de nous demander d’une part comment nous en débarrasser avant qu’il soit trop tard, et aussi de réfléchir à ce que nous pouvons faire, individuellement, puisqu’il est devenu évident qu’aucune réponse adaptée et rationnelle ne viendra de l’État.
En tant qu’enseignants, qu’universitaires, on sait bien ce que nous pouvons faire sur le terrain qui est le notre : porter la critique là où elle fait mal. Poser des analyses dans nos domaines, même s’ils ne concernent pas le terrorisme ou les fanatismes religieux, de façon à ce qu’une pensée humaniste (revisitée à la lueur des urgences environnementales, mais c’est un autre aspect du problème) puisse exister dans l’océan de merdicité bureaucratique, utilitariste et économiciste qui nous submerge : faire en sorte que nos élèves, nos étudiants, sortent de nos cours à chaque fois un peu plus érudits, un peu plus outillés pour la critique et pour l’analyse des grands enjeux contemporains. Or, c’est justement là que le bat blesse : tu sais aussi bien que moi que tout a été fait par les politiques depuis les années 2000 pour empêcher que s’exprime et se transmette, dans les institutions éducatives, une pensée humaniste et critique, celle des sciences humaines et sociales, et des Lettres. Le tout au nom de dogmes dont toi et moi dénoncions ici même, il y a plus de 15 ans, la perversité et les dangers : nous y voilà, confrontés au type de danger que nous prévoyions, mais que personne ne voulait voir à l’époque.
Donc, à la question du “que faire”, je répondrais : faire ce que nous avons toujours fait, en toute modestie mais avec une exigence intacte, c’est à dire faire exister et transmettre les formes de pensée et d’action basées sur une éthique de la responsabilisation, de l’émancipation, et de la subversion des ordres établis quand ceux-ci s’opposent à l’émancipation. Cela revient aussi à continuer à lutter contre nos propres tutelles (celles de nos présidences d’établissements et de nos ministères), qui sont nos ennemis autant qu’ils sont les ennemis de la population, puisqu’ils ne se mettent au service que du marché et de l’innovation technologique. Comme le disait Isabelle Stengers, nous devons “cultiver une déloyauté envers nos gouvernants”. En gros : une éthique de la désobéissance civile !