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Relents d’omerta sur l’Université : le journalisme et la contestation universitaire de la LRU


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Le 18 jan­vier 2008, Fran­çoise Asso publiait un article inti­tu­lé “Relents d’omerta sur l’Université” sur le site web du Contre Jour­nal de Libé­ra­tion. S’en sui­virent plu­sieurs réponses, dont une d’Igor Babou sur le Contre Jour­nal, Dans Libé­ra­tion, et divers échanges en pri­vé. Nous pré­sen­tons ici l’article ori­gi­nal de Fran­çoise Asso, la réponse d’Igor Babou, la réponse d’une jour­na­lise de Libé­ra­tion (Véro­nique Sou­lé) ain­si qu’un nou­vel article de Fran­çoise Asso. Plu­tôt que d’obliger le lec­teur à navi­guer entre Indis­ci­pline, le site de Libé­ra­tion et le site du Contre Jour­nal de Libé­ra­tion, nous avons choi­si de repro­duire chaque article dans leur suc­ces­sion tem­po­relle afin de conser­ver la dimen­sion dia­lo­gique de l’ensemble. Des liens pointent à chaque fois vers les articles sur les sites ori­gi­naux.


Relents d’omerta sur l’Université

« Le mou­ve­ment étu­diant a été réduit au “blo­cage”, l’information sur les inter­ven­tions poli­cières a été scan­da­leu­se­ment insuf­fi­sante, les prises de posi­tion syn­di­cales ont été peu relayés », accuse Fran­çoise Asso, écri­vain, maitre de confé­rences de Lit­té­ra­ture fran­çaise à l’Université de Lille 3, et membre du Col­lec­tif Sau­vons l’Université. Au delà d’une forme de cen­sure, l’équipe de Nico­las Sar­ko­zy impose son dés­in­té­rêt aux acteurs sociaux.

« Qui a lu, qui a pu lire le texte de loi sur les Liber­tés et Res­pon­sa­bi­li­tés des Uni­ver­si­tés ? Qui a lu sa pre­mière mise en œuvre, ren­due publique le 13 décembre, le “Plan pour la réus­site en licence” ? Qui a lu la lettre de mis­sion de Nico­las Sar­ko­zy à Xavier Dar­cos por­tant sur la réforme de l’Enseignement secon­daire ? Qui a lu, à défaut des docu­ments pré­cé­dents, les réelles ana­lyses (elles existent) de ceux-ci ? Qui, mis à part des étu­diants et des ensei­gnants, peut savoir réel­le­ment ce que signi­fie la vaste réforme de l’Enseignement qui se met en place, réforme à laquelle il y a une oppo­si­tion non négli­geable, mais une oppo­si­tion qui n’est évo­quée dans les médias, quand elle l’est, que comme le fait d’une mino­ri­té de “gau­chistes”, ou comme la preuve une nou­velle fois don­née du “conser­va­tisme” bien connu des ensei­gnants, oppo­sés par prin­cipe à toute réforme ?

La res­pon­sa­bi­li­té des médias dans l’ignorance de ce qui se passe là, et qui en prin­cipe inté­resse tout le monde, cette res­pon­sa­bi­li­té est indé­niable. Quelques-uns la per­çoivent inti­tui­ve­ment mais ne savent pas tou­jours com­ment faire pour savoir vrai­ment de quoi il retourne ; quelques-uns la dénoncent, ceux qui savent : mais ils n’ont, for­cé­ment, pour la dénon­cer que des espaces pri­vés ou des lieux d’information “alter­na­tifs”, ces lieux mêmes qui ne sont han­tés que par eux et leurs sem­blables : c’est donc entre gens déjà “infor­més” que, sur Inter­net, sur les sites de “Sau­vons l’Université” et de “Sau­vons la Recherche” en par­ti­cu­lier, s’échangent des ren­sei­gne­ments sur le tra­vail de “dés­in­for­ma­tion” auquel se livrent la radio et les jour­naux — et même ceux dont on pou­vait attendre qu’ils donnent aux oppo­sants à cette loi une parole au moins égale en quan­ti­té à ceux qui la défendent et en prônent l’application.

