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Dossier rétrospectif La Nuit des meutes : “Une nuit d’émeutes festives, présentation factuelle de l’événement”


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Durant la nuit du 30 octobre 2004, plus d’une cen­taine d’actions reven­di­ca­tives furent menées sur l’ensemble du ter­ri­toire fran­çais. Il s’agissait d’une part de “free par­ties”, de ras­sem­ble­ments fes­tifs ins­crits dans la culture et dans les pra­tiques des acti­vistes de la tech­no. Il s’agissait aus­si d’un ensemble de dis­cus­sions, de publi­ca­tions de textes et d’images, et de diverses actions menées durant la jour­née (volées de bisous dans le métro, trac­tage au Louvre, etc.). Plu­sieurs d’entre nous étaient très direc­te­ment impli­qués dans la pré­pa­ra­tion de ces actions, soit parce que nous sommes musi­ciens ou DJ ama­teurs, soit parce que notre inté­rêt pour les cultures en marge nous rend atten­tifs à ce type d’initiative.

faim-de-loupL’idée a démar­ré sur l’un des plus gros forum de dis­cus­sion tech­no, aujourd’hui dis­pa­ru, un peu sous la forme d’une bou­tade : “et si on orga­ni­sait plein d’actions reven­di­ca­tives en même temps, qu’est-ce que ça don­ne­rait ?”. Cette idée d’une mul­ti­pli­ca­tion d’actions reven­di­ca­tives coor­don­nées entre elles, proche des prin­cipes de la gué­rilla, fut alors reprise par une micro com­mu­nau­té com­po­sée d’universitaires, d’organisateurs de free par­ties, et d’activistes inter­ve­nant dans le champ poli­tique (Droit au loge­ment, acti­visme anti-sécu­ri­taire, etc.). Cette micro com­mu­nau­té, très éphé­mère, s’est ensuite iso­lée en secret sur un forum pri­vé, et en quelques mois de pré­pa­ra­tion et de coor­di­na­tion, a éla­bo­ré des appels, des textes théo­riques et poé­tiques, des flyers d’information, le tout regrou­pé dans un site web. L’appel fut dif­fu­sé lar­ge­ment, relayé par des cen­taines voire des mil­liers d’autres acteurs, sans que ne soient mobi­li­sés les médias.

Il n’y avait pas à pro­pre­ment par­ler de “reven­di­ca­tion”, en dehors de l’expression d’un refus radi­cal des mesures sécu­ri­taires impo­sées depuis les lois dites “Sécu­ri­té quo­ti­diennes” ou “lois Maria­ni” (le 30 octobre en était la date anni­ver­saire). Etait éga­le­ment visé par cette action le milieu de la tech­no lui-même : il s’agissait de démon­trer qu’une action pou­vait par­fai­te­ment être menée col­lec­ti­ve­ment et mobi­li­ser un nombre impor­tant d’acteurs, sans pour autant tom­ber dans le piège de la mas­si­fi­ca­tion et des dérives des tek­ni­vals (l’appel deman­dait aux orga­ni­sa­teurs locaux de faire en sorte que les soi­rées ne dépassent pas 250 per­sonnes, afin de res­ter dans le cadre de la loi). Il s’agissait enfin de mon­trer une force d’organisation et de créa­tion de lien social entre des acteurs très dif­fé­rents, pour contrer les cli­chés tenaces sur l’identité de la scène tech­no, trop sou­vent consi­dé­rée comme une scène com­po­sée de bour­geois hédo­nistes, de mar­gi­naux incultes, ou de dro­gués dépolitisés.

Voi­ci com­ment était for­mu­lé l’appel de la Nuit des Meutes :


Le 30.10.04 nous serons en meutes dans toute l’Europe ! Non pas ras­sem­blés en grands trou­peaux pour faire masse, mais orga­ni­sés en myriades de petits groupes : mobiles, agiles et partout !

La nuit des meutes : une nuit d’émeutes festives

Nous, ama­teurs de musiques élec­tro­niques, avons été conduits à nous enfer­mer dans les masses panur­giennes pour nous pro­té­ger des poli­tiques sécu­ri­taires menées depuis plus de 15 ans par tous les gou­ver­ne­ments qui ont eu à trai­ter ce “pro­blème”. Nous avons long­temps misé sur les gros évè­ne­ments (tek­ni­vals, Tech­no Parade) pour acqué­rir une légi­ti­mi­té face aux poli­tiques, et pour en impo­ser aux forces de l’ordre.

