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Enseignement supérieur et recherche : Commentaire sur les articles 80 à 87 des 125 propositions du programme des collectifs unitaires


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Ensei­gnant-cher­cheur dans une dis­ci­pline des sciences humaines et sociales, spé­cia­liste des rap­ports entre sciences et socié­té (c’est ce que dit mon CV…), je me sens concer­né par les articles 80 à 87 des 125 pro­po­si­tions du pro­gramme des col­lec­tifs uni­taires. N’ayant pas par­ti­ci­pé à leur éla­bo­ra­tion, j’apporte ici ma modeste contri­bu­tion à cette réflexion. Je vais me conten­ter de com­men­ter les articles, afin d’impulser une dyna­mique de dis­cus­sion, car il me semble qu’il y a encore fort à faire dans ce domaine. J’espère que cer­tains vou­dront bien par­ti­ci­per éga­le­ment à ce tra­vail de lec­ture cri­tique et de pro­po­si­tions. Je pré­cise avant tout chose que tout ce que je vais écrire s’appuie sur une connais­sance des sciences humaines et sociales, mais concerne moins les sciences de la nature : à mon avis, ces deux domaines sont très dif­fé­rents et on gagne­rait à ne pas les trai­ter entiè­re­ment sur le même plan et à tenir compte de leurs spécificités.

Je met­trai en ita­lique gras les cita­tions du texte « Ce que nous vou­lons », et insé­re­rai mes remarques à leur suite. Je salue et remer­cie les auteurs de ces pro­po­si­tions, en les priant de bien vou­loir prendre les remarques et cri­tiques qui vont suivre pour ce qu’elles sont : une invi­ta­tion au débat tout à fait conforme avec l’exigence d’analyse cri­tique que toute acti­vi­té de recherche impose.

« C – ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET RECHERCHE Contre les logiques libé­rales, un ser­vice public déve­lop­pé, démo­cra­ti­sé, uni­fié. Notre ambi­tion est la démo­cra­ti­sa­tion de l’enseignement supé­rieur, l’ouverture de la recherche et son indé­pen­dance par rap­port au marché. »

En ce qui concerne la recherche, l’ambition annon­cée ne me semble pas devoir se résu­mer à affir­mer son indé­pen­dance par rap­port au mar­ché. C’est certes un préa­lable, mais il y a un autre enjeu, essen­tiel à poser dès le début, qui est celui de res­tau­rer l’ambition ini­tiale de toute recherche : pro­duire des connais­sances ori­gi­nales. Le sys­tème actuel, for­te­ment bureau­cra­ti­sé et hié­rar­chi­sé, n’est plus un garant de l’indépendance intel­lec­tuelle des cher­cheurs, pour autant qu’il ait pu l’être un jour, ce dont je doute. Quoi qu’il en soit, ces der­nières années, la bureau­cra­tie et les pres­sions idéo­lo­giques ont été telles que l’indépendance de la recherche est mena­cée, et pas seule­ment par le mar­ché : elles l’est au sein même des métiers de la recherche, par l’installation de pro­fils exo­gènes à ses valeurs (postes de com­mu­ni­quants, de ges­tion­naires, de comp­tables, etc.) qui ont pris tant de pou­voir que notre métier n’a plus pour seule ambi­tion la pro­duc­tion de connais­sances. C’est un des effets du libé­ra­lisme, mais il faut gagner en pré­ci­sion dans la des­crip­tion de ce qui se passe sur le ter­rain : le mar­ché n’est plus exté­rieur aux ins­ti­tu­tions de recherche, il les colo­nise de l’intérieur, et cette colo­ni­sa­tion n’est pas sim­ple­ment éco­no­mique, mais éga­le­ment gestionnaire.

En ce qui concerne l’enseignement supé­rieur, on ne peut pas fixer aus­si rapi­de­ment l’enjeu d’une « démo­cra­ti­sa­tion » sans faire de déma­go­gie : l’enseignement supé­rieur et la recherche relèvent d’un niveau d’exigence tel que la notion de « démo­cra­ti­sa­tion » ne peut pas avoir grand sens. On ne peut pas à la fois vou­loir que la recherche soit poin­tue, ori­gi­nale, intègre et dif­fi­cile (ce qu’elle est par nature : rompre avec ses propres pré­ju­gés, ou pour reprendre les thèmes bache­lar­diens « faire une rup­ture épis­té­mo­lo­gique ») ne sera jamais don­né à tout le monde. S’il est néces­saire de don­ner au plus grand nombre la pos­si­bi­li­té d’accéder à l’enseignement supé­rieur, c’est dans l’amont de la for­ma­tion que cela peut se faire, mais pas par un pos­tu­lat de « démo­cra­ti­sa­tion » au sein de l’enseignement supé­rieur lui-même.