Il faut donc aller sur le site de “Sau­vons l’Université” pour lire, par exemple, la réponse pré­cise et argu­men­tée de quelques uni­ver­si­taires à un article d’Alain Renaut publié dans Le Monde (réponse que le jour­nal a refu­sé de publier), article dans lequel il se deman­dait pour­quoi le prin­cipe de “l’autonomie” appa­rais­sait en France comme une menace pour les valeurs démo­cra­tiques. Il faut aller sur ce même site, ou sur ceux de “Sau­vons la Recherche” et de ”L’Autre cam­pagne”, pour voir le film de Tho­mas Lacoste, “Uni­ver­si­tés, le grand soir”— film qui devrait être dif­fu­sé à la télé­vi­sion à une heure de grande écoute, voire à la place du Jour­nal télé­vi­sé, lequel n’informe plus de rien depuis long­temps (les exemples sont innombrables). »

« Paral­lè­le­ment à ce silence sur la loi elle-même et sur les rai­sons pro­fondes de l’opposition à celle-ci, la radio et les jour­naux ont un peu par­lé de “la situa­tion dans les uni­ver­si­tés” : à de raris­simes excep­tions près (comme telles inou­bliables, mais qui ne contra­rient pas, étant don­né leur rare­té, la ten­dance géné­rale), n’a été évo­qué que le mou­ve­ment étu­diant, lequel a été réduit au “blo­cage” ; l’information sur les inter­ven­tions poli­cières a été, au mieux, scan­da­leu­se­ment insuf­fi­sante ; quant aux menaces et pres­sions diverses dont cer­tains étu­diants et cer­tains membres du per­son­nel ont pu être l’objet ici et là, il n’en a pas été ques­tion ; enfin, pour ce qui est de l’opposition des ensei­gnants, les médias agissent d’une manière qui n’est pas sans rap­pe­ler le com­por­te­ment du Minis­tère : tout comme celui-ci ne recon­naît comme inter­lo­cu­teurs que les syn­di­cats — ce qui ne signi­fie pas qu’il les écoute —, la presse et la radio ne rendent compte, de manière par­ci­mo­nieuse, que des prises de posi­tion syn­di­cales, en les limi­tant de sur­croît à des reven­di­ca­tions “cor­po­ra­tistes”.

Par­ler de cen­sure à pro­pos de ce silence ou de cette mani­pu­la­tion de l’information serait inexact. On sait que le Pou­voir en place depuis quelques mois peut pra­ti­quer la cen­sure, mais celle-ci ne s’exerce évi­dem­ment qu’à l’égard de ce qui inté­resse ledit Pou­voir. Or, à l’évidence, celui-ci ne s’intéresse abso­lu­ment pas à ce que disent et pensent ensei­gnants et étu­diants, non plus qu’à tout ce qui peut se dire ici et là qui ne serait pas conforme à la vision du monde et au sys­tème de valeurs de Nico­las Sar­ko­zy et de ceux qui tra­vaillent pour lui. Il est pro­bable que ce dés­in­té­rêt est fon­dé sur la cer­ti­tude ou le sen­ti­ment que les médias s’en dés­in­té­ressent éga­le­ment. Nous sommes donc arri­vés à un point qui se situe, en termes de dés­in­for­ma­tion, bien au-delà de ce qu’on appelle “cen­sure”, celle-ci sup­po­sant en effet qu’il y ait, face au Pou­voir, une puis­sance à même de s’y oppo­ser, et qui publie, tente de publier des articles, des textes, des livres sus­cep­tibles de déranger.

D’où vient que les jour­na­listes ne se sentent pas concer­nés par la dis­pa­ri­tion de l’Université comme lieu de recherche, par la dis­pa­ri­tion pro­gram­mée de cer­taines dis­ci­plines consi­dé­rées aujourd’hui comme “inutiles”, celles qui aident et donnent à pen­ser ? d’où vient que, comme le Pré­sident et son équipe, ils ne prêtent aucune atten­tion aux pro­pos de ceux qui dénoncent cette loi et ses dan­gers, tant sur le plan de la “gou­ver­nance” que sur le plan des mis­sions de l’Université ?

