Nous allons répondre à la terreur par moins de démocratie, moins d’ouverture et moins de tolérance
Ecrit par Igor Babou, 20 Nov 2015, 29 commentaires
Après les attentats d’Oslo, Jens Stoltenberg, alors Ministre d’Etat en Norvège, déclarait : « J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance ».
Après les attentats de Paris, François Hollande déclare qu’il faut entrer en guerre, met à mal les libertés publiques, et souhaite modifier la constitution. Si les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent, quel pêché a donc pu commettre le peuple français pour mériter un président doté d’un tel manque d’envergure et de pertinence politique ? Ajouter l’indécence des rodomontades et des fausses solutions sécuritaires et guerrières à l’horreur des crimes commis n’est pas à la hauteur des enjeux.
Plus je réfléchis à la situation, et plus je pense que parmi la multiplicité des raisons qui ont conduit des jeunes français à préférer se faire exploser au milieu d’autres jeunes français ou à les mitrailler à la kalachnikov, plutôt que de partager des moments de convivialité, de musique ou de sport avec eux, il y a la manière dont les gouvernements successifs se sont acharnés à détruire tout espoir dans notre pays, depuis plus de dix ans, au nom des dogmes libéraux. Eux qui osent monter aujourd’hui en tribune, en revendiquant des « valeurs » et en chantant la marseillaise, devraient plutôt s’excuser d’avoir détruit dans ce pays tout ce qui y créait du lien social : associations (dont la réduction drastique des financements empêche le travail), services publics (liquidés sur l’autel de la rentabilité), lieux de savoir et de culture (voués au marketing), universités et recherche publique (liquidées au nom du crédo de la compétitivité). Ils ont fait de la concurrence de tous contre tous leur alpha et leur oméga : les politiques libérales, ainsi que les médias qui les servent en véhiculant une parole « décomplexée » sans la moindre éthique du débat public, portent une lourde responsabilité dans la monté des extrémismes et des haines entre communautés.
L’urgence aujourd’hui, comme hier, est de restaurer l’espoir, de reconstruire un avenir commun loin de la vacuité des discours médiatiques et politiciens. On ne le fera pas sous la pression de l’urgence, et encore moins dans un cadre sécuritaire et guerrier. On ne le fera pas avec les recettes du passé, qui ont prouvé leur nocivité : voyez où nous a conduit la politique guerrière des USA à l’égard de l’Irak, et où nous a menée l’incohérence d’une politique extérieure entièrement vouée au « pragmatisme » économique, et au nom duquel la France vend des armes de guerre à des pays qui financent le terrorisme. Incohérence, également, de l’affichage de valeurs universalistes au moment-même où nous pratiquons un immonde tri sélectif des réfugiés fuyant des zones de guerre. Incohérence, enfin, des leçons de démocratie et de bonne gestion environnementale données aux pays du sud, alors que nous sommes ni capables de résoudre démocratiquement nos propres conflits sociaux, ni ouverts à une transition écologique réelle.
On ne ré-ouvrira des possibles qu’en retrouvant une cohérence sur des bases à la fois éthiques, réflexives, et de connaissance partagée et négociée : cela prendra du temps, cela sera difficile, et cela ne viendra pas d’en haut. Cela revient à refaire de la politique au sens noble, et non au sens des partis politiques, là où l’économique et le médiatique ont pris le dessus.
- Université : Opération « Écrans noirs » du vendredi 13 au mardi 17 — 13 novembre 2020
- Tribune dans Le Monde : « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée » — 4 novembre 2020
- Pandémie et solidarités: associations et collectifs citoyens à bout de souffle sonnent l’alarme — 13 mai 2020
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Je partage avec rage votre description de l’état délabré de notre pays, soumis aux divers pouvoirs (économique, médiatique, politique, et ce n’est pas par hasard que j’ai placé notre pitoyable bande de vrais-faux élus en dernier). Mais je ne trouve pas que le lien désespérance-terrorisme soit direct. On peut combler un vide, se trouver une voie ailleurs que chez les islamistes fanatiques, qui se soucient de lutter contre l’horreur économique comme de leur première kalach. On peut aller vers le véritable humanitaire, le bénévolat associatif*. Les postulants au djihad, sauf cas de sadique avéré, ne rêvent pas, au départ, de tuer. Ils ne cherchent pas ça, mais au hasard d’une rencontre, réelle ou internautique, ils se font mettre le grappin par des recruteurs comme toutes les grandes sectes (ce qu’est Daesh) ont.
* Ce n’est pas un hasard si, dans les quartiers, ce sont les écoles, les bibliothèques, les centre sociaux, les maisons de jeunes qui brûlent, et pas les mosquées (ce dont je ne rêve en rien). Tous lieux où brillent (brillaient?) l’ouverture et le partage…
PS Je viens de Médiapart, où je n’ai jamais voulu créer de blog car Plenel refuse d’abandonner le pouvoir de censurer (ou manipuler) les commentaires. Ici, pourquoi pas…
Pour aller au-delà de la formule sur “les bibliothèques qui brûlent” un article stimulant de “Vacarme”:
http://www.vacarme.org/article2769.html
L’article a l’air très intéressant, en effet, mais il faut être abonné pour y accéder en entier, dommage. L’as-tu lu en version papier ? Quelle est la conclusion de l’auteur ?