80 Le déve­lop­pe­ment des connais­sances et leur dif­fu­sion doivent échap­per à la concur­rence mon­dia­li­sée pour être mis au ser­vice de la col­lec­ti­vi­té. L’accès et la réus­site dans l’enseignement supé­rieur du plus grand nombre de jeunes en for­ma­tion ini­tiale et de sala­riés en for­ma­tion conti­nue est un objec­tif cen­tral. Nous vou­lons que tous puissent maî­tri­ser les savoirs qui per­mettent le déve­lop­pe­ment de l’esprit cri­tique et l’exercice de la citoyenneté.

Je suis d’accord avec les réserves évo­quées plus haut « maî­tri­ser les savoirs qui per­mettent le déve­lop­pe­ment de l’esprit cri­tique et l’exercice de la citoyen­ne­té » est un pro­gramme qui concerne plus le lycée et le pre­mier cycle que la recherche à par­tir, met­tons, du mas­ter 2 ou du doctorat.

80 (2) L’accès aux études supé­rieures sera gra­tuit par la sup­pres­sion des frais d’inscription et sans aucune sélec­tion, jusqu’au mas­ter com­pris. L’objectif à court terme est d’accueillir trois mil­lions d’étudiants et d’assurer leur réussite.

Cet objec­tif, énon­cé comme tel, est très pro­blé­ma­tique : on ne peut pas dire qu’il n’y aurait plus de sélec­tion jusqu’au mas­ter, c’est une énor­mi­té à cor­ri­ger d’urgence, sous peine de perdre toute cré­di­bi­li­té. L’enseignement supé­rieur n’existe pas sans un pro­ces­sus de sélec­tion : sélec­tion­ner les bons étu­diants, et ne pas per­mettre de fran­chir les étapes à ceux dont on constate qu’ils n’ont pas le niveau est une néces­si­té. Je ne sais pas ce qu’avaient en tête les rédac­teurs de ce para­graphe, mais je ne vois aucune rai­son de remettre en cause l’exigence de sélec­tion, à moins que par sélec­tion on entende « sélec­tion sociale » ou « sélec­tion éco­no­mique » : il fau­drait pré­ci­ser ce para­graphe, car sinon, ça frise le contre-sens. Enfin, il est éga­le­ment pro­blé­ma­tique de fixer des objec­tifs quan­ti­ta­tifs, comme si l’enseignement supé­rieur rele­vait d’une simple rou­tine ges­tion­naire. On a vu le désastre du dogme selon lequel « 80% d’une classe d’âge doit accé­der au bac » : veut-on vrai­ment indexer le niveau d’exigence sur un chiffre arbi­traire ? Si tel est le cas, l’enseignement supé­rieur devien­drait une simple for­ma­li­té et per­drait à la fois son niveau d’exigence et son attrait. Enfin, si la gra­tui­té est ins­tau­rée, il fau­dra bien la finan­cer d’une manière ou d’une autre : aug­men­ta­tion des impôts ? Taxes pro­fes­sion­nelles ? Il fau­drait pré­ci­ser ces détails.

80 (3) Les étu­diants béné­fi­cie­ront de l’allocation d’autonomie allouée à tous les jeunes en for­ma­tion ou en inser­tion et d’un sta­tut social garan­tis­sant de nou­veaux droits : san­té, loge­ment, trans­ports, culture. Ain­si l’accès à la sécu­ri­té sociale sera gra­tuit. Et un plan de réno­va­tion et de construc­tion de cités uni­ver­si­taires sera immé­dia­te­ment défi­ni de façon à ce que tous les étu­diants puissent dis­po­ser d’un loge­ment décent.

C’est en effet néces­saire. Rien à redire.

80 (4) Au delà de la sco­la­ri­té obli­ga­toire, fixée à 18 ans, chaque citoyen aura droit à un com­plé­ment de for­ma­tion dans l’enseignement supé­rieur et au finan­ce­ment correspondant.

