Indignation face à une ENS indigne : à propos de la censure du débat avec Stephane Hessel
Ecrit par Administrateur, 31 Jan 2011, 1 commentaire
Réflexe citoyen et universitaire, nous avons, à l’ENS de Lyon, voulu manifester notre indignation suite à la censure de la conférence de Stéphane Hessel prévue le 18 janvier dernier à l’ENS de Paris. Cette conférence devait se dérouler avec Leïla Shahid, représentante de la Palestine à Bruxelles, les pacifistes israéliens Michel Warschawski et Nurit Peled, la députée socialiste Elisabeth Guigou et le secrétaire-général-adjoint du Syndicat de la magistrature, Benoist Hurel. Le débat portait sur la répression de l’opération de boycott des produits israéliens, l’opération BDS « Boycott, désinvestissement, sanction ».
Un appel a été lancé à l’ENS de Lyon, en direction des syndicats, collectifs et individus sur quelques listes de discussion locales. Nous proposions d’écrire à Mme Canto-Sperber pour dénoncer ces abus de pouvoir et ces atteintes à la liberté d’expression, de réunion, de débat, etc. Dans le même temps, nous souhaitions exprimer notre solidarité collective à nos camarades et collègues d’Ulm qui ont dénoncé cette censure, ainsi bien entendu qu’à Stéphane Hessel et aux intervenants censurés (Stéphane Hessel et Régis Debray ont d’ailleurs réagi dans un article du Monde en décrivant ce qu’ils auraient pu dire si la censure ne les avait pas frappés).
Nos collègues lyonnais étant trop tétanisés à l’idée de prendre position collectivement, nous avons donc envoyé individuellement des mails de protestation à Mme Canto-Sperber. Nous ne savons pas si, par ailleurs, d’autres courriers de protestation ont été envoyés individuellement.
En signe de solidarité avec Stéphane Hessel et avec les organisateurs de cette manifestation censurée, ainsi avec tous ceux qui, ailleurs, luttent pour le respect du droit international et de la démocratie, nous reproduisons ici les trois mails envoyés :
Mail d’Igor Babou :
Madame la Directrice,
Je suis maître de conférence habilité à diriger des recherches à l’ENS de Lyon. Je vous écris ce mail pour vous faire part de mon indignation face à votre décision d’interdire le débat autour de Stéphane Hessel qui était prévu ce soir dans vos locaux : en tant que Directrice d’une ENS, philosophe et spécialiste d’éthique qui plus est, vous vous êtes fait complice de la servilité de nos institutions face à un pouvoir politique, celui que représente votre ministre de tutelle, pouvoir “décomplexé” dont on mesure chaque jour un peu plus les inclinations totalitaires, racistes et poujadistes. Vous n’auriez pas du vous discréditer ainsi, et encore moins discréditer par votre décision, une institution de la république dont vous n’êtes pas la propriétaire, mais la simple dépositaire : dépositaire avant tout de valeurs de liberté et d’indépendance face aux pouvoirs, dont les ENS ont été, à une époque pourtant pas si lointaine, porteuses. Il est proprement honteux d’avoir cédé, enfin, à un groupuscule bien connu (le CRIF), qui n’est pas représentatif de l’opinion de tous les juifs de France, et dont le ton illuminé et violent du communiqué célébrant votre soumission à ses intimidations, ainsi que les actions de censure régulières, ne peuvent que contribuer à favoriser les replis communautaristes ainsi que l’anti-sémitisme dans notre pays. Quand on connaît le parcours et le courage de Stephane Hessel (juif, rescapé de Buchenwald, ancien résistant, et membre de la commission des droits de l’Homme à l’ONU), le fait de soutenir par votre interdiction la censure qui le frappe, et de contribuer ainsi aux ignobles accusations d’anti-sémitisme dont il est l’objet, ne peut que soulever le cœur. Il est encore temps pour vous, et pour l’ENS d’Ulm, de retrouver une dignité : il vous suffit de faire preuve d’esprit démocratique et de courage politique en levant dès aujourd’hui votre interdiction, et en participant au débat qui était prévu.
Veuillez accepter, Madame la Directrice, l’expression de mes sentiments respectueux
–
Igor Babou
Maître de Conférences Habilité à Diriger des Recherches
École Normale Supérieure de Lyon (Lettres et Sciences Humaines)
Centre Norbert Élias (UMR 8562)
Équipe “Communication, Culture et Société” (http://c2so.ens-lyon.fr)
15, parvis René Descartes — BP 7000 — 69342 Lyon Cedex
Mail de Joëlle Le Marec :
Madame la directrice
L’ENS a commis une erreur très grave en annulant le débat auquel devait intervenir Stephane Hessel ce mardi.