Désolé… Je croyais que le contenu était en accès libre.
Vacarme édite d’abord en version papier, puis met en ligne au bout d’un mois.
J’ai lu moi-même la version papier, étant abonné. (Mais je dois renouveler mon abonnement, je crois)
Vacarme est une revue philosophico-politico-littéraire qui mérite d’être suivie…
Elle est sans doute disponible en bibliothèque.…
Cette réflexion montre une méconnaissance assez répandue de ce qui se passe dans les quartiers. Quand on est dans une zone de relégation ethnique et sociale (les deux comptant autant) et qu’on y construit une magnifique “médiathèque” qui reçoit les publics “branchés”, mais est totalement excluante pour les jeunes qui résident dans les barres, comment s’étonner que les émeutes prennent ce “lieu de savoir” comme objectif de leur colère ?
Il me semble effectivement que Igor a raison : c’est en affirmant des valeurs de partage, de culture partagée, qu’on combattra sérieusement l’horreur.
Depuis quelques années, je fais l’expérience d’une action bénévole en prison (j’y donne des cours d’informatique pour des détenus dans le cadre d’un projet global de réinsertion) Et ce que j’y vois ne m’incite pas forcément à l’optimisme : les obstacles a franchir sont redoutable ! Mais la mobilisation est un préalable. Je suis totalement persuadé des limites objectives d’une politique “volontariste”. Mais inversement, sans volonté on arrive a rien. C’est d’ailleurs mon discours vis a vis de détenus souvent trés dubitatifs sur leur capacités a sortir de l’impasse… Et c’est ceux là qui gagné par le désespoirs se lancent souvent sur des actions sans issues. C’est pour cela que l’islamisme gagne silencieusement les prisons, et fait des ravages dans les consciences.
C’est un peu comme les maladies incurables et les médecins imaginaires : quand tu es condamné, quand la “médecine officielle” te laisse à ton sort, alors tu es pret à croire n’importe quel escroc.
Quand Marx parlait “d’opium du peuple” c’est bien ce qu’il signifiait. La religion est surtout un symptome d’un mal plus général. Arréter l’opîum en laissant la douleur qu’elle est censée calmé n’est pas trés efficace.
Cela dit, c’est aussi dans et par le débat qu’on est censé avancer…
En même temps, Alceste et Marc, ce qu’il faudra bien affronter c’est aussi le fait que les auteurs des attentats ne sont pas tous issus de familles très défavorisées. Certains faisaient même partie de milieux assez “classe moyenne” (bon, le bas de la classe moyenne, mais pas le sous-prolétariat des immigrés récemment arrivés qu’on imagine). J’écoutais récemment un type du CNRS à la radio (me rappelle plus qui, mais un spécialiste de ces questions) qui affirmait que le lien entre terrorisme et problèmes économiques n’était pas si évident, même ailleurs qu’en Europe. La déshérence peut être intense, au plan culturel, dans une société dont le modèle de réussite fait une totale abstraction des questions d’identité au nom d’une part d’un universalisme républicain jamais incarné dans les faits (et de toute manière illusoire), et d’autre part au nom d’idéologies (économiques, manageriales, etc.) aussi totalitaires que contradictoires avec l’universalisme républicain. Quand je vois la souffrance au travail se développer dans des administrations publiques, là où les gens sont encore un peu protégés par leur statut, et la perte du sens qu’on y éprouve (moi y compris) face au totalitarisme managérial et économique qui nous a envahi, je me dis que là où les gens sont moins protégés et ont moins accès à des ressources d’expression et de partage, ça doit carrément être l’enfer à vivre.
Le mal est très général, en effet, et on a mis tous les éléments bout à bout pour ne pas l’affronter, avec la classe politique lamentable qu’on a. Mais peut-être est-elle à notre image : une fin de siècle pathétique, fatiguée, sans idée ni direction, égoïste et cynique, qui a fini par aimer la mort. Restaurer des espaces de débat, de partage, et de mise en commun de ressources, y compris pour des populations qui ne paraissent pas marginalisées au plan économique, serait un préalable.
En revanche, juste un truc, Marc : je ne pense pas qu’on puisse dire que la religion ne serait qu’un symptôme. Toutes les sociétés du monde, depuis l’origine de l’humanité, ont adhéré à des religions, et même dans des contextes qu’on ne peut pas décrire comme douloureux à vivre (pense aux sociétés amazoniennes avant la période coloniale) : les croyances religieuses sont un fondement anthropologique majeur. En tant qu’athée, je dois aussi penser que l’absence de religion est une exception radicale dans l’histoire de l’humanité, et qu’elle est peut-être tout à fait contingente. D’où son corolaire d’un universalisme désincarné légué par les Lumières, asséné avec d’autant plus de force qu’il cache un manque : transcendance contre transcendance, en somme… Enfin, il faudrait faire une différence assez nette entre les religions monothéistes (dites “révélées”) et les autres : je n’ai aucun exemple en tête de sociétés animistes ayant menée des guerres au nom de leur religion. On se battait sans cesse chez les Nuer ou chez les Guaranis, mais pas au nom d’un dieu à la con supposé unique et tout puissant. Les dieux des indiens Haida, par exemple, sont particulièrement humains et déceptifs (ils trahissent, sont paillards, aiment le sexe et la gaudriole, et se font foutre des raclées par les humains), et c’était le cas aussi chez les Grecs : des dieux pas chiants comme les dieux barbus des dogmes monothéistes.