OK, sauf que je ne suis pas sûr de la néces­si­té de rendre obli­ga­toire la sco­la­ri­té jusqu’à 18 ans.

81 Le dis­po­si­tif LMD fera l’objet d’un bilan, sous le contrôle des per­son­nels et des étu­diants. Une nou­velle orga­ni­sa­tion des for­ma­tions sera mise en œuvre après débat avec l’ensemble de la com­mu­nau­té uni­ver­si­taire qui se sub­sti­tue­ra aux dis­po­si­tions actuelles qui seront abro­gées. Il s’agit de garan­tir les conte­nus des for­ma­tions supé­rieures, les moda­li­tés d’accès et de pour­suite d’études, d’assurer la vali­da­tion des for­ma­tions et qua­li­fi­ca­tions par des diplômes natio­naux (voire euro­péens) plei­ne­ment recon­nus. Seules les uni­ver­si­tés publiques seront finan­cées et habi­li­tées à déli­vrer des diplômes. 

Ca va faire du monde à mettre au chô­mage, ça… Il y a en effet un grand nombre de for­ma­tions diplô­mantes pri­vées. Que vont deve­nir les per­son­nels ensei­gnants de ces for­ma­tions ? Seront-ils remis dans le cir­cuit public ?

81 (2) Les stages seront régle­men­tés de façon contrai­gnante et feront l’objet d’un réel sui­vi péda­go­gique en lien avec la for­ma­tion. Ils doivent être rému­né­rés au salaire mini­mum sans se sub­sti­tuer à des emplois. Ils ne doivent pas excé­der un tiers de l’année scolaire.

Il fau­drait trai­ter ça au cas par cas : cer­tains stages ont peut être des rai­sons péda­go­giques pour durer plus de 3 mois ? Il ne fau­drait peut-être pas sous-entendre que tous les stages ne feraient pas l’objet d’un réel sui­vi : c’est bien sou­vent le cas. Un exa­men col­lec­tif de la situa­tion serait néces­saire avant d’avancer ce type d’argument un peu « massue ».

82 Les uni­ver­si­tés seront finan­cées par l’Etat pour l’ensemble de leurs besoins. A l’opposé des poli­tiques de mises en concur­rence et de pôles d’excellence, l’offre de for­ma­tion et les acti­vi­tés de recherche seront confor­tées et déve­lop­pées pour l’ensemble des dis­ci­plines et sur l’ensemble du territoire.

Il est en effet temps de rompre avec le dogme de la mise en concur­rence géné­ra­li­sée. Mais il convient de tenir compte d’un fait désa­gréable : cette concur­rence est accep­tée et même ampli­fiée par un grand nombre d’enseignants-chercheurs, dont cer­tains trouvent là des moyens de créer des poten­tats locaux ou de boos­ter leur car­rière. A mon avis, on ne peut pas décou­pler cette ques­tion de la concur­rence du sta­tut des ensei­gnants cher­cheurs et de pro­blé­ma­tiques plus socio-cultu­relles (au sens où une pro­fes­sion comme la notre s’inscrit dans des cultures, des valeurs, des habi­tudes, et pas seule­ment dans des régu­la­tions et des lois) : la com­pé­ti­tion est ain­si, depuis long­temps, au fon­de­ment des rap­ports sociaux au sein de la recherche. Ce point néces­si­te­rait des dis­cus­sions col­lec­tives pous­sées, et un déve­lop­pe­ment plus important.

82 (2) Pour lut­ter contre l’échec en cours de for­ma­tion, des dis­po­si­tions péda­go­giques nou­velles seront enga­gées, notam­ment la prio­ri­té aux TD en petits groupes, aux TP, aux tra­vaux per­son­nels encadrés.