A ces ques­tions, qui peuvent sem­bler rhé­to­riques, il y a des réponses : on les trouve dans les livres, et grâce à eux. »


En réponse à cet article, Igor Babou a rédi­gé dans la par­tie “com­men­taire” de l’article (dans le Contre Jour­nal), la réponse sui­vante. Il tient à pré­ci­ser que cette réponse a été écrite rapi­de­ment et sans véri­table relec­ture. Suite aux remarques d’une col­lègue ensei­gnante à l’IEP de Lyon, il sou­ligne qu’il est par­fai­te­ment conscient qu’il y a des uni­ver­si­taires ensei­gnant dans ce type de struc­ture, auprès de futurs jour­na­listes, qui font un tra­vail remar­quable et tentent, dans des condi­tions pas tou­jours favo­rables ni faciles, d’impulser un esprit cri­tique à leurs étu­diants. Même chose au CELSA, et sans doute ailleurs. Il n’en reste pas moins vrai qu’on ne peut pas don­ner pour seule rai­son des dérives jour­na­lis­tiques les concen­tra­tions mono­po­lis­tiques ou la pré­ca­ri­té de ces pro­fes­sions. Les for­ma­tions posent un pro­blème rare­ment abor­dé dans la réflexion cri­tique sur le journalisme.


Je suis uni­ver­si­taire, en lutte contre la LRU, et j’adhère bien à la vision que défend cet article. Je suis bien évi­dem­ment loin d’être le seul à avoir consta­té ce dés­in­té­rêt des médias, et au delà, comme on peut le remar­quer dans le pre­mier com­men­taire d’un inter­naute ici-même, l’espèce de haine qui sévit contre les étu­diants et plus glo­ba­le­ment contre le monde uni­ver­si­taire et les intel­lec­tuels. Cette haine, qui s’exprime à l’envie sur les forums de Libé, sur ceux du Monde, ou ailleurs, se nour­rit de l’ignorance de ceux qui la portent et de la per­mis­si­vi­té dan­ge­reuse des dis­po­si­tifs média­tiques qui, au nom d’une vision selon laquelle cha­cun pour­rait — et devrait — s’exprimer sur des sujets pour les­quels il n’a aucune connais­sance, mais seule­ment une « opi­nion », laisse pas­ser tout le flot de l’éristique de bazar du net, toute la récri­mi­na­tion de ceux qui plongent tête bais­sée dans le “tous contre tous” de l’idéologie libérale.

Le plus inepte de ces faux débats repose sur l’argument selon les­quels on ne devrait pas s’opposer sans pro­po­ser. Ceci est à la fois un rai­son­ne­ment spé­cieux (s’opposer est une pro­po­si­tion : ne serait-ce que le refus de voir sup­pri­mer des dis­po­si­tifs démo­cra­tiques à l’université au nom des valeurs por­tées par l’université) et un argu­ment men­son­ger, puisqu’il y a énor­mé­ment de contre pro­po­si­tions qui n’ont jamais été dis­cu­tées publi­que­ment à cause de la cen­sure évo­quée dans l’article, justement).

Mais au-delà de ces faux argu­ment, pour répondre plus pré­ci­sé­ment à la ques­tion de savoir pour­quoi les jour­na­listes ont refu­sé de lais­ser la parole aux uni­ver­si­taires, il y a tout le pro­blème, plus géné­ral, de la dis­pa­ri­tion du jour­na­lisme d’investigation en France et de la for­ma­tion (catas­tro­phique) des pro­fes­sion­nels des médias par ces offi­cines liées au monde poli­tique et au mar­ché que sont les IEP et le CELSA. Là, on ne s’intéresse plus aux conte­nus (des débats, de la culture, de la connais­sance), mais à la seule mise en scène du spec­tacle de la poli­tique-spec­tacle. Aux seuls jeux d’acteurs, comme si les acteurs sociaux pou­vaient ne se mobi­li­ser que comme on monte sur la scène d’un théâtre de bou­le­vard, sans avoir d’enjeux éthique à défendre, de visions construites et étayées de la socié­té à por­ter, ou sans avoir de savoirs à avan­cer en réponse à l’ignorance de l’actuel gou­ver­ne­ment et de ses cuistres.

Plus encore, ce jour­na­lisme de non inves­ti­ga­tion est for­mé à la ser­vi­li­té face au monde poli­tique et à des visions a‑critiques et an-his­to­riques de la socié­té par les IEP et le CELSA, voire par d’autres for­ma­tions au rabais que l’on trouve sur le mar­ché uni­ver­si­taire : l’université et cer­taines de ses dis­ci­plines, dont la mienne, hélas, les « sciences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion », ont leur part de res­pon­sa­bi­li­té dans cette dé-for­ma­tion intel­lec­tuelle du milieu des journalistes.