Restaurer des espaces de débat, de partage, et de mise en commun de ressources, y compris pour des populations qui ne paraissent pas marginalisées au plan économique, serait un préalable.
Toutes les semaines, je vais dans un espace de débat, de partage, et de mise en commun de ressources qui est… ne riez pas… le vide-grenier (je vends de la petite brocante et des livres, revues, BD etc.) !
Vendeurs de tous âges, de tout niveau social, avec qui je parle, j’échange. Pareil pour mes clients. A l’exception de ceux (très rares) qui me traitent comme une classe enregistreuse de supérette, j’ai celle qui, le nez dans mes vieilles photos, me dit qu’elle cherche la photo de ses parents car elle est née sous X ; de jeunes babas qui préparent un tour du monde et m’achètent une Imitation de Jésus-Christ que je pensais ne vendre qu’à des tradi-cathos ; une petite Japonaise de sept ans qui feuillette un beau livre sur la déco intérieure des burgs du Rhin… et l’achète ! Ce fan de militaria (moi qui suis anti-fana-mili) qui est devenu un ami. Cet homme âgé qui m’achète de veilles ventouses… car il est sculpteur. Ce garçon de douze ans qui passe une demi-heure dans mes livres centenaires, sa mère m’apprend qu’à l’internat il avait investi le grenier du pensionnat. Il repartira avec un livre de 1900 et des brouettes. Etc., je pourrais en tirer un livre.
Les seuls qui ne s’arrêtent jamais, même pas un regard, un sourire, sont les personnes en hijab (ou voile plus simple) et en qamis. Pourtant dans mes livres il y de tout, même des livres pour enfants (googlez Ecole des Loisirs, Nord-Sud, Milan etc).
La je n’ai pas vraiment le temps de détailler, mais je ne crois pas avoir une vision “victimaire” des choses (on s’est engueulé là dessus avec l’ami Ben sur le forum de Médiapart) Par contre je suis totalement persuadé que des zones de relégation ethniques et sociales se créent, et qu’elles sont une veritable peste sociale. Pas uniquement d’ailleurs, sur le seul plan du “terrorisme”…
Dans ces lieux, il n’y a pas que des sdf et des gens vivant au RMI (même si la proportion de ceux là est considérable) Il n’y a pas que des jeunes en échec scolaire total et au chômage (même si la proportion des uns et des autres est de 3 a 10 fois la proportion de ces population dans des quartiers “normaux”) Je connais des quartiers “difficiles” ou des jeunes ont un master pro, et devraient avoir un avenir tout tracé. Mais quand ce n’est pas le cas, ce sont les premiers à rejoindre le rang des musulmans réactionnaires… D’ailleurs même quand ils réussissent socialement et professionnellement, certains les rejoignent quand même !
Aprés, il y a aussi la situation que je connais bien moins, de “lieux de relégation” qui ne sont pas des lieux de relégation “ethnique” : en vendée, mon fils a des tas de copains dans cette situation. Galére, alcoolisme endémique, absence totale de perspective et d’espoir…
Le probléme de ces lieux de relégation, plus que la misère matérielle, c’est bien l’absence d’espoir. Qui fait accepter tout vendeur de marchandise qui procure l’illusion d’un avenir meilleur, même si la marchandise est frelatée…
En effet. Souvenir personnel qui vaut ce qu’il vaut : j’avais un oncle, décédé il y a maintenant longtemps, qui avait été dans la résistance, du côté gaulliste. Pas très à gauche, l’oncle, mais certainement pas un nationaliste et encore moins antisémite. Quand j’étais étudiant, ça m’impressionnait, évidemment : un vrai résistant, qui avait combattu, la classe ! Je me rappelle d’une discussion avec lui, où il m’expliquait qu’à la fin des années 30, juste avant la guerre, le désespoir était tel que même s’il avait fait un autre choix politique, il comprenait que de jeunes français aient pu être fascinés et avoir adhéré aux idéologies du surhomme, puis au nazisme. Ça représentait un espoir. Ça m’avait fait froid dans le dos, mais mieux vaut affronter ces réalités que sombrer dans l’illusion d’un bien ou d’un mal transcendant, décontextualisé, qui irait de soi. Faut dire que l’oncle, fils d’un prof membre du Front Populaire qui était également Franc Maçon, et héro de la guerre de 14, avait bénéficié d’un bain culturel peu propice à l’adhésion au nazisme. Mais sa compréhension des raisons ayant poussé tant de jeunes à l’extrême droite et à la saloperie ultime m’avait ébranlé.
Je me rappelle d’une discussion avec lui, où il m’expliquait qu’à la fin des années 30, juste avant la guerre, le désespoir était tel que même s’il avait fait un autre choix politique, il comprenait que de jeunes français aient pu être fascinés et avoir adhéré aux idéologies du surhomme, puis au nazisme. Ça représentait un espoir.
