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Dossier rétrospectif La Nuit des meutes : “Habiter le même monde : un exercice”


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Je me suis retrou­vé embrin­gué dans la Nuit des meutes en ver­tu du “Pacte de col­la­bo­ra­tion mili­ta­ro-artis­tique” ((voir http://oia.vnatrc.net/ ; sites res­pec­tifs : http://vnatrc.net/ http://drone-zone.org/)) conclu fin 2002 entre v.n.a.t.r.c.? & la Drö­né­sie Orien­tale. Tous les échanges entre nous, les actions menées ou fêtes vécues depuis lors portent pour moi cette marque d’une entente de fond. La Nuit des meutes reten­tit encore comme une réjouis­sante, sti­mu­lante conver­gence ; i&i bituur esz­treym, fin­no-magyar filo­log & expert en pro­pa­gande per­plexe de v.n.a.t.r.c.? & de dogmazic.net (aka musique-libre.org), m’y suis dédié le temps qu’il a fal­lu comme à un des exer­cices natu­rels consti­tu­tifs d’une pré­sence au monde.

Je me suis sou­vent repré­sen­té comme “en marge”, “pro­me­neur” de ce monde & de cette socié­té. Aus­si loin que je me rap­pelle, un sen­ti­ment d’é­tran­ge­té m’a tou­jours habi­té, d’où un écart et un peu d’ap­pé­tence à “faire par­tie” ; une volon­té aus­si, longue à se for­mu­ler & des­si­ner, d’a­gir & par­ler. Toutes les entre­prises que j’ai pu ten­ter visaient, je crois, à rendre habi­table ce monde, y pou­voir habi­ter moi-même, & la com­mu­nau­té humaine insé­pa­ra­ble­ment. L’a­pho­risme des pères du désert de Scé­té : “si tu vois quel­qu’un mon­ter au ciel tout seul, fais-le des­cendre !” s’ap­plique au monde, à la com­mu­nau­té pré­sente. Reste à trou­ver comment.

Il y a, pour l’homme, son com­men­ce­ment et sa fin, la terre natale et funèbre, et les autres humains, tous les autres. Une socié­té n’est pas un amas de groupes, ni un tor­rent d’af­fi­ni­tés, mais le théâtre où se joue, tra­gique et comique, la rai­son de vivre” ((Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occi­den­tal, Mille et une Nuits, 1996)). L’i­ni­tia­tive de la Nuit des Meutes m’a d’emblée convain­cu d’une per­ti­nence que le nom seul résume dans sa poly­sé­mie : meutes, pré­ci­sé­ment comme contra­dic­tion por­tée à la mas­si­fi­ca­tion gré­gaire & à la par­ti­cu­la­ri­sa­tion for­ce­née ; émeutes comme insur­rec­tion fes­tive & consciente des enjeux pro­pre­ment poli­tiques d’or­ga­ni­sa­tion, de liber­té & de loi ; nuit comme pénombre ou ténèbres, & vigile du temps à venir, temps de concen­tra­tion, pré­pa­ra­tion & constance.
La Nuit des meutes a pla­cé la loi au pre­mier plan : cela peut sem­bler para­doxal et pas très sexy pour une ini­tia­tive qui put, quand on connaît le contexte régnant de com­mu­ni­ca­tion léni­fiante & rac­cour­cis abê­tis­sants, être per­çue comme une manif de jeunes exci­tés, de fêtards, ama­teurs de sons per­tur­bants & de pro­duits illicites.

La contra­dic­tion était por­tée jus­te­ment là : agir comme êtres humains, citoyens, col­lec­tifs, com­mu­nau­tés, en se sai­sis­sant de plein droit & réso­lu­ment des dis­po­si­tions de l’ar­ticle 23–1 de la loi d’o­rien­ta­tion et de pro­gram­ma­tion rela­tive à la sécu­ri­té (LOPS) n° 95–73 du 21 jan­vier 1995 (& son décret d’ap­pli­ca­tion n° 2002–887 du 3 mai 2002), lequel, fixant un cadre pour les “rave par­ties” sou­met à décla­ra­tion toute mani­fes­ta­tion de plus de 250 per­sonnes, orga­ni­sa­teurs compris.
Eh bien, au lieu de se sou­mettre, contents & consom­mant, aux appels & oukases d’en haut & s’ag­glu­ti­ner en autant de “tek­ni-veaux” dans autant de “sar­ko-vals”, orga­ni­ser soi-même des fêtes où se réunir en toute liber­té, res­pect & ima­gi­na­tion. Poli­ti­que­ment, cela veut dire, au lieu d’ac­cep­ter une sorte de contrat entre un ministre média­tique agis­sant en son nom & des “amas de groupes” trop contents d’être “recon­nus” & qu’on leur per­mette d’être “libres”, pré­fé­rer le cadre ano­nyme, public, de la loi, où cha­cun est res­pec­té : “Le contrat peut se pri­va­ti­ser, la loi défi­nit un espace public de l’in­té­rêt com­mun, que fondent des prin­cipes” ((Ber­nard Stie­gler, in Pour­quoi le droit ?, in Col­loque Unes­co Droits d’au­teur & droits voi­sins, BNF, 28–29 nov. 2003)).