Rien à dire tant qu’on ne remet pas en cause l’intérêt, impor­tant à mes yeux, du cours magis­tral. Il y a beau­coup de cari­ca­tures du cours magis­tral qui cir­culent, et qui ne tiennent aucun compte de ce qui s’y réa­lise : une pen­sée en train de se déve­lop­per, devant des étu­diants, ce n’est pas quelque chose de nui­sible, bien au contraire. C’est même sou­vent par le cours magis­tral qu’on peut inté­res­ser des étu­diants et don­ner un sens glo­bal à un ensei­gne­ment. Il ne fau­drait pas qu’à force de prô­ner les petits groupes et l’autonomie des étu­diants, on perde de vue que tout ce que le sys­tème a pro­duit comme pen­sée auto­nome, on le doit au cours magis­tral. Rap­pe­lez vous les cours de Barthes, Fou­cault, Eco, etc., au Col­lège de France : c’était pas du TD ni des TPE. C’était des pen­sées en actes, de l’élaboration concep­tuelle en temps réel, et ça a cer­tai­ne­ment contri­bué à géné­rer des pas­sions. On est là au coeur de la dif­fé­rence entre sciences humaines et sociales et sciences de la nature : sur cet aspect, je crois que les deux types d’enseignements ne sont pas com­pa­rables. Si les sciences de la nature peuvent (à la rigueur) se pas­ser du cours magis­tral, je crois que ce serait une erreur que de mino­rer son impor­tance et sa néces­si­té pour les sciences humaines et sociales.

82 (3) Pour rap­pro­cher l’ensemble des voies de for­ma­tion post bac, un pro­ces­sus de conver­gence et d’intégration dans un grand ser­vice public sera enga­gé. En par­ti­cu­lier, pour éli­mi­ner la concur­rence entre grandes écoles et uni­ver­si­tés, un pro­ces­sus d’intégration des GE aux uni­ver­si­tés sera enga­gé en com­men­çant par l’intégration des CPGE aux cur­sus universitaires.

Il fau­drait com­plé­ter ça par une réforme (urgente) du sta­tut juri­dique des grandes écoles : ces der­nières sont en effet en dehors de tout fonc­tion­ne­ment démo­cra­tique, puisque leur direc­teur est nom­mé alors qu’un pré­sident d’université est élu par ses pairs. Ceci dit, l’intérêt des grandes écoles comme les ENS, au début de leur fon­da­tion au XIXème siècle, c’était de per­mettre l’ascension sociale des classes popu­laires en ouvrant des bourses aux plus doués. Ce que l’on gagne­rait en modi­fiant ce sta­tut (on n’aurait plus qu’un seul sys­tème, éga­li­taire), on le per­drait donc du point de vue de la méri­to­cra­tie. Je n’ai pas d’avis tran­ché à ce sujet, si ce n’est celui qui consiste à dire que le défi­cit de démo­cra­tie interne et spé­ci­fique aux grandes écoles pose des pro­blèmes quo­ti­diens à l’ensemble de leurs sala­riés (du pro­fes­seur des uni­ver­si­tés aux per­son­nels tech­niques), et que s’il y a une prio­ri­té, c’est bien celle de sup­pri­mer le sta­tut de direc­teur nom­mé et de le rem­pla­cer par celui de pré­sident élu.

82 (4) Pour que l’université soit démo­cra­tique, de nou­velles moda­li­tés de fonc­tion­ne­ment seront débat­tues dans la com­mu­nau­té uni­ver­si­taire et don­ne­ront lieu à une nou­velle loi d’orientation.

Il fau­drait pré­ci­ser s’il s’agit, comme je le crois, de démo­cra­tie interne (don­ner plus de pou­voir aux ensei­gnants-cher­cheurs, res­tau­rer des espaces de débat, assu­rer une réelle co-ges­tion et non le simu­lacre des actuelles CTP juste bonnes à enté­ri­ner les déci­sions des tutelles, etc.), ou du mot « démo­cra­ti­sa­tion » uti­li­sé au sens d’augmentation des étu­diants ayant accès à l’université.

83 Un plan plu­ri­an­nuel de créa­tion d’emplois sera déci­dé à la hau­teur de 5 000 ensei­gnants cher­cheurs, 1 000 cher­cheurs et 3 000 per­son­nels IATOS par an. Les heures com­plé­men­taires seront mas­si­ve­ment trans­for­mées en postes. Pour résor­ber com­plè­te­ment la pré­ca­ri­té, les per­son­nels tra­vaillant dans les uni­ver­si­tés et les orga­nismes publics de recherche seront inté­grés dans la Fonc­tion publique d’état. La sim­pli­fi­ca­tion des car­rières des per­son­nels de la recherche et de l’enseignement supé­rieure sera enga­gée, avec le sou­ci d’améliorer les carrières.