Il faudrait avoir des témoignages de ces ex-jeunes Français qui, par idéalisme, si, si, ont choisi le camps du mal absolu à croix gammée. Désespoir, peut-être, mais aussi conditionnemeent par toute une presse (et une Église) qui mettait sans cesse la France plus bas que terre car livré au ramollissement par la Gueuse et son exécutant le front Populaire. Qui, en contraste, vantait les réussites de Hitler et Mussolini. Qui n’avait pas assez d’insultes contre le PCF. Il y avait (je parie) dans la Milice, dans la Légion Charlemagne (ex Christian de la Mazière), qui n’avaient aucune conscience d’être des salauds.
Le cas de Christian de la Mazière est en effet plus que singulier. Dire qu’il a été l’impresario de… (question à 10 balles…) ? Hein ? Hein ?
Juliette Gréco.
Ah ouais, ça fait mal…
J’ai de vieux Illustrations des années 22 à 25 chez moi, reliés, conservés par mon grand père. Impressionnant d’assister, rétrospectivement, à la montée du nazisme et du fascisme dans le quotidien médiatique de l’époque. Non pas que l’Illustration ait eu des sympathies avec l’extrême droite dans ces années-là. Mais quand on parcourt toutes ces années de l’Illustration, mois après mois, avec les premiers articles sur les cellules communistes (qui paraissaient bien mystérieuses aux journalistes, au point de leur consacrer des reportages), et ceux sur Mussolini et Hitler en parallèle, on a l’impression étrange de vivre au rythme de ce passé et de l’appréhender comme s’il s’agissait d’une actualité. J’imagine que les historiens qui travaillent sur des archives ont souvent cette impression. Moi qui suis plus sociologue qu’historien, je suis à chaque fois secoué par mes plongées dans ce siècle passé qui passe de la mémoire à l’Histoire.
Quand on est dans une zone de relégation ethnique et sociale (les deux comptant autant) et qu’on y construit une magnifique “médiathèque” qui reçoit les publics “branchés”, mais est totalement excluante pour les jeunes qui résident dans les barres, comment s’étonner que les émeutes prennent ce “lieu de savoir” comme objectif de leur colère ?
Chaque fois que je suis allé dans un de ces lieux, je suis majoritairement tombé sur des lieux plus modestes que pompeux, et n’avais pas la sensation de nager dans un monde huppé qui aurait eu un comportement excluant.
Ces comportements existent, et ce n’est pas la meilleure réponse de s’y plier avec une réaction rageuse. L’auto-victimisation n’a jamais rien apporté.
Moi, je ne mettrais pas de guillemets à lieu de savoir. Car c’en sont, et pas des lieux d’endoctrinement qui eux ne brûlent pas, sauf quand les fanatiques d’en face le font
En effet, les lieux de savoir sont des lieux… de savoir ! 🙂
Je pense qu’il est difficile de raisonner abstraitement sur les médiathèques dans les quartiers défavorisés, car il y a sans doute des variations possibles dans l’architecture, les modalités d’inscription, l’accueil par le personnel, etc., qui peuvent avoir des effets plus ou moins excluant. Et quand on fait soi-même partie des classes sociales relativement privilégiées, on court deux risques dans ce type d’analyse : soit négliger les effets d’exclusion des lieux (parce qu’on n’en est pas les victimes), soit au contraire les sur-évaluer pour des raisons idéologiques (parce qu’on est de gauche, et que la tradition intellectuelle de la gauche critique, depuis Bourdieu, a été malheureusement de tirer à boulets rouges sur les institutions du savoir, en oubliant qu’entre les années 60 et aujourd’hui, il y avait eu pas mal de transformations sociales). Ici, l’enquête sociologique s’avèrerait très utile : on ne peut pas décréter, abstraitement, qu’un lieu est – ou pas – excluant. Juste une observation : je fais partie d’un petit groupe de recherche qui travaille actuellement sur le Haut de jardin de la BnF, et sur ses publics. La BnF : lieu qu’on peut a priori considérer comme le summum du lieu excluant, tant son architecture est impressionnante, et tant son image institutionnelle est forte. Bon, hé bien a priori, faut réviser nos jugements : on y rencontre y compris des SDF, et des profils qu’a priori on aurait pu imaginer comme exclus. C’est un lieu très fréquenté par les jeunes étudiants et lycéens, qui y trouvent ce que les appartements de banlieue (ou même parisiens) ne leur permettent pas de trouver : du calme, de la place, des livres. Et dans ces publics jeunes, beaucoup de blacks et de beurs. Qui s’approprient l’espace, y compris en ne respectant pas vraiment les normes d’usage habituelles (ne pas s’assoir sur les tables, ne pas y poser de bouteilles d’eau, etc.). C’est plutôt rassurant en fin de compte. Mais rien ne dit, évidemment, que certaines médiathèques installées à grand frais dans des zones sensibles ne seraient pas des échecs.
