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Les mauvais arguments d’Habermas contre le changement en France


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Jûr­gen Haber­mas répond à l’invitation du « Monde » et de la « Zeit » pour pré­sen­ter la vic­toire, pré­co­ce­ment pré­sen­tée comme « éven­tuelle », d’Emmanuel Macron à l’élection pré­si­den­tielle fran­çaise comme la « pos­si­bi­li­té de faire voler en éclats l’opposition sclé­ro­sée entre la droite et la gauche et d’endiguer en par­tie l’essor du Front national ».

On n’insistera pas sur le fait que « faire voler en éclats l’opposition droite/gauche » est un trait consti­tu­tif du dis­cours du Front Natio­nal, comme aus­si une antienne constante du centre-droit, épris de « bonnes volon­tés » et de « réa­lisme » pour conduire au mieux le capi­ta­lisme vers le pro­fit. Ce dis­cours est celui de ceux qui n’assument pas de quel côté ils sont dans la lutte contre l’inégalité dans la socié­té capi­ta­liste avan­cée, celui des pos­sé­dants et des dominants.

En fait Haber­mas embouche la trom­pette d’En Marche pour un objec­tif qu’il défi­nit clai­re­ment, après plu­sieurs para­graphes de pré­cau­tions rhétoriques :

« Après le Brexit et Trump, un noyau dur euro­péen capable d’agir à l’échelle glo­bale, parce que nos Etats-nations sont trop faibles pour que cha­cun puisse, à titre indi­vi­duel, dans son coin, défendre notre forme de vie libé­rale et exer­cer une influence, en le façon­nant poli­ti­que­ment, sur un capi­ta­lisme finan­cier deve­nu fou ? »

Macron est donc à sou­te­nir pour son européisme.

Cet euro­péisme serait jus­ti­fié par … « la défense par le noyau dur de l’Europe de notre forme de vie libé­rale contre un capi­ta­lisme finan­cier deve­nu fou ».

On ne dira pas qu’on « croit rêver »… Puisqu’il s’agit bien là d’un rêve. Un rêve exac­te­ment inverse de la réa­li­té. Réa­li­té dans laquelle … le noyau dur de l’Europe façonne notre mode de vie pour le plier à la folie du capi­ta­lisme finan­cier, et non le contraire.

On peut donc dif­fi­ci­le­ment sou­te­nir … ce sou­tien d’Habermas à Macron, puisqu’il s’agirait de recon­duire l’européisme tel qu’il est, tel qu’il se pra­tique. L’européisme qui plie l’économie, la culture, la san­té, l’environnement, les trans­ports, les com­mu­ni­ca­tions à la dure loi de la finance. Qui ne connaît d’autre valeur que la libre concur­rence et la loi des mar­chés. Qui met la poli­tique finan­cière des états sous la tutelle de banques indé­pen­dantes. Qui voit dans tout ser­vice public une entorse à la liber­té de faire du pro­fit sur les biens et besoins com­muns des citoyens.

Haber­mas s’adresse prin­ci­pa­le­ment à ses « col­lègues » et dans le but d’en pré­ve­nir la « dépression :

« J’observe une cer­taine ten­dance à la dépres­sion chez mes col­lègues fran­çais. Tant que l’on se contente de se lamen­ter face à une situa­tion de plus en plus cri­tique, on demeure soi-même un symp­tôme de la situa­tion en question »

On pren­dra donc l’exemple de l’université, que l’européisme est occu­pé à trans­for­mer, depuis 1991 et la « Confé­rence de Bologne » en un « sys­tème unique d’enseignement supé­rieur et de recherche euro­péen », dévoué à la ren­ta­bi­li­té finan­cière rapide de la recherche et à la ren­ta­bi­li­sa­tion de l’enseignement uni­ver­si­taire par le sys­tème de la dette étu­diante, qui fait l’université ren­table à court terme pour les banques même si les étu­diants y sont perdants…

Pour­sui­vant son pro­pos de nous ral­lier à Macron pour son dévoue­ment à la cause euro­péenne, Haber­mas aligne ensuite les argu­ments habi­tuels des défen­seurs du « pro­jet euro­péen » et nous assène l’un après l’autre deux énon­cés « de bon sens » qui ont pour­tant la par­ti­cu­la­ri­té d’être contradictoires :

1 : « c’est l’incapacité des gou­ver­ne­ments natio­naux à tra­vailler en bonne entente à Bruxelles qui est pour l’essentiel à l’origine de l’émergence du popu­lisme de droite.

Et 2 : « En réa­li­té, tous ceux qui viennent s’asseoir à la table de négo­cia­tion pour dire amen à toutes les poli­tiques qui y sont adop­tées ne sont nuls autres que les poli­tiques au pou­voir dans chaque pays membre. »

Le lec­teur doit il consi­dé­rer que les gou­ver­ne­ments divergent et se que­rellent ou qu’ils disent amen sans discuter ?

Le phi­lo­sophe ne devrait-il pas choi­sir entre ces deux pro­po­si­tions contra­dic­toires… ou renon­cer aux deux.

Deux pro­po­si­tions ne peuvent se contre­dire si elles sont toutes les deux vraies, mais au contraire leur contra­dic­tion, en dépit de leur appa­rent bon sens, nous fait nous deman­der si elles ne sont pas toutes les deux fausses.