La domi­na­tion de l’in­for­ma­tion & de la culture par des indus­tries change fon­da­men­ta­le­ment les rap­ports sociaux. La cyber­né­tique prend peu à peu le contrôle. On craint peu encore la puis­sance de dévas­ta­tion de l’in­time & du col­lec­tif par la mar­chan­di­sa­tion de tout. La Nuit des meutes visait, par les méthodes employées, les modes de rela­tion & de ren­contre pro­po­sés, à ren­ver­ser la domi­na­tion : rien de moins, mais par des biais sub­tils. Sou­li­gnons le cli­mat ami­cal & inven­tif dans lequel l’o­pé­ra­tion a été mon­tée, menée, pour­sui­vie sur d’autres lan­cées. Je vois là une qua­si exem­pla­ri­té, une mani­fes­ta­tion réflé­chie. Un exer­cice de liberté.

Ce fut, au quo­ti­dien, sur le site nuitdesmeutes.ouvaton.org, atten­tion por­tée aux convic­tions, plus affir­mées chez les par­ti­ci­pants les plus actifs, aux inter­ro­ga­tions des plus igno­rants ou moins infor­més, notam­ment sur la dimen­sion légale, poli­tique, enga­gée, de la Nuit des meutes. J’ap­pré­cie la dis­po­ni­bi­li­té éprou­vée alors, l’é­veil pro­vo­qué à de mul­tiples reprises. Les récits sur le forum du site des dif­fé­rentes Nuits orga­ni­sées sur tout le ter­ri­toire en ont mon­tré, je crois, le béné­fice concret : telle mani­fes­ta­tion sur une place publique, telle dis­cus­sion cour­toise avec les forces de l’ordre au coin d’une forêt, telle décou­verte des tenants & abou­tis­sants sociaux & poli­tiques, au delà du son (& il n’y eut pas que de la grosse tek), sont autant de signes.

Toute occa­sion d’ap­pro­prier sa pen­sée & son action, de résur­rec­tion du désir & de la parole, est une fête. La cité, la polis, est irré­duc­ti­ble­ment & d’a­bord fon­dée sur cela. Il manque, sinon, une qua­li­té essen­tielle. Toute pro­po­si­tion ne res­pec­tant pas ce don­né-là se trouve, pour moi, récu­sée par le fait même ; qu’on ne s’é­tonne pas de voir la sus­pi­cion & le dépit croître, après. Les ques­tions qui se posent aujourd’­hui ne sont pas nou­velles, en fait, la tech­no­lo­gie a com­men­cé avec le pre­mier silex, avec le pre­mier mot. Nous sommes confron­tés aux mêmes défis, aux mêmes périls. La volon­té de puis­sance & de domi­na­tion est la même dom­ma­geable bêtise, seul change le rayon d’ac­tion ; la por­tée des outils actuels peut être plus grande, il ne dépend tou­jours que de nous d’en bien user.

La Nuit des meutes s’ins­crit à cette aune dans le vaste pul­lu­le­ment d’i­ni­tia­tives qui concourrent à ce qu’on voit pro­gres­si­ve­ment émer­ger comme une coa­li­tion des biens com­muns : axe des com­bats actuels qui tra­verse les oppo­si­tions, sclé­roses, mar­quant les pen­sées, les poli­tiques. La rigueur inhu­maine du mar­ché glo­ba­li­sé deve­nu fou, la rui­neuse fas­ci­na­tion média­tique, télé­cra­tique ((cf. Ber­nard Stie­gler, La télé­cra­tie contre la démo­cra­tie. Lettre ouverte aux repré­sen­tants poli­tiques, Flam­ma­rion, 2006 – cf. aus­si http://arsindustrialis.org/)), le cynisme sans ver­gogne du popu­lisme indus­triel détrui­sant les consciences, l’a­vi­di­té démen­tielle des pro­fi­teurs de la pro­prié­té intel­lec­tuelle : ces puis­sants du jour sont très vieux, d’une impar­don­nable & stu­pide inca­pa­ci­té de trans-for­ma­tion. Le coût d’un pos­sible effon­dre­ment est à méditer.
{Sub spe­cie aeter­ni­ta­tis}, la par­tie est gagnée : à son rang, que nous avons assu­mé, la Nuit des meutes y a son mérite, son béné­fice. “Sûrs et pré­cis et inau­dibles ils sèment leurs spec­tacles et leurs efforts dans l’u­ni­té de quelques sen­ti­ments. Qui veut les connaître ne doit pas ouvrir un livre, ni fouiller des rési­dus, il doit seule­ment évi­ter de mar­cher en arrière” ((Javier Urda­ni­bia, Son­nets blancs — Jour­nal, Antoine Soria­no édi­teur, 1998)).

bituur esz­treym

déc. 2004 — fév. 2007

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