Sur les lieux de savoir (sans guillemets), une expérience qui montre que l’accès est possible pour tous :
Un de mes frères est conteur en gallo (les jacobins disent « patois »), beaucoup de ses histoires viennent de notre défunt père. Un jour, il est invité à venir conter chez mon fils, qui tenait un lieu d’accueil artistique à Nantes, fréquenté aussi bien par les cultureux de la ville (dont des « institutionnels ») que par les gens du coin*. Il voit dans le public les zonards-dealers-soiffards qui squattaient l’appart’ voisin, bons déracinés sans pères ni repères venus du Maghreb. Il panique… et tout se passe bien, les rebeus sont scotchés au mur. Après discussion avec mon fils et avec eux, il réalise que le courant avait passé parce que c’étaient des affaires de père et d’origines, d’une transmission qui leur avait manqué…
* Bon, il est vrai que c’était son appartement…
C’est plutôt rassurant en fin de compte. Mais rien ne dit, évidemment, que certaines médiathèques installées à grand frais dans des zones sensibles ne seraient pas des échecs.
On peut très bien installer ce genre de lieu à grands frais, pourquoi ces populations ne devraient pas avoir de la beauté chez elles (penser aux cathédrales). C’est juste que cette installation doit être le résultat de toute une pédagogie en amont, qui permette aux utilisateurs de s’approprier la chose sans mal.
La haine du savoir libérateur est une constante chez les intégristes islamistes (plus nombreux et nettement plus tueurs que les autres, actuellement). Voir ce que signifie « Boko Haram ». Voir ce que font les talibans aux filles qui veulent étudier. Voir comment fonctionnent les madrassas, où c’est du gavage.
Cette haine du savoir a existé chez nous jadis, témoin cette histoire ancienne :
…Au fermier venu mendier quelque obole pour le fils qu’il voulait envoyer au collège, son nobliau répondit du haut de ses guêtres :
– Oh, Baptiste, à quoi bon l’école ? Ces petites mains-là, c’est tout ce qu’il faut pour arracher les ravenelles dans les choux !
Sentaient-ils que les études pouvaient ouvrir des portes, débrouiller des esprits, transformer l’ancestrale résignation en fierté ou colère. Seuls les candidats au sacerdoce issus de familles honnêtes voyaient parfois flotter les cordons de leur bourse. Un placement, quoi.
Oui, bien entendu. Ca me fait penser à l’épisode du film de Pierre Carles, dans lequel on voit Bourdieu se faire allumer par des éducateurs sociaux au Val Fourré. D’une certaine manière, il a été piégé par le dispositif : un centre culturel, construit par certains des éducateurs sociaux nés dans cette banlieue, et qui n’est plein d’un public parisien qu’en raison de la venue de Bourdieu. L’éducateur enrage de ce fait, et dénonce que le reste du temps, quand ce n’est pas l’EHESS qui vient à la banlieue, personne d’autre que les “locaux” ne vient à la MJC. Bourdieu se fait allumer de manière agressive, et il en prend plein la gueule, mais c’est certainement pas de sa faute, mais de celle des organisateurs qui instaurent un rapport scène-salle très marqué et qui, par ailleurs, n’ont pas associé les “locaux” (disons les banlieusards) à l’animation de la table ronde. C’est bien l’amont qui semble avoir été négligé, au profit d’une logique du contact à la Malraux : comme si le savoir, ou la culture, devait forcément parler à tout le monde sans médiation, juste par l’effet du génie des orateurs (ou des oeuvres, si on reprend mon analogie avec la politique culturelle de Malraux). on devrait pourtant être vaccinés contre ce genre d’illusions…
J’en profite pour mettre cette séquence vidéo ici, car je la trouve géniale (je précise que je ne fais pas partie des contempteurs de Bourdieu, dont je respecte infiniment le travail, même s’il est critiquable sur certains aspects) :
comme si le savoir, ou la culture, devait forcément parler à tout le monde sans médiation
La médiation : c’est ce que faisait beaucoup un centre d’Art Contemporain en milieu rural (et défunt) : le TDM (le Temps d’un Moment, si on préfère). Défunt parce que « la crise » est un bon moyen de réduire voire supprimer les subventions. Alors que s’il y a bien un moyen de créer du lien, des solidarités, de redonner confiance aux gens d’en bas, c ‘est la culture…
http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/ancenis-44150/loisirs-ultime-expo-dart-contemporain-au-temps-dun-moment-tdm-2604000
Coïncidence : je suis à corriger le rapport d’activité d’un enseignant en Arts Plastiques qui prépare un concours, il y a un passage sur la médiation. Avec l’Art contemporain, qui reste encore très déroutant, la médiation est indispensable. A condition qu’elle soit claire, et évitant de se donner en position surplombante.