J’imagine que vous en êtes déjà convaincue en ayant lu le délicat communiqué du CRIF qui ne prend pas particulièrement de gants pour vous adresser des remerciements fort encombrants, en saluant le fait que vous ayez courageusement cédé à ses pressions.
Mais si le débat n’a pas lieu à l’ENS, il a lieu en ce moment partout, il déborde, il enfle partout où l’on commente cette décision d’annulation qui n’aura servi qu’à rajouter une question nouvelle à ce qui méritait d’être déjà discuté : que sont devenues les institutions telles que l’ENS, les espaces de la formation et de la vie intellectuelle, d’où sont sortis des hommes qui, comme Stéphane Hessel, lui ont ensuite restitué leur rayonnement, et leur grandeur ?
D’où vient le contraste entre le courage de ces hommes, membres de cette institution, et la peur que respire votre décision de directrice ?
Comment se fait-il que vous puissiez désavouer l’initiative de vos propres élèves et la participation de tant de personnes qui ont souhaité ce débat, qui l’ont organisé, qui s’y sont inscrits ?
Comment pouvez-vous, n’étant pas propriétaire des lieux, décider à la place de toutes ces personnes de la légitimité de ce qu’ils y organisent ? Comment osez-vous censurer cette manifestation : ne vous rappelez-vous pas vos tribunes du Monde à propos de la nécessité absolue du débat ?
Le résultat de votre malheureuse interdiction aura été de rendre encore plus manifeste la nécessité de discuter dans ce pays, s’il le faut hors des lieux qui devraient en être les principaux espaces d’accueil, puisque manifestement, l’ENS semble co-dirigée de l’extérieur par des instances qui s’interposent de manière ô combien plus dangereuse dans la vie de l’école, que les participants à un débat dont vous êtes désormais de toutes façons partie-prenante.Bien à vous
–
Joëlle Le Marec
Professeur des Universités
École Normale Supérieure de Lyon (Lettres et Sciences Humaines)
Centre Norbert Élias (UMR 8562)
Équipe “Communication, Culture et Société” (http://c2so.ens-lyon.fr)
15, parvis René Descartes — BP 7000 — 69342 Lyon Cedex
Mail d’Affifa Zenati :
Madame la directrice,
Que sont nos institutions universitaires devenues ?
Se faire délivrer la légion d’honneur du courage par le CRIF… A vous, philosophe, spécialiste d’éthique et de Platon, directrice de cette ENS dont l’esprit de liberté intellectuelle a irrigué moult générations !
Honteux et pitoyable, tout comme les justifications sécuritaires de la direction de l’ENS dans son communiqué du 18 janvier.
Vous avez voulu censurer une conférence en obéissant au pouvoir politique et en cédant au diktat d’un groupuscule religieux mais fort heureusement, le débat s’est non seulement déplacé à l’extérieur mais a enflé, enflé…
Au final, on retiendra l’indignité de la direction de l’ENS mais après tout, cette École, dont nous comptons bien fermement continuer à défendre les valeurs de liberté, cette ENS, vous n’en êtes pas propriétaire, mais simple dépositaire temporaire…Salutations démocratiques.
–
Afifa Zenati
École normale supérieure de Lyon
— Centre Max Weber — Equipe “Dispositions, cultures, pouvoirs et socialisations”, pôle numérique
— Atelier des Humanités Numériques, pôle publications en ligne.
“La science a besoin de celui qui ne lui obéit pas” (Theodor W. Adorno)
- Soutenons les journalistes Omar Radi et Souleiman Raissouni, harcelés par les autorités marocaines et en grève de la faim — 11 juin 2021
- Appel de l’université de Boğaziçi — 8 janvier 2021
- Appel à solidarité au sein de l’Université de Paris à l’égard de nos collègues BIATSS : non aux mesures discriminatoires — 21 avril 2020
Le blog de l’équipe “Éducation” du Monde vient de publier une pétition signée par un nombre impressionnant d’intellectuels et universitaires américains qui dénoncent, comme nous le faisions, les censures de Monique Canto Sperber. La voici :
http://lemonde-educ.blog.lemonde.fr/2011/03/22/normale-sup-le-gratin-de-la-recherche-mondiale-consterne-par-monique-canto-sperber/
Normale Sup’ : le gratin de la recherche mondiale “consterné” par Monique Canto-Sperber