Je ne crois pas que 5000 ensei­gnants-cher­cheurs suf­fi­ront à assu­rer les objec­tifs qui ont été fixés plus haut : si on sou­haite, en sciences de la nature en par­ti­cu­lier, que l’ensemble des étu­diants de chaque cycle puissent tra­vailler en TP et TD sous la forme de petits groupes, alors il faut prendre la mesure de ce que cela repré­sente : sans doute dix ou vingt fois plus de per­son­nel à recruter…

83 (2) Afin de ren­for­cer les liens entre for­ma­tion et recherche dans l’ensemble des cur­sus, de déve­lop­per l’encadrement péda­go­gique des étu­diants, l’ensemble des tâches assu­mées par les per­son­nels de l’enseignement supé­rieur sera pris en compte dans la défi­ni­tion de leur ser­vice. Le ser­vice des ensei­gnants cher­cheurs sera rame­né à 150 heures. Le tra­vail par équipe sera favo­ri­sé et l’interdisciplinarité encouragée.

150 heures + tra­vail en TD et petits groupes, là ce n’est plus vingt fois plus d’embauche qu’il fau­dra, mais trente… Tout cela serait à chif­frer avec pré­ci­sion. Pour le reste, c’est un peu « tarte à la crème » tout de même : encou­ra­ger l’interdisciplinarité, c’est ce qui se dit depuis plus de 30 ans… Quant au tra­vail d’équipe, c’est mal connaître l’université que de croire qu’on y échap­pe­rait. Je crois que ce point devrait dis­pa­raître, car on ne voit pas bien sur quelles obser­va­tions il s’appuie. Ou alors, c’est un pro­blème de rédaction.

83 (3) Le bud­get de fonc­tion­ne­ment par étu­diant sera dou­blé sur une légis­la­ture pour pas­ser de 6 000 euros/an au stan­dard inter­na­tio­nal de 12 000 euros/an. Il s’agit de per­mettre aux uni­ver­si­tés et aux grands orga­nismes de recherche publique d’assurer plei­ne­ment leurs mis­sions de for­ma­tion, de recherche, de rayon­ne­ment inter­na­tio­nal. Des moyens consé­quents doivent être alloués aux biblio­thèques, accès Inter­net, enca­dre­ment des TP, orga­ni­sa­tions des stages, ini­tia­tion à la recherche, etc.

OK

84 L’effort public en matière de recherche sera dou­blé. La part totale recherche et déve­lop­pe­ment por­tée à 3 % du PIB. La poli­tique scien­ti­fique vise­ra la satis­fac­tion des besoins cultu­rels, éco­no­miques et sociaux. Ela­bo­rée et votée par le Par­le­ment, elle s’appuiera notam­ment sur les avis d’un Comi­té Natio­nal de la Recherche Scien­ti­fique repré­sen­ta­tif, à majo­ri­té élue [élar­gi à l’ensemble des cher­cheurs du sec­teur indus­triel et des grands orga­nismes, et sur les avis du tiers sec­teur].. Un grand plan de réno­va­tion, de construc­tion et d’équipement des centres de recherche et de l’université sera mis en oeuvre. Les moyens de la recherche fon­da­men­tale assu­rant le déve­lop­pe­ment d’un front conti­nu des connais­sances seront garantis.

La der­nière phrase est très vague et l’ensemble de cet article mélange un peu trop les aspects éco­no­miques et des aspects phi­lo­so­phiques (la satis­fac­tion des besoins cultu­rels, éco­no­miques et sociaux) que des mesures bud­gé­taires ne per­met­tront pas de trai­ter : on a affaire là à des ques­tions por­tant sur les rela­tions entre science et socié­té extrê­me­ment com­plexes, qu’on ne peut pas résu­mer en une seule ligne, et encore moins résoudre sim­ple­ment par des choix budgétaires.

84 (2) La loi de pro­gram­ma­tion de la recherche votée en mars der­nier sera abro­gée et une nou­velle loi mise en chan­tier à par­tir des conclu­sions des Etats Géné­raux de la recherche tenus à Gre­noble en novembre 2004.

