Une réponse de chercheurs précaires a Mr. Trautmann (Sauvons La Recherche)
Ecrit par TEXEROLAS, 26 Juin 2008, 0 commentaire
Appel à vous : J’ouvre ce blog aux intellos précaires, ouvriers du savoir, aux non-titulaires-en-attente-de-mieux, aux titulaires-qui-sont-passés-par-là, aux esclaves des mandarins, aux Lupen de « l’intelligence ».
Je souhaite relever la tête, recueillir des témoignages, pour créer un dialogue, élaborer un réseau de solidarité, pour dépasser la concurrence de chacun contre chacun, cette guérilla idéologique individuelle qui ne mène nulle part…
http://precairedusavoir.over-blog.com/
Sauvons la recherche nous a appellé à la rescousse jeudi 19 juin à 8h 30 pour sauver le CNRS et “pour un monde meilleur”
tant qu’à faire…
Que puis-je faire pour défendre l’enseignement et la recherche le 19 juin ?
SLR propose les actions suivantes, j’expose mon point de vue.
Venir (dès 8h) participer au blocage du CA du CNRS à Paris.
Je vais y aller, et demander aux présents combien sont titulaires, combien sont précaires, ha non ! Demain matin je surveille des examens pour l’éducation nationale (il faut bien vivre).
Inciter le directeur de mon laboratoire ou/et de mon UFR à organiser une réunion pour discuter et préparer le 19 juin : les conditions posées et la portée de la grève administrative ;
(rire) Je suis suspect pour le moins depuis mes sorties sur SLR, il y a 4 ans. à l’époque mon directeur de labo à démissionné, puis réintégré son poste, tranquille. Quant à moi et mes co-disciples nous sommes toujours aussi précaires. Ah oui, ce directeur fait indéniablement partie des mandarins…
Afficher l’appel sur la porte de mon bureau ;
C’est une bonne idée, mais au fait il est où ? Pourtant c’est ma cinquième année d’enseignement à l’université je devrais le savoir où qu’il est ce bureau…
Diffuser l’appel dans mes réseaux ;
Hi Hi, tiens je vais l’envoyer à ma mailing-list de chercheurs précaires et autres travailleurs du savoir et artistes… pourquoi pas chez Kalai ?
Diffuser l’appel des médaillés du CNRS et en contacter de nouveaux
Oula… pas beaucoup de médaillés CNRS dans mon carnet d’adresses, c’est donc pour ça que je n’y suis pas recruté… Je me refuse à y croire.
M’informer sur l’ANR ;
Quant je propose un projet de recherche à l’ANR c’est pour croûter pas pour acheter une maison secondaire, je les connais bien… Quoi il y aurait des membres de SLR à l’ANR ? impossible !
ou le financement de la recherche :
Je sais bien, je travaille dans des locaux où les plafonds risquent de tomber…
le budget de la recherche (4 pages + annexes) ;
Faible ou élevé je reste un esclave intermittent, j’ai pas vraiment le temps de lire ça
le crédit impôt-recherche (2 pages) ;
Moins d’impôts, plus de fondations et de mécénat, il faudra pleurer auprès d’un prince pour avoir quelques miettes, c’est déjà le cas, mais en plus il faut cirer des pompes mandarinales, pas le temps de lire non plus et je dois finir cet article, il faut soumettre (nos articles) avant les départs en vacances car nos “pairs” qui nous expertisent en toute indépendance et qui partent en vacances eux…
pardon pour l’accent populiste…
Bon j’y retourne,
Pour que cela soit clair, je suis totalement opposé à ces « réformes ». Mais je suis trop précaire pour lutter avec SLR demain matin…
Si SLR organise un rdv de précaires sans titulaires, j’y serais…
Suite a ce texte : “SLR t’appelle…” Mr Trautmann a répondu :
Bonjour
J’ai mis votre texte sur le site.
Je comprends votre amertume, mais je ne crois pas qu’opposer précaires et titulaires puisse apporter la moindre solution.