Enfin, je vou­drais signa­ler, tout de même, que ces mêmes jour­na­listes de non-inves­ti­ga­tion, outre qu’ils sont for­més à l’université, sont éga­le­ment lar­ge­ment employés comme vaca­taires par l’université, en par­ti­cu­lier dans ma dis­ci­pline. Il est donc d’autant plus cho­quant de leur part de n’avoir pas cou­vert les évé­ne­ments liés à la contes­ta­tion de la LRU. Ils sont en effet des cen­taines, des mil­liers peut-être dans toutes les uni­ver­si­tés de France, à arron­dir leurs fins de moins en pro­fi­tant d’heures de cours gras­se­ment payés (jusqu’à 96H de TD par an) qui sont autant d’heures d’enseignement qui ne sont pas confiées à des cher­cheurs, pour­tant lar­ge­ment plus com­pé­tents qu’eux en matière de for­ma­tion intel­lec­tuelle… Ceci ren­force l’idée selon laquelle ça ne peut pas être par igno­rance que les jour­na­listes, qui sont au quo­ti­dien dans l’université, qui y enseignent et sont rému­né­rés par elle, n’ont pas trai­té cor­rec­te­ment le conflit. Ca ne peut être que par inté­rêt pour la vision si poli­ti­que­ment cor­recte selon laquelle “il faut réfor­mer”, “il faut inno­ver” : vision creuse et inepte qui fait jus­te­ment son lit du dés­in­té­rêt pour les conte­nus (conte­nus de savoir, mais aus­si conte­nu de l’organisation démo­cra­tique des pro­fes­sions intel­lec­tuelles) et d’une vision moder­niste iden­tique à celle de l’art contem­po­rain selon laquelle, peu importe ce que l’on dit ou montre, car ce qui compte c’est de chan­ger ou de renou­ve­ler, même si ce qu’on change détruit ce qu’on pré­tend organiser.

La moder­ni­té de nos socié­tés s’est construite sur ce posi­ti­visme du nou­veau, sur cette dic­ta­ture du renou­vel­le­ment, qui adhère à des visions du pro­grès comme « iné­luc­table », à un pos­tu­lat de chan­ge­ment comme « bon par nature ». Cette « phi­lo­so­phie » de l’histoire, inca­pable de pen­ser réel­le­ment la com­plexi­té des phé­no­mènes, est peut-être, au delà du cas de la LRU, le pire dan­ger qui menace notre démocratie.

C’est pour­quoi, par pro­vo­ca­tion, je dis qu’une réforme radi­cale des métiers du jour­na­lisme est urgente ! Pour eux aus­si, qui pensent que l’université doit chan­ger, il faut du mou­ve­ment, de l’innovation, des réformes : qu’ils s’appliquent les rai­son­ne­ments spé­cieux et à courte vue qu’ils appliquent au reste de la socié­té ! Que l’on exa­mine de près leurs salaires ! Leurs modes de ges­tion ! Qu’on les éva­lue en per­ma­nence eux aus­si ! Qu’on les sou­mette à la bureau­cra­tie ! Qu’on sup­prime le per­son­nel jour­na­lis­tique — plé­tho­rique — qui béné­fi­cie des finan­ce­ments publics de l’université ! Il faut que ça bouge ! Une réforme est urgente pour contrer cet immo­bi­lisme média­tique, ces résis­tances cor­po­ra­tistes, cette “consan­gui­ni­té” (terme de Valé­rie Pécresse uti­li­sé pour qua­li­fier le recru­te­ment par les pairs à l’université) dans les modes de recru­te­ment des journalistes !

Réfor­mons les médias comme ils pré­tendent réfor­mer l’université : par leur destruction.


Le mar­di 29 jan­vier 2008 parais­sait alors dans Libé­ra­tion l’article sui­vant “Leçons”, rédi­gé par Véro­nique Sou­lé, jour­na­liste dans ce même quo­ti­dien. Nous le repro­dui­sons ci-dessous.