Certes, mais il serait essen­tiel de réa­li­ser les condi­tions d’un véri­table débat de fond avant. Il faut bien avoir en tête que les sciences humaines et sociales ont été très lar­ge­ment éva­cuées (ou du moins mino­rées) de ces débats. Le mou­ve­ment « sau­ver la recherche » a sou­le­vé cer­tains pro­blèmes, mais il repo­sait cepen­dant sur des pré­sup­po­sés qui ne peuvent être consen­suels à moins d’abandonner toute exi­gence démo­cra­tique et intel­lec­tuelle. Je pré­fère ne pas trop m’appesantir sur ce sujet déli­cat, et me conten­ter de récla­mer de véri­tables Etats Géné­raux de la recherche, un peu du type de ceux des années 81 : plus de temps de réflexion, plus de débat, moins de pré-caté­go­ri­sa­tion des pro­blé­ma­tiques, plus d’ouverture à l’ensemble des per­son­nels et des éta­blis­se­ments et sur­tout plus d’ouverture aux dis­ci­plines des sciences humaines et sociales, sans hié­rar­chie ni pré­ju­gés. Autre­ment dit : les Etats Géné­raux de la recherche tenus à Gre­noble en novembre 2004 ne consti­tuent pas la meilleure base pour une dis­cus­sion sérieuse, même si on peut bien enten­du en tenir compte.

84 (3) Un pro­gramme de déve­lop­pe­ment de l’emploi public dans la recherche sera éla­bo­ré ain­si qu’un sta­tut du cher­cheur pour en finir avec la pré­ca­ri­té. Tous les doc­to­rants pour­ront dis­po­ser d’un sta­tut de cher­cheur en for­ma­tion. De plus, un pré-recru­te­ment d’enseignants-chercheurs sera mis en place pour accueillir des doc­to­rants avec un sta­tut de fonc­tion­naire sta­giaire. L’emploi de doc­teurs dans l’industrie sera encou­ra­gé. Le doc­to­rat ouvri­ra droit aux concours de la Fonc­tion publique

Autant il est légi­time et urgent de lut­ter contre la pré­ca­ri­té des étu­diants, autant je suis sidé­ré par l’étrangeté de ce que je lis ici :

- « Tous les doc­to­rants pour­ront dis­po­ser d’un sta­tut de cher­cheur en for­ma­tion. » : c’est déjà le cas ! « doc­to­rant » est syno­nyme de « cher­cheur en for­ma­tion ». Tout cela est acquis depuis extrê­me­ment long­temps. Il doit y avoir eu un pro­blème de rédaction.

- « un pré-recru­te­ment d’enseignants-chercheurs sera mis en place pour accueillir des doc­to­rants avec un sta­tut de fonc­tion­naire sta­giaire » : c’est une très mau­vaise idée, ou alors c’est une idée qui est extrê­me­ment mal argu­men­tée et pré­sen­tée. Assu­rer d’avance aux doc­to­rants un sta­tut de fonc­tion­naire n’a aucun sens et relève de la pure déma­go­gie. En effet, à moins de reve­nir sur un ensemble des pro­cé­dures de vali­da­tion qui ont mon­tré leur uti­li­té, un doc­to­rat n’est pas suf­fi­sant pour deve­nir fonc­tion­naire : ain­si, avant d’être nom­mé maître de confé­rences, un doc­teur doit être « qua­li­fié » (une com­mis­sion d’experts exa­mine sa thèse et véri­fie ses publi­ca­tions : une thèse n’en vaut pas une autre, il y en a des bonnes et des mau­vaises, comme par­tout il y a des gens sérieux et des fumistes, bref, heu­reu­se­ment qu’on ne qua­li­fie­ra jamais le doc­teur en socio­lo­gie qu’est Éli­sa­beth Tes­sier, car sinon il fau­drait lui créer une chaire en « astro­lo­gie, tarots et divi­na­tion » !). Ensuite, une fois qua­li­fié dans une sec­tion du CNU pour 4 ans, le doc­teur doit encore pas­ser un concours natio­nal avant d’être nom­mé : il passe un oral devant des com­mis­sions de spé­cia­listes (en par­tie élues, en par­tie nom­mées) qui décident de son sort. Toutes ces étapes sont, en prin­cipe, des garan­ties pour des recru­te­ments de qua­li­té : les éli­mi­ner au pro­fit d’une simple for­ma­li­té est très dangereux.