Aujourd’hui, cette démarche a conduit à une situa­tion contra­dic­toire. D’un côté de grosses soi­rées légales, co-orga­ni­sées avec le Minis­tère de l’Intérieur, annon­cées par tous les grands médias, et qui créent ain­si plus de pro­blèmes qu’elles n’en résolvent (sur­nombre, public peu inté­res­sé par l’éthique du mou­ve­ment tech­no, uni­for­mi­sa­tion musi­cale, dési­gna­tion publique de la tech­no comme un “pro­blème de sécu­ri­té” ou de “san­té publique”). De l’autre, de petites soi­rées pri­vées orga­ni­sées avec ou sans auto­ri­sa­tion au fin fond des cam­pagnes, et qui res­tent géné­ra­le­ment bien en des­sous du seuil auto­ri­sé par la loi (250 per­sonnes, public et orga­ni­sa­teurs compris).

Nous avons choi­si cette clan­des­ti­ni­té pour ne nous com­pro­mettre ni avec le mar­ché, ni avec les forces réac­tion­naires et sécu­ri­taires qui pré­tendent s’occuper de la culture tech­no en la confon­dant avec un pro­blème de sécu­ri­té ou de san­té publique. Grâce à nos choix, nous n’existons plus au yeux de l’opinion ou des médias. Au pire on nous confond avec les tek­ni-veaux, ces fêtes panur­giques qui ont de vilaines carac­té­ris­tiques que nous n’avons pas, et que nous vou­lons en aucun cas favo­ri­ser (trop de monde, trop d’uniformisation, trop de com­pro­mis­sions, trop de pollution).

Ceci n’est pas un mani­feste contre les soi­rées légales, mais un mani­feste pour que les repré­sen­tants de l’Etat res­pectent le fameux article 23–1 de la Loi sur la Sécu­ri­té Quo­ti­dienne qui encadre “les ras­sem­ble­ments exclu­si­ve­ment fes­tifs à carac­tère musi­cal orga­ni­sés sur des sites ou dans des lieux qui ne sont pas au préa­lable amé­na­gés à cette fin par des per­sonnes pri­vées phy­siques ou morales, dont les par­ti­ci­pants et le per­son­nel qui concourt à leur réa­li­sa­tion peut atteindre 250 personnes”.

Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions exclu­si­ve­ment fes­tives à carac­tère musi­cal, sans jamais uti­li­ser des annonces par voie de presse, d’affichage, de dif­fu­sion de tracts : pour nous, la dis­cré­tion est un art de vivre et le bouche à oreille une seconde nature !

Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions exclu­si­ve­ment fes­tives à carac­tère musi­cal, en dépas­sant rare­ment les 250 per­sonnes : les petits nombres favo­risent la ren­contre avec l’autre et la convivialité !

Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions exclu­si­ve­ment fes­tives à carac­tère musi­cal, qui ne pré­sentent pas de risque pour la sécu­ri­té des par­ti­ci­pants : c’est tout à fait pos­sible même en l’absence d’aménagement et nous en avons acquis l’expérience au fil des années.

Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions exclu­si­ve­ment fes­tives à carac­tère musi­cal, sans trou­bler l’ordre public, sans faire de tapage pré­ju­di­ciable aux rive­rains, et nous res­pec­tons les ter­rains que nous uti­li­sons : ils sont sou­vent même plus propres après notre pas­sage qu’avant !

Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions exclu­si­ve­ment fes­tives à carac­tère musi­cal, et nous sommes effec­ti­ve­ment des per­sonnes pri­vées dans des espaces non amé­na­gés et où ont lieu des dif­fu­sions de musique ampli­fiée : nous ren­trons donc par­fai­te­ment dans le cadre pré­vu par la loi.

Mal­gré cela, et en dépit de notre res­pect de la loi, les forces de police et de gen­dar­me­rie conti­nuent à nous confondre avec des entre­prises de démé­na­ge­ment : elles nous chassent de leur zone d’activité et nous envoient sim­ple­ment chez leurs confrères un peu plus loin.

Mal­gré cela nous sommes chas­sés par la police au petit matin, même si cela repré­sente une mise en dan­ger d’autrui orga­ni­sée par ceux-là mêmes qui devraient pro­té­ger le public.