Leçons

Ça com­mence à faire beau­coup. Pour la seconde fois en huit jours, le Contre-Jour­nal publie des attaques contre l’attitude « des médias » lors du mou­ve­ment anti-LRU. Et encore, hier c’était plu­tôt soft. Nous n’étions accu­sés « que » d’être des sup­pôts du pou­voir, d’avoir « la haine des étu­diants », de pra­ti­quer un jour­na­lisme « ser­vile et a‑critique », etc. Le 21 jan­vier, on fri­sait l’injure : des médias, il n’y avait plus rien à sau­ver. Pour être infor­mé de la loi LRU et de ses dan­gers, seuls les sites de Sau­vons l’université et de Sau­vons la recherche (SLR) trou­vaient grâce. Rap­pe­lons que durant la crise Libé a publié pas moins de deux inter­views du pré­sident de SLR, plu­sieurs articles sur sa péti­tion, sans par­ler du por­trait de der­nière page. Au comi­té de rédac­tion, plu­sieurs s’insurgent. Va-t-on se lais­ser atta­quer sans rien dire ? Libé n’a pas à rou­gir de sa cou­ver­ture : décryp­tage de la loi, paroles d’étudiants en lutte, repor­tage sur une éva­cua­tion… « C’est comme si on n’avait rien fait », lance un chef de ser­vice. « C’est le rôle du Contre- Jour­nal de reflé­ter cet état d’esprit », réplique le res­pon­sable de la page. Pour­quoi tant de res­sen­ti­ment ? « C’est étrange mais les uni­ver­si­taires n’aiment pas les jour­na­listes », sou­ligne un rédac­teur en chef. C’est une ten­dance géné­rale, comme une fata­li­té. Les temps sont durs. Mais pas déses­pé­rés. Ce matin, coup de fil d’une ensei­gnante- cher­cheure. Elle envoie des textes « pour mieux faire com­prendre les enjeux de cette loi qui détruit l’université ». Elle est membre de Sau­vons l’université. Elle n’insulte pas, elle informe. Elle compte sur Libé.


Fran­çoise Asso nous pro­pose de publier ici la réponse qu’elle aurait aimé faire à Véro­nique Sou­lé, mais que le Contre Jour­nal n’a pas sou­hai­té publier (pré­fé­rant lais­ser la place à des articles por­tant plus direc­te­ment sur des ana­lyses de la loi LRU ou du mou­ve­ment de contestation).


Lec­tures

Je vou­drais répondre à la réac­tion de Véro­nique Sou­lé (“Leçons”, Libé­ra­tion du 29 jan­vier, “Le Making of”), réac­tion qui, en tant que telle — en tant qu’elle existe, donc — pour­rait réjouir tous ceux qui s’intéressent à la vie de la presse, et qui laisse cepen­dant désem­pa­rés ceux qui ont lu ce à quoi elle répond.

Qu’a‑t-elle lu, elle, peut-on se deman­der, dans l’article dont elle déclare qu’il “fri­sait l’injure” ? Qu’a‑t-elle oublié de lire dans le com­men­taire dont elle déclare qu’il était “plu­tôt soft” ? Ce com­men­taire, celui d’Igor Babou (je dis son nom, et sup­pose qu’il ne m’en vou­dra pas) est plu­tôt non seule­ment “hard”, mais il l’est déli­bé­ré­ment. Et le texte que j’avais écrit pré­cé­dem­ment est pro­fon­dé­ment inquiet, certes, bles­sant peut-être, mais inju­rieux, non.