- « Le doc­to­rat ouvri­ra droit aux concours de la Fonc­tion publique » : là encore, je ne com­prends pas dans la mesure où le doc­to­rat est un diplôme très spé­ci­fique qui n’a rien à voir avec par exemple, le CAPES ou l’Agrégation. Il ne faut pas tout mélan­ger ni rendre tout équi­valent : un doc­teur est, en prin­cipe, quelqu’un for­mé de manière très poin­tue. C’est le seul spé­cia­liste d’un domaine de recherche qu’il crée. Les diplômes comme le CAPES ou l’Agrégation, sont plus géné­ra­listes et orien­tés vers l’enseignement dans une dis­ci­pline. Un bon doc­teur ne sera pas for­cé­ment un bon ensei­gnant du secon­daire, et je vois mal pour­quoi on dirait que le doc­to­rat ouvri­rait natu­rel­le­ment aux concours de la fonc­tion publique. Si tel était le cas, cela signi­fie­rait qu’il n’est pas néces­saire de pas­ser par une IUFM ou par une ENS pour se for­mer à l’enseignement : est-ce cela qui est visé ?

85 L’Agence Natio­nale de la Recherche, pivot du récent dis­po­si­tif de pilo­tage de la recherche et de mise en concur­rence des per­son­nels, sera dis­soute et les fonds dévo­lus à cette agence revien­dront aux grands orga­nismes de recherche (CNRS, INSERM, etc.) et aux uni­ver­si­tés. Les labo­ra­toires et les équipes de recherche seront assu­rés de dis­po­ser des cré­dits néces­saires à leur fonc­tion­ne­ment et au déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés de recherche. Ces cré­dits seront répar­tis par les orga­nismes et les uni­ver­si­tés. Le finan­ce­ment récur­rent des labo­ra­toires ne sau­rait être infé­rieur à 70 % des besoins. Un orga­nisme natio­nal, à struc­ture démo­cra­tique, pour­ra finan­cer de nou­veaux pro­jets éma­nant des labo­ra­toires et axes thé­ma­tiques de recherche. En lieu et place de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supé­rieur dont tous les membres sont nom­més par le gou­ver­ne­ment, les struc­tures d’évaluation des for­ma­tions, des labo­ra­toires et des per­son­nels seront majo­ri­tai­re­ment com­po­sées de membres élus par les personnels.

OK

85 (2) Afin de ren­for­cer les liens entre science et socié­té, il sera mis en place des finan­ce­ments pour des thé­ma­tiques de recherche éma­nant du tiers-sec­teur (notam­ment les asso­cia­tions). Ceci per­met­tra aus­si de contre­ba­lan­cer l’influence du pri­vé dans la recherche sur des thé­ma­tiques impor­tantes (consé­quences OGM, nucléaire, etc.). [La dif­fu­sion des connais­sances sera pri­vi­lé­giée par rap­port à la prise de bre­vets ou bien Un effort sera fait sur la dif­fu­sion des connaissances] .

Bonne idée. Atten­tion tou­te­fois : la ques­tion des rap­ports entre science et socié­té est elle-même un thème de recherche. Se conten­ter de « pri­vi­lé­gier la dif­fu­sion des connais­sances sur la prise de bre­vets » est louable, mais ne régle­ra pas tout. Ren­for­cer les liens entre science et socié­té relève d’un débat com­plexe, très dépen­dant de posi­tions idéo­lo­giques et épis­té­mo­lo­giques : ce qui serait bien (plai­doyer pro domo, puisque c’est mon thème de recherche…), ce serait d’aider le sec­teur des recherches por­tant sur les rela­tions entre sciences et socié­té à se struc­tu­rer et à se déve­lop­per : en France, nous sommes vrai­ment peu sou­te­nus, ou alors les sou­tiens sont ambi­gus. L’absence de légi­ti­mi­té aca­dé­mique de ce qu’on appelle le champ « STS » (sciences, tech­no­lo­gie et socié­té) pose de réels pro­blèmes aux cher­cheurs qui s’engagent sur cette voie. Il y a eu une rela­tive ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion des recherches STS dans le monde anglo-saxon (avec des for­ma­tions doc­to­rales ou de second cycle), ce qui est encore trop rare en France, et sur­tout peu sou­te­nu par les tutelles. Il fau­drait éga­le­ment sou­te­nir la dimen­sion cri­tique de ces domaines de recherche, qui ont du mal à sub­sis­ter face aux ten­ta­tives d’instrumentalisation dont ils sont l’objet. Là encore, ce n’est pas sim­ple­ment avec des cré­dits qu’on régle­ra cette ques­tion, qui est avant tout épis­té­mo­lo­gique, sociale, et cultu­relle. D’où l’enjeu de pri­vi­lé­gier la recherche sur la « diffusion ».