La solidarité, oui (même si elle est, hélas, bien rare). La division, non.
Bien cordialement
Alain Trautmann
La solidité d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible…
Mr Trautmann, j’ai grand respect pour votre travail et pour votre action ; néanmoins je crois que vous ne comprenez pas notre amertume. Notre, car nous sommes très nombreux, à avoir marché avec vous et à ne plus le faire.
Cela se sent très bien dans la mobilisation (et cela n’a pas échappé au pouvoir en place).
Vous ne pouvez pas comprendre ce que vous ne vivez pas (depuis et pour des années)…
L’impossibilité de vivre d’un travail qui nous prend entièrement nos vies familiales et sociales.
La quasi-impossibilité pour les femmes de faire des enfants sereinement avant d’être recrutées. Je vous passe les histoires sordides (suicides et autre) : inutile de faire pleurer dans les chaumières.
Pensez seulement, en tant que scientifique-devant-faire-ses-preuves (pendant 10 ans, parfois plus) à l’obligation de donner la paternité de travaux aux rois UBU des labos, se taire sur le plagiat, la désinformation sur les risques sanitaires, la fraude scientifique, ou les mascarades scientifico-académiques, l’obligation d’avaler toutes les couleuvres, ces humiliations en échange de médailles en chocolat.
Monsieur, par solidarité, avez-vous déjà vécu de défraiements, de carte de photocopies et de livres gratuits ?
Imaginez-vous seulement la peur que nous pouvons ressentir à vieillir dans ces conditions… ? Ce ne sont pas des invectives personnelles, mais c’est notre réalité.
Ces choses et bien d’autres durent, vous les avez peut être connues en votre temps mais croyez nous, ce n’est pas une bohème ou une initiation surtout quand ces situations durent des années dans les conditions que nous vivons jour et nuit…
De l’intérêt “d’opposer” titulaires et précaires : AUCUN, je suis bien d’accord avec vous.
Cependant, vous en conviendrez que la plupart des titulaires acceptent que nous fassions le même travail qu’eux (voire bien plus) pour des promesses, rien, et finalement si peu.
Certains titulaires ignorent ou feignent franchement d’ignorer qu’un grand nombre de précaires travaille à ses côtés depuis des années.
Certains « militants » de la cause de la recherche sont des mandarins et se fichent éperdument du sort de leurs petits thésards, ou post doc, ATER à mi-temps et autres intermittents de la recherche.
Nous sommes sous la coupe de ces gens qui laissent la sélection académique se faire bonant malant sur concours d’allégeance à leur petite personne.
Les mouvements de chercheurs n’évoquent que très rarement et plutôt en fin de tract le sort des précaires, c’est un peu court après 4 ans…
En 2004, il y avait beaucoup de précaires dans la rue (jeunes et vieux). Nous avons marché pour vous. Comment expliquez vous aujourd’hui la quasi-absence des précaires dans votre mouvement ?
Manque de solidarité. Que s’est il produit en 4 ans ? Combien parmi ceux là sont encore en grande précarité ? Nous sommes trop invisibles, inaudibles, inconsistants, trop mobiles d’un lieu et d’un espace du savoir à l’autre.
Aucun syndicat ou asso si respectable qu’ils puissent être ne nous défendra…
Alors nous venons simplement vous rappeler ce hiatus entre ce que vous prônez “pour la recherche” et la manière dont les titulaires seniors administrent leurs labos depuis des années.
Suite à 2004, vous, nos chefs, avez accepté des crédits de la nouvelle ANR. Combien de mandarins de toutes les démissions administratives et pétitions de principe ont capté des places dans cette “chose” ? Combien se sont arrangé entre amis pour faire monter leurs carrières individuelles sur la base d’appels d’offre rédigés par des précaires ? Combien siègent au CNU ou à la CPU à present, ou servent d’experts ad-hoc au gouvernement ? Combien d’entre eux se sont restés silencieux face à la LRU, ont accepté il y a quelques mois de participer aux mascarades entre-soi, de la toute fraîche AERES ? Qui accepte le plan CAMPUS financé par la privatisation de EDF ? En somme, qui doit-on sauver : certains de ceux qui nous oppriment ?