Tiens, tant que j’y pense, à propos de présence/absence de médiation pour l’art contemporain : je vais assez souvent à la fondation Cartier pour l’art contemporain, quand je suis à Paris. D’ordinaire, on y croise plutôt l’entre-soi de la classe moyenne/supérieure, disons pour ne pas faire dans la sociologie de comptoir, qu’on n’y croise que très rament des jeunes issus de l’immigration. On pourrait se dire : manque de médiation. Et c’est sans doute une partie de la réponse. Mais je suis allé voir l’expo “Congo”, toujours dans cette même fondation. Et là, surprise : c’était comme si la banlieue parisienne avait débarqué ! Beaucoup de blacks, qui venaient principalement pour le thème. Faut dire que l’expo est assez fun, voire pop, et qu’on peut y écouter de la musique congolaise et y voir des vidéos d’artistes congolais. En somme, quand l’art contemporain s’adresse à des gens en leur parlant d’eux-mêmes (et donc, ici, de leur identité culturelle), ben ça marche mieux que quand il nous sort les sempiternelles interrogations sur le détournement du musée à des fins de production d’un discours pompeux de type “sciences humaines et sociales”. Après, faudrait voir si ces gens reviennent à Cartier. Mais après tout, ils s’en foutent sans doute comme de l’an 40 de l’art contemporain, et c’est difficile de leur en vouloir…
En somme, quand l’art contemporain s’adresse à des gens en leur parlant d’eux-mêmes (et donc, ici, de leur identité culturelle), ben ça marche mieux…
Je ne le vois pas comme ça. Tout art (je pense) a vocation à nous faire « sortir de nous mêmes »*. Je dis ça en pensant à un travers répandu dans la littérature jeunesse : on doit parler de leurs problèmes, de leur monde. Avec le risque (soyons complotiste) voulu qu’ils restent dans le nombrilisme, nombrilisme dont j’avais eu la réévaluation terrifiante en explorant des dizaines de skyblogs d’ados. Risque voulu : un même qui se cocoonne ne se révolte pas, ne demande pas de comptes aux marchands du risque.
Expérience avec deux livres :
— Le dernier étudié, excellent au demeurant, qui se passe dans un quartier et avec des gens comme un môme en croise tous les jours :
http://www.lirelire.net/article-25136967.html
- Cet autre, étudié il y a vingt ans, Jody et le faon, une histoire belle et douloureuse, mais qui se passe… dans une ferme en Floride, au XIX° siècle. J’avais voulu le réétudier : épuisé, et Gallimard (Folio) ne voulait pas le rééditer ! Bah oui, quel djeun’ pourrait s’intéresser à ces paysan du bout du monde ! Bon, il l’a remis au catalogue, peut-être y a‑til eu des gens comme moi pour déplorer qu’on mette sous le boisseau un livre qui dit la vie l’amour la mort avec de mots d’une poésie d’une force et d’une sobriété rares.
*Il faut juste que la rencontre entre l’œuvre et nous puisse se faire. Et ça c’est une alchimie dont le secret m’échappe, je n’ai que des lanbeaux du grimoire !
Mais est-ce que l’envie de sortir de soi-même n’est pas quelque chose de très “socialement construit” ? Bien entendu, je ne dirai pas le contraire de ce que vous proposez en pensant à mes propres modes de faire ou à mes pratiques culturelles, mais le jugement moral positif qu’on porte sur l’originalité et la capacité à sortir du rang, n’a rien d’universel, et — j’irai même plus loin — il est fortement ethnocentré. C’est une construction de la Modernité (au sens de l’héritage des Lumières et de la construction d’un sujet en surplomb, détaché). Dans de nombreuses sociétés, il est considéré comme bien, et moral, de ne pas vouloir sortir du rang : je ne parle pas uniquement des sociétés totalitaires, mais de la plupart des sociétés dites “traditionnelles” (terme très encombrant et malvenu), qui, même si elles évoluent et se transforment en permanence comme toute société, valorisent le discours de la tradition. L’identité, à mon sens, ce n’est pas le mal. Aucune société au monde, dans toute l’histoire de l’humanité, n’a tourné le dos à la question de l’identité. Et on ne devrait pas en avoir peur sous prétexte que les fachos et les fondamentalistes s’en sont emparés.
Envie de sortir de soi-même n’est pas (de mon pont de vue), envie de sortir du rang mais envie de s’ouvrir à d’autres gens, d’autres cultures. A mes élèves, je disais ceci : « Dans la vie, il y a deux catégories de gens : ceux qui restent devant les portes fermées, et ceux qui veulent les ouvrir. Moi, je ne peux pas vous les ouvrir, je peux juste vous donner la clé. A vous de voir ce que vous en ferez ».
Dans de nombreuses sociétés, il est considéré comme bien, et moral, de ne pas vouloir sortir du rang.
Pas besoin d’aller loin pour ça : c’est l’éducation catho-coincée que j’ai reçue. L’orgueil était le premier des péchés capitaux, et la modestie une vertu : il fallait être comme Jésus « doux et humble de cœur » (nom d’un cantique. C’est ainsi que mes curés m’ont appris à ne pas commencer toutes mes phrases par « je » (et que je viens d’en virer un paquet dans le rapport que je corrige (voir autre com).
L’identité, à mon sens, ce n’est pas le mal.
Surtout pas. Savoir qui on est au plus juste, quelles sont nos origines, notre patrimoine moral* (le commentaire où je parle de cette femme perdue dans son « née sous X ». C’est juste qu’il faut savoir ajuster notre identité à celles des autres
* Voir (peut-être) mon article en attente. Et écouter une très belle chanson de Jacques Debronckart, Adélaïde.