86 Le rôle essen­tiel des orga­nismes publics de recherche, notam­ment du CNRS sera affir­mé. Une réforme des ins­ti­tu­tions de recherche sera enga­gée pour per­mettre leur indé­pen­dance face aux inté­rêts pri­vés et favo­ri­ser l’intervention des tra­vailleurs scien­ti­fiques et des citoyens. Un grand éta­blis­se­ment public de recherche tech­no­lo­gique et indus­trielle sera créé pour toutes les ques­tions liées à la valo­ri­sa­tion et au trans­fert de tech­no­lo­gie. Les rap­ports entre recherche fon­da­men­tale et appli­ca­tion seront favo­ri­sés sur une base mutuel­le­ment avan­ta­geuse, sans subor­di­na­tion d’aucune par­tie à l’autre.

On aime­rait aus­si voir affir­mé un sou­tien à la recherche dans les uni­ver­si­tés : le CNRS est certes un par­te­naire essen­tiel, mais il ne faut pas pour autant négli­ger ce qui se fait à l’université, qui est sou­vent de grande qua­li­té sur­tout quand on connaît les contraintes. Je trouve ensuite que l’on ne peut pas se conten­ter de prô­ner la créa­tion d’institutions de régu­la­tion ou d’organisation (comme dans le cas de ce « grand éta­blis­se­ment public de recherche tech­no­lo­gique et indus­trielle » : il faut avant tout se poser des ques­tions sur les objec­tifs de la connais­sance et des tech­no­lo­gies pro­duites, et éla­bo­rer en com­mun les valeurs sur les bases des­quelles la recherche pour­rait s’organiser. Car sinon, on n’évitera pas le piège de la bureau­cra­tie et de l’instrumentalisation. Une poli­tique de recherche qui se conten­te­rait de mesures prag­ma­tiques, sans offrir de visée uto­pique à long terme ni un cadre à la fois géné­reux et intel­lec­tuel­le­ment ambi­tieux n’aboutirait à rien de bien nouveau.

87 Les acti­vi­tés de recherche seront pla­cées hors du champ des négo­cia­tions de l’OMC et les coopé­ra­tions inter­na­tio­nales déga­gées de la tutelle de la banque mon­diale. Le comi­té d’éthique sera trans­for­mé pour trai­ter démo­cra­ti­que­ment de tous les pro­blèmes que pose à notre socié­té le déve­lop­pe­ment des sciences et des tech­niques (nucléaire, OGM, etc.). Les déve­lop­pe­ments des for­ma­tions supé­rieures et de la recherche publique encou­ra­ge­ront les coopé­ra­tions entre équipes euro­péennes, entre l’Europe et les autres par­ties du monde, avec une forte com­po­sante d’aide au déve­lop­pe­ment des pays du Sud.

Très bien : il faut sor­tir de l’obsession actuelle pour les pays indus­tria­li­sés et sou­te­nir bien plus les col­la­bo­ra­tions, à tous les niveaux, avec les pays « en voie de déve­lop­pe­ment » (qui ne sont pas tous au Sud…). Mais il faut là encore se poser la ques­tion du sens d’une telle coopé­ra­tion : rompre avec l’OMC, c’est bien, mais ça ne consti­tue pas un pro­gramme, ni une uto­pie : c’est sim­ple­ment une néces­si­té tech­nique. Il reste à se deman­der com­ment on peut, au « Nord », prô­ner la décrois­sance, tout en favo­ri­sant le déve­lop­pe­ment au « Sud ».

En guise de conclu­sion, j’ai envie de dire que les enjeux de la recherche méri­te­raient un texte cadre plus pro­gram­ma­tique qui ser­vi­rait d’amont théo­rique et éthique aux pro­po­si­tions du pro­gramme. Que l’on soit d’accord ou non avec l’ensemble de ces mesures, il reste que leur lec­ture pro­cure l’impression d’un manque de plan d’ensemble, comme si les auteurs s’étaient conten­tés d’une addi­tion, par­fois confuse et contra­dic­toire, de mesures iso­lées. Il fau­drait à la fois ren­for­cer et conci­lier deux pôles oppo­sés : la pré­ci­sion dans la défi­ni­tion des mesures et des cadrages géné­raux et pro­gram­ma­tiques appuyés sur l’explicitation de valeurs. J’espère que mes remarques per­met­tront d’avancer dans ce sens.

Igor Babou
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