Ces ques­tions de lec­ture sont essen­tielles : Véro­nique Sou­lé oublie que j’ai signa­lé, évo­quant le silence des médias, qu’il y avait des excep­tions, les­quelles “ne contra­rient pas, étant don­né leur rare­té, la ten­dance géné­rale” (autre­ment dit, et sans entrer dans le détrail de ce à quoi je pen­sais et de ce qu’elle rap­pelle, les quelques exemples qu’elle nous donne n’infirment de toute façon en rien un pro­pos sur une ten­dance, encore une fois, géné­rale) ; elle s’indigne du fait que “pour la seconde fois en huit jours, le Contre-Jour­nal publie des attaques contre l’attitude des médias lors du mou­ve­ment anti-LRU”, sépa­rant l’une de l’autre ces “deux fois” évi­dem­ment et expli­ci­te­ment liées, et sur­tout signa­lant, par la for­mu­la­tion “lors du mou­ve­ment” (variée, quelques lignes plus loin en un tout aus­si révé­la­teur “durant la crise”), qu’elle consi­dère ce mou­ve­ment ter­mi­né, ache­vé, mort, repre­nant donc impli­ci­te­ment ce qui a été dit et écrit un peu par­tout. Et c’est là une infor­ma­tion — que les jour­na­listes me par­donnent…— abso­lu­ment inexacte, tout comme celle, paral­lèle, que “seule telle ou telle Uni­ver­si­té résiste encore”, “infor­ma­tions” qui coïn­cident de manière trou­blante avec le dis­cours du pou­voir. Ce qui confirme, donc, que Véro­nique Sou­lé n’a lu réel­le­ment ni l’article ni les com­men­taires à celui-ci. De quoi par­lions-nous en effet, sinon de ceci, que sa réac­tion confirme : du fait que les médias n’ont par­lé que de “la situa­tion dans les uni­ver­si­tés” et qu’ils se sont dés­in­té­res­sés des rai­sons que nous avions de nous oppo­ser à cette loi ; qu’ils ont donc un peu “cou­vert” le mou­ve­ment étu­diant, s’attachant le plus sou­vent à ce qui était “spec­ta­cu­laire” (grève de la faim, empri­son­ne­ment) ou pure­ment “éco­no­mique” (les exa­mens, le pro­blème des « éva­lua­tions”…), et qu’ils n’ont don­né ni aux étu­diants (hors l’UNEF…) ni aux ensei­gnants la pos­si­bi­li­té de dire, preuves et ana­lyses à l’appui, ce pour quoi ils s’opposaient à la loi LRU.

Lors du mou­ve­ment”, “durant la crise”, cela veut dire ceci : que, au-delà de la défense du jour­nal (lequel non seule­ment n’est pas plus qu’un autre mis en cause, mais est tout de même celui qui, “conte­nant” un contre-jour­nal, a pu accueillir cette contre-infor­ma­tion et les com­men­taires qu’elle a sus­ci­tés), au-delà de cette défense ins­tinc­tive, méca­nique, et qui évite la ques­tion posée, Véro­nique Sou­lé conti­nue à “infor­mer” à sa manière, c’est-à-dire à pré­ci­sé­ment infor­mer l’opinion. Ce qui signi­fie jus­te­ment ce qui était sug­gé­ré : qu’elle pour­rait bien être elle-même (comme d’autres) infor­mée, for­mée par un dis­cours com­mun et conforme qu’elle reproduirait.

Elle per­met ain­si de sub­sti­tuer au couple infor­ma­tion / dés­in­for­ma­tion, que j’avais uti­li­sé pour plus de lisi­bi­li­té, le couple autre­ment inté­res­sant de contre-infor­ma­tion / infor­ma­tion, tel qu’il est évo­qué par Gilles Deleuze, par exemple dans “Qu’est-ce que l’acte de créa­tion ?”, texte d’une confé­rence faite en 1987 à la FEMIS repro­duit dans Deux régimes de fous (on peut voir la confé­rence elle-même dans le DVD de L’Abé­cé­daire, l’un et l’autre à dif­fu­ser, comme le film “Uni­ver­si­tés, le grand soir”, à la télé­vi­sion à une heure de grande écoute…).

On espère que la col­lègue évo­quée dans cette réponse (“l’enseignante-chercheure”…), membre elle aus­si du col­lec­tif “Sau­vons l’Université”, dont on apprend qu’elle a télé­pho­né à Libé­ra­tion en pro­po­sant d’envoyer des infor­ma­tions sur la loi LRU, ne se décou­ra­ge­ra pas en lisant le billet de Véro­nique Sou­lé, et qu’elle enver­ra sim­ple­ment et logi­que­ment les textes et docu­ments en ques­tion (contre-infor­ma­tion) direc­te­ment à Karl Laske, res­pon­sable du Contre-jour­nal. Et l’on peut pen­ser qu’Igor Babou est, comme moi, mal­heu­reu­se­ment confor­té dans son ana­lyse du com­por­te­ment des médias. Car Véro­nique Sou­lé aurait pu réflé­chir à la ques­tion que, cha­cun à sa manière, nous posions : elle a pré­fé­ré ne pas lire, ne pas entendre ce qui était dit.

Fran­çoise Asso

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