Assez difficile d’intervenir dans la problématique ouverte par Igor…
J’ai pourtant quelques interrogations:
repérer le “terrain” sur lequel prospère un phénomène suffit-il à expliquer l’apparition de ce phénomène? Il faut peut-être ne pas renouveler la théorie de la “génération spontanée” qui voulait que du blé moisi, de vieux chiffon et de l’humidité faisaient naître par leur réunion les souris dans un grenier…
Je veux dire par là que le “djihadisme” dans sa variante “massacre” ne peut être expliqué seulement par le contexte qui lui serait favorable… Il s’agit aussi d’un phénomène politique qui a sa dynamique propre, notamment proprement politique… et militaire.
Autre interrogation:
peut-t-on inférer du repérage des causes de la crise sociale, morale et politique que le remède consisterait uniquement à faire disparaître les causes en question? Faire disparaître les causes de l’inégalité et de l’injustice produit-il immanquablement la justice et l’égalité ? Faire disparaître les causes de “l’insécurité” fait-il apparaître aussitôt “la sécurité”…
J’avoue que je n’y crois pas trop.…
J’ai bien conscience que par de telles questions je ne nous mène pas très loin…
De chacun selon ses capacités…
Non, tu as raison de pousser l’interrogation à ce point. Il y a bien entendu une multiplicité de causes qui ne sont pas que locales, ni contextuelles. Et si les SHS savaient répondre à la question de la violence, ça se saurait. Ta remarque me fait penser aux controverses sur la Révolution française, et aux multiples hypothèses à propos de ses “causes”, souvent insatisfaisantes. Entre l’explication philosophico-libérale par “l’esprit des Lumières”, l’explication marxiste par “les rapports de classe”, ou l’explication pragmatique micro-locale d’un historien comme Tackett, on ne sait pas vraiment sur quelles bases trancher. Bon, j’avoue avoir été scotché par tackett, bien plus que par les marxistes ou les libéraux, mais je n’en ferai pas une bible pour autant. Avec les massacres djihadistes, c’est pareil : comment expliquer l’appétit morbide pour le meurtre et le suicide de jeunes français élevés parmi nous ? Comment ne pas résumer cela à des causes seulement psychologiques, ni seulement géopolitiques, ni seulement contextuelles-régionales, ni seulement religieuses, et de plus comment ne pas en rester à l’addition de ces causes ? Seules des enquêtes précises, qu’on ne peut pas mener actuellement, pourront répondre, sans doute pas avant des siècles. On ne comprend pas encore bien la Révolution française, comment pourrait-on prétendre comprendre l’horreur djihadiste ? En même temps, il nous faut bien une “morale provisoire”, si on veut soit agir, soit tenter de penser le phénomène. Inutile de dire que nos crétins de politiciens n’ont pas encore fait le millième du chemin à parcourir pour envisager un début de commencement de pensée : leur nullité fait partie du problème.
” comment expliquer l’appétit morbide pour le meurtre et le suicide de jeunes français élevés parmi nous ? ”
Pour eux ce n’est pas un suicide, c’est un auto-martyre qui leur donnera droit à accéder à un monde meilleur. « Le monde meilleur » est un classique des religions, les curés nous le vendaient pour consolation de devoir vivre dans une « vallée de larmes »
Quant au meurtre. Pour eux, ils ne tuent pas des êtres humains mais des images, des représentations. Et pas n’importe lesquelles : des représentations du Mal. Comment un Merah a‑t-il pu tuer une petite fille à bout portant ? Très facilement : comme un membre des einsatzgruppen, qui tuait à la chaîne hommes femmes et surtout enfants pour, en perm’, embrasser les siens. Pourquoi ? Parce que c’étaient des untermensch et, à la fin, des luftmensch (lire jusqu’à la fin Le dernier des Justes).
Oui, bien entendu, on connait ce type d’explication par les dogmes religieux. Mais le problème c’est qu’autant ça serait (presque) compréhensible s’il s’agissait de paysans irakiens élevés dans une culture salafiste loin de tout, et soumis à la guerre et à des dominations féodales depuis des décennies, autant chez des gens qui ont moins de 30 ans et qui sont passés par l’école française et qui ont été nos élèves, ça interroge. La question, c’est comment notre société a‑t-elle pu produire de telles horreurs, et permettre une telle adhésion à des dogmes religieux qui nous semblent archaïques. Ça nous ramène au sujet de mon billet.
” Oui, bien entendu, on connaît ce type d’explication par les dogmes religieux. ”
Merah n’a pas tué par dogme religieux, mais par antisémitisme (même s’il y a lien). Pas les einsatzgruppen.
” Mais le problème c’est qu’autant ça serait (presque) compréhensible s’il s’agissait de paysans irakiens élevés dans une culture salafiste loin de tout, et soumis à la guerre et à des dominations féodales depuis des décennies, autant chez des gens qui ont moins de 30 ans et qui sont passés par l’école française et qui ont été nos élèves*, ça interroge. ”
Surtout que nombre de djihadistes ne sont pas, comme les paysans irakiens, de culture religieuse. Que notre société soit de plus en plus dure, inégalitaire, génératrice de révoltes, c’est vrai mais cela n’est pas une explication suffisante. Il y a suffisamment de moyens de transformer cette révolte en actions positives (j’en ai citées quelques-unes une plus haut). Alors, pourquoi ce choix ? Parce que Daesh est une secte, avec les techniques de recrutement d’une secte : poser comme prémisses que le monde est malade, qu’eux seuls peuvent le guérir, et avancer dans le cerveau de leur victime avec des techniques de harcèlement soft au début, d’embrigadement d e plus en plus dur ensuite jusqu’à l’enfermement radical dans la mort par attentat ou par combat. Et que les partis et associations ne sont pas des sectes.