Car le pro­blème de l’Europe n’est pas dans la mau­vaise entente des gou­ver­ne­ments, mais dans le fait que les gou­ver­ne­ments bar­guignent comme lar­rons en foire, avec une com­mis­sion et un conseil qui ne sont que les clubs des exé­cu­tifs. Les par­le­ments, natio­naux comme aus­si le pseu­do « par­le­ment euro­péen », sont hors du jeu. Les citoyens, qui ne s’y trompent pas et se mêlent peu des illu­soires « élec­tions » euro­péennes sont hors-jeu.

L’institution euro­péenne est le lieu d’un dés­équi­libre fla­grant des pou­voirs, les exé­cu­tifs y règnent en maître, loin des citoyens et de toute démo­cra­tie. Ils suivent donc leur pente natu­relle : défendre le capi­ta­lisme finan­cier contre notre mode de vie « libé­ral », au sens peu usi­té de démocratique.

Voi­là pour­quoi une lec­ture atten­tive du plai­doyer d’Habermas pour l’intronisation de l’héritier direct de Fran­çois Hol­lande ne peut que nous conduire à reje­ter ses argu­ments et nous détour­ner de ce candidat.

D’autant plus que recon­duire le social libé­ra­lisme euro­péiste à la Pré­si­dence de la Répu­blique ne peut que nous conduire dans cinq ans à cher­cher dans ceux qui sont la cause et les pro­fi­teurs de la mon­tée de l’extrême droite un fal­la­cieux rem­part contre la même extrême droite.

Jusqu’au jour ou un Trump triomphe d’une Clinton…

Il faut cas­ser ce méca­nisme infer­nal. Un can­di­dat le pro­pose, celui des Insoumis…

 

 

 

 
c’est l’incapacité des gou­ver­ne­ments natio­naux à tra­vailler en bonne entente à Bruxelles qui est pour l’essentiel à l’origine de l’émergence du popu­lisme de droite.

 

(…)
En réa­li­té, tous ceux qui viennent s’asseoir à la table de négo­cia­tion pour dire amen à toutes les poli­tiques qui y sont adop­tées ne sont nuls autres que les poli­tiques au pou­voir dans chaque pays membre.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/19/jurgen-habermas-une-rupture-dans-l-histoire-de-la-republique-francaise_5113521_3232.html#iCRy4GP6TmIfJlHz.99

 

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2 réponses “Les mauvais arguments d’Habermas contre le changement en France”

  1. Avatar photo 21 avril 2017 à 9 h 01 min

    Haber­mas avait déjà été cri­ti­qué, au début des années 70 si je ne m’a­buse, pour être deve­nu un chantre de la social-démo­cra­tie (tra­dui­sez : du par­le­men­ta­risme au ser­vice du capi­ta­lisme). N’ayant pas sui­vi les débats à l’é­poque (car trop jeune), je res­tais scep­tique sur ces cri­tiques, mais là on voit bien qu’en vieillis­sant il enfonce le clou. Ce qui est inté­res­sant, au pas­sage, quand on creuse un peu l’his­toire des théo­ri­ciens de la dite “École de Franc­fort” (qui n’a jamais été une “école” au sens d’un groupe ensei­gnant une doc­trine uni­fiée, mais pas­sons), comme l’a fait Rolf Wig­ger­shaus dans sa thèse (publiée aux PUF, un sacré pavé, mais sur­tout un gros tra­vail sur les archives per­son­nelles d’A­dor­no, Hor­khei­mer, Mar­cuse, Haber­mas, etc.), c’est que ces théo­ri­ciens “cri­tiques”, mar­xistes et post-mar­xistes, ont tous vou­lu vivre comme des grands bour­geois, avec des exi­gences éco­no­miques, de confort et de légi­ti­mi­té inac­ces­sibles au com­mun des mor­tels qu’ils étaient sup­po­sés défendre. Les cor­res­pon­dance d’A­dor­no et d’Hor­khei­mer sont à ce sujet assez édi­fiantes. On reste scié en se ren­dant compte des bases per­son­nelles très “bour­geoises” sur les­quelles ces intel­lec­tuels ont assis leurs théo­ries cri­tiques. Depuis cette lec­ture édi­fiante, et depuis que j’ai lu la prose de cer­tains sui­veurs contem­po­rains de la théo­rie cri­tique, j’a­voue avoir ouvert les yeux et ne plus sup­por­ter cette théo­rie cri­tique bour­geoise, arro­gante et sur­plom­bante tota­le­ment euro­péo-cen­trée et indif­fé­rente aux réa­li­tés sociales, cultu­relles et post-colo­niales de la moder­ni­té. Lisons plu­tôt Boa­ven­tu­ra De Sou­sa San­tos, pour en finir avec ce type de faux sem­blants. Je te conseille, de manière urgente, ce livre qui vise à décons­truire l’eu­ro­péo-cen­trisme de la cri­tique sur des bases ouvertes à l’al­ter­mon­dia­lisme et à la jus­tice cognitive :

     

  2. 22 avril 2017 à 15 h 24 min

    Mer­ci pour ce com­men­taire. Concer­nant “le par­le­men­ta­risme au ser­vice du capi­ta­lisme”, c’est pré­ci­sé­ment ce que sou­te­nait Haber­mas lors de la dési­gna­tion du “pré­sident de Par­le­ment Euro­péen” où il sou­te­nait la néces­si­té d’é­lire le néo-libé­ral, au nom de la … légi­ti­mi­té des élec­tions européennes.Dans tenir compte du dis­cré­dit fla­grant de ces élec­tions dans les élec­to­rats (pas) concer­nés… qui au 4/5 s’en désintéressent.

    Mer­ci pour la piste de lecture!

     

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