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Les trottoirs du quai Branly


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Jan­vier 2007. Je découvre pour la pre­mière fois le musée du Quai Bran­ly. Je n’étais guère pres­sée de m’y pré­ci­pi­ter, mais je dois assis­ter à une mani­fes­ta­tion qui s’y déroule, un sémi­naire de recherche orga­ni­sé par une équipe de recherche de l’EHESS, sémi­naire qua­si clan­des­tin sans avoir cher­ché à l’être, non signa­lé, non flé­ché. L’institution génère ses inter­stices, ses pan­neaux sau­vages. Pour le moment je longe le bâti­ment, les jar­dins, le mur rouge, les plantes. Il y a du charme dans cette grande façade noyée dans la végé­ta­tion, même si tout chu­chote pesam­ment le dis­cours du Grand Archi­tecte, les méta­phores trop évi­dentes, la n‑ième décli­nai­son d’une avant-garde aca­dé­mique sup­po­sée ques­tion­ner des formes conve­nues. Nous tra­ver­sons une allée au milieu du jar­din pari­sien, pour sor­tir déjeu­ner. En fran­chis­sant la porte d’accès à la rue, nous décou­vrons sur le trot­toir que nous lon­geons à pied une ribam­belle d’enfants assis par terre sur le bord de l’enceinte. Ils ouvrent leurs sacs à dos colo­rés et déballent les sand­wichs, les canettes, les pommes, ils les posent sur les plas­tiques à terre ou sur le rebord, les maî­tresses regardent anxieu­se­ment les ins­tal­la­tions, redoutent pour l’hygiène, le confort. Ils sont très jeunes, 4 ou 5 ans, à la fois calmes et ani­més, minus­cules et nom­breux, ran­gés à l’ombre du bâti­ment du Grand Archi­tecte. Pour le moment ils n’en veulent à per­sonne parce que les puis­sances et les adultes ont pré­vu les choses telles qu’elles sont. Il n’y a pas de place pour eux dans le musée, il n’y a pas de place pour eux dans les jar­dins. Ils déjeunent sur le trot­toir hors de l’enceinte du musée, un de ces musées du XXIème siècle trop occu­pés à regar­der vers l’avenir pour aper­ce­voir son tout jeune public refou­lé à la rue. D’ailleurs qui pour­rait le voir ? Le musée du Quai Bran­ly et les musées du XXIème siècle sont fiers de sous-trai­ter la tota­li­té de l’accueil et de la média­tion à des socié­tés exté­rieures. Les enfants déploient bien mieux que ne pour­rait jamais le faire aucune expo­si­tion sur les cultures du monde le spec­tacle poi­gnant de la diver­si­té humaine : tresses ser­rées et che­veux blonds, grands yeux noirs, peaux sombres et tâches de rous­seur, marques et impri­més contem­plés un jour, igno­rés depuis. Ils font à la fois plai­sir et mal à voir. Ils sont venus aujourd’hui avec leur maî­tresse visi­ter le musée des cultures du Monde, ils ont tra­ver­sé un jar­din, ils ont regar­dé, écou­té, ils sont à face aux voi­tures et aux pots d’échappement, ser­rés comme des hiron­delles, tâchant de ne pas mettre le pain sur le trot­toir. Mon voi­sin conser­va­teur, venu à Paris décou­vrir le musée du quai Bran­ly, empoi­gné par la vision, sai­sit son appa­reil pho­to et pho­to­gra­phie le scan­dale. C’est l’image qu’il gar­de­ra du musée du Quai Bran­ly à Paris.

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