Moyennant quoi il faut se battre pour une société plus juste (le travail de tout le monde) et (travail des musulmans) faire taire, casser les prédicateurs wahhabites qui fournissent des arguments aux tueurs : ceux qui ont fracassé le Bataclan avaient écouté jusqu’à plus soif des conneries comme celles que débagoule l’imaboule de Brest
* J’ai été prof. J’ai vu, années après années, monter le discrédit des enseignants chez les parents et bien sûr les élèves (casser du prof en famille est d’un banal…), et Internet-qui-sait-mieux que le prof a poussé derrière. Alors, quand celui-ci parle de morale, de loi qui oblige mais qui protège.… poufpouf ! Surtout que le prof a un terrible défaut pour ces jeunes drogués au jeunisme, conditionnée par des démagogues les persuadant que tout est ringard qui remonte à plus de six mois (j’en ferais bien un article, tiens) : il est vieux. Donc con.
Il s’est créé sur cette question de la sacro-sainte “laïcité” (la loi de 1905 ne suffirait pas), universalisante (de quoi ???), il va sans dire, d’une part, et d’autre part sur une possibilité à admettre un pluralisme ethnique, voire même à le considérer comme potentiellement enrichissant, de bien étranges débats depuis les attentats. Ceux qui se déclarent en faveur de la seconde option se trouvant relégués sans autre discussion par les premiers, dont le débarras idéologique, très vaste, et parvenant même à réunir ce qui est en principe opposé (féministes, cathos plus ou moins extrémistes, autres droites plus ou moins extrêmes confondues et tenants de “l’esprit des Lumières” aisément confondu avec de l’européocentrisme) à la case “passéistes naïfs”. La vraie question des banlieues ‑mais pas seulement, en effet- réside peut-être aussi, même si pour beaucoup c’est un point sensible, dans le refus d’admettre l’Autre dans son altérité, et donc lui dénier implicitement le nom de citoyen.
Une femme voilée est nécessairement aliénée (j’en ai discuté avec certaines de mes étudiantes, elles ne le vivent pas ainsi), un croyant (ou simplement quelqu’un qui se réclame d’une tradition culturelle religieuse, sans nécessairement être croyant) est un obscurantiste et c’est faire bien peu cas de la symbolique humaine qui lie l’art, le langage et le sacré comme ses formes d’expression sans doute les plus achevées. C’est dire à l’autre “tu n’es pas, si tu n’es pas comme nous parangon de l’espèce humaine, tu n’as pas droit de cité, ni d’identité”.
Peut-être faut-il aussi chercher là ce désespoir qui saisit une partie de la jeunesse, certes la partie la plus ignorée, sans codes, se plaît-on à dire, pour ne plus avoir à y penser. Et où les auraient-ils trouvés ? De leur culture acculturés, de celle où ils vivent, sans avenir, sans présent, sans passé. Ce n’est pas quelques cours de laïcités ici et là assénés qui vont le leur permettre. Tous ne viennent pas des cités, exact, mais un portable, des selfies toutes les deux minutes, une société où tout, et ils le savent bien, y compris eux-mêmes, doit se vendre et s’acheter n’a jamais remplacé le lien social, ni le sens. Voilà de quoi (re)commencer à penser. Comment, en fait, redonner du sens, ce que les recruteurs de Daesch leur donnent, même s’il est mortifère, surtout peut-être parce qu’il l’est. Nihilisme. C’est mieux que rien, c’est peut-être déjà beaucoup de croire qu’à défaut de vivre on meurt en héros. Les causes sont complexes, ceci ne saurait suffire à les épuiser. Mais c’est un début de réflexion, et il faudra, je pense, bien finir par la mener.
Tout le monde réagi par rapport à la seconde moitié du teste, mais moi, ce qui me préoccupe tout autant, c’est cette dérive totalitaire de l’état qui découle de l’état d’urgence , des assignations à résidence et autre déchéance de nationalité. En France, comme aux USA auparavant, on réponds au fascisme islamique par un fascisme d’état. C’est totalement nauséabond et cela nous laisse entrevoir les prémices d’une dictature.C’est assez étonnant venant de gens qui se prétendent de gauche ( pour moi ils ne le sont plus depuis 1981 ) mais on voit bien comment celle ci a pu se fondre dans le libéralisme, qui rappelons le est une dictature économique. Les socialistes sont des fascistes, au même titre que tous les partis à droite de ceux ci. Quand au PCF, ce n’est qu’un parti moribond et totalitaire. Donc on voit bien que l’ensemble ou presque de l’échiquier politique ne nous laisse pas beaucoup d’espoir. La démocratie est pour ainsi dire morte. Le pouvoir du peuple, quelle belle utopie!
J’ai un nouveau mot pour décrire l’état de ces jeunes gens : l’inespoir.