En effet, l’exécutif judi­ciaire de ter­rain n’interprète pas la loi de la même manière que les tri­bu­naux : dans ce cas on ne peut que consta­ter des abus. La majo­ri­té des gen­darmes ou poli­ciers que nous ren­con­trons, de toutes façons, ne sont ni offi­ciers de police judi­ciaire, ni au cou­rant de la légis­la­tion en vigueur et de ses décrets d’application.

Selon nous, la loi Mariani/Vaillant et son article 23–1 sont abu­si­ve­ment sécu­ri­taires. Cette loi n’est des­ti­née qu’à muse­ler la culture et toute forme d’initiative artis­tique et intel­lec­tuelle, et à ins­tal­ler des valeurs auto­ri­taires et régres­sives au sein de la socié­té fran­çaise. Nous per­sis­tons à deman­der son abro­ga­tion. Mais en atten­dant cette abro­ga­tion, nous deman­dons que les cri­tères qu’elle défi­nit s’appliquent au moins de manière non arbi­traire, et que la police et les gen­darmes soient for­més spé­ci­fi­que­ment pour cela.

Contre la logique pesante des grands nombres, des trou­peaux de gnous et des élé­phants, nous ferons triom­pher l’esprit fron­deur et car­nas­sier des loups : ni une tek­no parade, ni une mani­fes­tive, ni un tek­ni­val, ni un “free legal open fes­ti­val”, mais des mil­liers de petits spots de sons pirates qui s’illumineront tous ensemble la même nuit !

C’est la tac­tique de la chasse en meute contre les stra­té­gies de l’ordre sécuritaire.

Ain­si, nous lan­ce­rons un pavé dans la mare de tous les confor­mismes : confor­misme de la pen­sée des grands nombres sup­po­sés en impo­ser à l’Etat (les tek­ni-veaux), confor­misme des styles musi­caux uni­formes qui s’imposent au public et lui dictent une atti­tude et un uni­forme, et enfin confor­misme sécu­ri­taire du quiet sound (dor­mez bien, braves gens, ou j’envoie la police !).

Pour cette nuit d’émeute fes­tive, nous deman­dons à chaque sound sys­tem, à chaque artiste ou acti­viste inté­res­sé d’essayer de res­pec­ter les cri­tères suivants :

- ne rien orga­ni­ser qui amène plus de 250 per­sonnes : ce n’est pas la fête du gigan­tisme, pro­li­fé­rons les joyeuses soi­rées pri­vées à taille humaine ! N’invitez que des gens impli­qués et enga­gés, vos proches, et res­tez dis­crets avec les autres.

- pas de sur­en­chère aux kilo­watts : Ceux qui vien­dront seront invi­tés, et non pas parce qu’ils auront enten­du dire que X kilos allaient être posés là ce soir.

- hété­ro­gé­ni­té des sons ! Mixi­té des genres ! Evi­tez les “que” (“que” du speed-core, “que” du hard-core, “que” de l’XP, “que” du nar­tek…). Soyons inven­tifs et pre­nons enfin des risques !


L’opération “Nuit des meutes” fut un véri­table suc­cès, non seule­ment parce qu’elle a, dans le plus grand secret, mobi­li­sé une impres­sion­nante par­tie des milieux de la tech­no des free par­ties, mais aus­si parce qu’elle a lar­ge­ment débor­dé dans d’autres milieux cultu­rels ou d’autres dis­ci­plines d’expression artis­tique (vidéastes, plas­ti­ciens, jon­gleurs, musi­ciens rock, punk, rap, etc.). Ce fut enfin un suc­cès dans la mesure où elle a pris une dimen­sion euro­péennes : il y eu des soi­rées orga­ni­sées en Ita­lie, en Alle­magne, en Suisse, en Répu­blique Tchèque (le site et l’appel avaient été réa­li­sés en fran­çais, ita­lien, anglais, alle­mand, tchèque, sué­dois, hol­lan­dais, espa­gnol et même en esperanto).

Une fois ter­mi­née, cette Nuit des meutes a retrou­vé la part de secret qui devait être la sienne : le site fut fer­mé. Nous avons deman­dé à quelques uns des témoins-acteurs de cette soi­rée excep­tion­nelle et de l’ébullition intel­lec­tuelle qui l’a pré­cé­dée et qui l’a sui­vie, de témoi­gner des rai­sons de leur engagement.

drÖne

d’où, chose remar­quable, rien ne s’ensuit…

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