Complément sur la “glottophobie”.
Ecrit par Olivier Jean-Marie CHANTRAINE, 11 Mar 2016, 0 commentaire
Cela me désole un peu que le papier de présentation que j’ai proposé, du livre de Blanchet, puisse paraître “ésotérique”. Pour corriger ce défaut, je dirais que le petit livre sur la « Glottophobie » est une analyse de la discrimination par les pratiques langagières et un combat contre cette discrimination.
En bon sociologue, Blanchet, ne se contente pas d’une analyse « neutre », il montre aussi l’importance sociale d’une lutte contre la glottophobie, c’est-à-dire à la fois une résistance aux politiques inégalitaires et discriminatoires prétextant et utilisant les différences linguistiques, et une valorisation volontaire des compétences linguistiques de tous les locuteurs.
Il montre quelques repères importants pour une approche à la fois scientifique et humaniste de la question langagière :
- déconstruction du mythe d’une supériorité de la langue « standard » , qui n’est en fait rien d’autre qu’un instrument de distinction pour les privilégiés de la distinction scolaire, socioculturelle. Concernant les normes de la langue écrite, par exemple, Blanchet renouvelle l’observation de John Gumperz que la maîtrise de certains codes et manières de faire à l’écrit sert de préalable à l’embauche pour d’innombrables fonctions, métiers et tâches salariés où dans la pratique ces manières de faire ne seront jamais mises en oeuvre. Ainsi une norme artificielle (dont l’observation des pratiques in situ montre clairement qu’au delà de la « sélection » elle n’est plus respectée, mais au contraire adaptée, enrichie, autant complexifiée que simplifiée selon les nécessités de la pratique) sert à promouvoir une minorité sans référence à la réalité des capacités des uns et des autres
- nécessité d’une connaissance de la réalité pluraliste des pratiques langagières dans la société contemporaine. Ainsi nombre d’enfants sont confrontés à l’ignorance par les institutions et les enseignants de leurs compétences linguistiques riches et complexes. Ils sont souvent plurilingues et capables de basculer en virtuose d’un usage à l’autre, et au lieu de reconnaître et valoriser cette compétence (qu’on peine à donner à beaucoup dans l’apprentissage de l’anglais standard, par exemple…) on réprime toute trace de leur richesse linguistique dans la pratique du monolinguisme scolaire.
- Nécessité de partir des compétences linguistiques réelles des locuteurs, enfants ou adultes, et non d’une incompétence arbitrairement rapportée à une langue standard, au demeurant elle-même généralement mal connue de ses « défenseurs »…
- Prise de conscience du caractère minoritaire et peu performant, à l’échelle internationale et mondiale, des pseudo-élites monolingues.
- Valorisation de la variation linguistique et langagière sur un même territoire. Variation propice à l’expression de réalités et vécus diversifiés, socialement et culturellement riches et concrètes.
- Déconstruction du mythe de la langue pure et originelle et au contraire valorisation des apports allogènes
- Déconstruction du rattachement mythique entre langue et territoire, et valorisation au contraire de la dynamique langagière propre de personnes historiquement situées et mobiles
- -Déconstruction du mythe selon lequel l’uniformité d’expression serait utile à une communication plus efficace et transparente, alors qu’elle ne ferait que censurer et affadir une grande partie de la réalité sociale et culturelle
J’espère par cette deuxième note, aussi rapide que la première avoir mieux montré en quoi ce petit livre me semble d’un grand intérêt politique et, inséparablement, scientifique.
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