Pire encore, certains mandarins et autres opportunistes à courte vue anticipent et se frottent les mains. Ils comprennent très bien que les dérogations de droit privé qui leur permettront de créer de petites filiales bien juteuses, toutes prêtes à suivre les financiers donneurs d’ordres. Ces gens formés sur dénier public par et pour le service public. Devons-nous encore leur servir de marche-pied par solidarité ?
Alors je vous pose la question. Si demain le CNRS n’est pas démantelé, l’université n’est pas privatisée, que l’enseignement secondaire et primaire sont restaurés, en somme que les engagements régaliens de l’états sont pérennisés et respectés, pensez-vous que les titulaires resteront mobilisés pour nous ? Non, car une partie de nos intérêts divergent, beaucoup de titulaires dépendent du travail gratuit des précaires, beaucoup de précaires connaissent les “petits arrangements” de leurs patrons titulaires.
Aussi, les contractuels le resteront, profs auxiliaires de remplacement, pigistes de la recherche, les précaires de toute sorte continueront à faire tampon. Nous n’en serons pas satisfait, car justement nous sommes solidaires mais pas seulement des chercheurs. La solidarité n’est pas à sens unique…
L’information doit sortir. On ne peut pas prétendre sauver la recherche sans s’occuper en priorité de cette honte qu’est l’académie (avec ses esclaves pour la cause, ses concours notoirement bidons au CNRS et dans les facs, l’exploitation dans les labos mais aussi dans les média et la culture). On ne peut pas prétendre à donner des leçons de solidarité et d’ouverture quand on accepte le culte de la concurrence et l’hyper-spécialisation comme credo de formation des chercheurs tout en pérorant sur la collaboration et l’ouverture…
À moins que par solidarité vous ne vous engagiez clairement dans ce sens, en commençant à causer avec les précaires qui sont peut-être chez vos collègues, chez vos éditeurs, chez les journalistes qui viennent vous interroger. En nous aidant à sortir de l’anonymat sans risquer de perdre le peu ou le pas grand chose néanmoins vital.
Concrètement, dans le secteur de la recherche par exemple :
Pourquoi ne pas intervenir pour les docteurs et doctorants étrangers en France qui connaissent des situations incroyables. Il y a aussi des sans papiers en troisième cycle. Alors, pourquoi ne pas exiger la fin du décret n° 87–889 du 29 oct. 1987 qui interdit les postes temporaires aux chômeurs de troisième cycle ou docteurs de plus de 28 ans et les réserve aux titulaires ou déjà en poste ? Vous savez que ces deux seules situations entraînent des abus et injustices en cascades (usage de faux contrats de travail, népotisme, marchandages des heures au noir avec des précaires, et là encore il y a bien à dire…).
En ce qui concerne les doctorants, pourquoi ne pas revendiquer (pas seulement en pétition) la fin du travail au noir des doctorants et post-doctorants sous forme de libéralités (bourses) sans droits, sans sécurité sociale ?
En somme, pourquoi ne pas commencer par nous défendre en comprenant bien que nos positions de faiblesse extrême vous affaiblissent tous comme le maillon de la chaîne…
C’est donc très regrettable mais nous devons vous imposer notre solidarité et notre existence pour exister. Il ne s’agit pas seulement de nous, ni de nos amis. Tout cela va bien au-delà de la recherche et de l’académie, c’est de notre société qu’il s’agit. Ces problèmes nous concernent et nous touchent tous parce que les savoirs et les technologies déterminent les orientations de la société et en alimentent autant les progrès que les catastrophes.
Bien cordialement, Nous, précaires du/des savoir/s
PS J’ai également mis votre réponse sur le site…