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Projet d’Institut autonome des sciences humaines et sociales


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Pour une structure d’enseignement et de recherche cohérente

Par Igor Babou , Joëlle Le Marec

Ce texte est en cours de rédac­tion : il s’inscrit dans une réflexion en cours. Les avis exté­rieurs sont les bienvenus !

L’enseignement supé­rieur et la recherche en sciences humaines et sociales tra­versent actuel­le­ment une crise très pro­fonde. Fon­da­men­ta­le­ment, cette crise n’est pas liée à un manque de moyens et encore moins à l’inadaptation des struc­tures au mar­ché. En réa­li­té, le pro­blème majeur que nous affron­tons quo­ti­dien­ne­ment, en tant que cher­cheurs, est celui de la perte de nos liber­tés : on assiste à l’assujettissement crois­sant de la recherche et de l’enseignement à des logiques éco­no­miques et poli­tiques, à une bureau­cra­ti­sa­tion effré­née, à une obses­sion pour l’évaluation et la pro­duc­ti­vi­té et à une uni­for­mi­sa­tion des struc­tures, des for­mats et des tem­po­ra­li­tés de la recherche. Ces évo­lu­tions sont évi­dem­ment incom­pa­tibles avec l’esprit des Lumières ain­si qu’avec les aspi­ra­tions expri­mées par le public. Celui-ci conti­nue en effet à sou­te­nir une vision géné­reuse de la science et s’inquiète de sa dépen­dance à des inté­rêts contraires au bien-être col­lec­tif de l’humanité.

Nous nous fon­dons sur la néces­si­té, recon­nue y com­pris par les ins­tances aca­dé­miques et poli­tiques, de main­te­nir une diver­si­té de para­digmes et de modes de pro­duc­tion et de trans­mis­sion, pour pro­po­ser une asso­cia­tion, une struc­ture dont le mode d’organisation et de fonc­tion­ne­ment soient la simple mise en œuvre des prin­cipes de liber­té et d’indépendance, de créa­ti­vi­té et de concen­tra­tion, de fra­ter­ni­té et de soli­da­ri­té, prin­cipes aujourd’hui rem­pla­cés par les mots d’ordre de ratio­na­li­sa­tion, pro­duc­ti­vi­té, concur­rence et compétitivité.

Nous nous fon­dons sur l’exigence abso­lue pour toute socié­té de main­te­nir les condi­tions d’une cri­tique et d’une réflexi­vi­té dont la dis­pa­ri­tion est extrê­me­ment dan­ge­reuse : car une socié­té qui se refuse à la cri­tique et à la réflexi­vi­té est une socié­té qui court le risque de plon­ger dans la bar­ba­rie, l’Histoire récente nous a don­né bien des exemples de ces catastrophes.

Nous sommes atta­chés au pro­jet des Lumières d’un savoir indé­pen­dant des pou­voirs et visant la « sor­tie de l’homme de sa mino­ri­té dont il est lui-même res­pon­sable », pour reprendre la for­mule bien connue de Kant, mais nous ne pou­vons igno­rer l’état éco­lo­gique catas­tro­phique de la pla­nète à laquelle le pro­jet de ratio­na­li­sa­tion des Lumières nous a conduit en ne consi­dé­rant la nature que sous l’angle d’une res­source à exploi­ter. Nous ne pou­vons igno­rer à quel point les sciences humaines et sociales, au même titre que les sciences de la nature, ont été res­pon­sables de cette inver­sion de la Rai­son qui, gui­dée par le mythe du Pro­grès, a fini par trans­po­ser la domi­na­tion de la nature en domi­na­tion des hommes et des socié­tés, et cela au sein même des ins­ti­tu­tions du savoir. Notre ambi­tion est de reve­nir à la Rai­son au sein même des pra­tiques quo­ti­diennes de la recherche et de l’enseignement supé­rieur : c’est pour­quoi nous reven­di­quons dans notre pro­po­si­tion à la suite de Mar­cuse, des cri­tères de ratio­na­li­té dont la réa­li­sa­tion « offre une plus grande chance de suc­cès pour la paci­fi­ca­tion de l’existence, à l’intérieur d’un cadre ins­ti­tu­tion­nel qui favo­rise mieux le déve­lop­pe­ment des besoins et des facul­tés humaines ».

Com­ment faire concrè­te­ment lorsqu’il semble que chaque jour les nou­velles moda­li­tés d’exercice de notre métier d’enseignant-chercheur consistent à nous trans­for­mer en agents de la des­truc­tion des valeurs qui le fon­daient. Nous avons héri­té d’un patri­moine d’institutions que nous sommes chaque jour ame­nés à vider de leur dimen­sion ins­ti­tu­tion­nelle au nom d’un rai­son­ne­ment dont nous savons déjà qu’il va nous pié­ger : il vau­drait tou­jours mieux res­ter dans un sys­tème pour l’infléchir plu­tôt que d’en sor­tir. Nous sommes ame­nés à ins­tru­men­ta­li­ser nos ins­ti­tu­tions pour leur propre des­truc­tion parce que nous vivons une crise majeure du don et de la transmission.

Nous ne pour­sui­vrons pas plus long­temps car les constats ont été effec­tuées et publiées, les alertes lan­cées, et l’expérience montre hélas que toute ana­lyse, si inat­ta­quable soit-elle, ne per­met jamais de faire chan­ger le cours des choses par elle-même.

C’est pour­quoi nous pen­sons que le moment est venu de sor­tir des cadres actuels. Nous ne pou­vons plus agir de façons inter­sti­tielle, dans le rat­tra­page, dans l’infléchissement, la perte de concen­tra­tion, la méfiance, l’indignité.

Ain­si, nous pro­po­sons la créa­tion d’une asso­cia­tion, un Ins­ti­tut auto­nome des sciences humaines et sociales, dont le fonc­tion­ne­ment s’appuie sur quelques prin­cipes simples de cohé­rence, de liber­té, de rigueur, de fra­ter­ni­té, dont on pour­rait pen­ser qu’ils sont consen­suels, mais qui n’inspirent plus guère les modes de struc­tu­ra­tion de la recherche et de l’enseignement.

L’Institut est une struc­ture mineure : il n’a pas pour voca­tion l’expérimentation d’un modèle qu’il s’agirait de tes­ter ou de déve­lop­per. Il n’a pas pour voca­tion à com­mu­ni­quer sur l’excellence de ses résul­tats ou convaincre de son effi­ca­ci­té. L’enjeu est uni­que­ment la créa­tion d’un espace pro­té­gée – une réserve – suite au constat que la situa­tion géné­rale est trop dégra­dée, mais qu’il est encore légi­time de reven­di­quer une diver­si­té des pra­tiques d’enseignements et de recherche, au nom d’une éco­lo­gie cultu­relle et intel­lec­tuelle. L’enjeu est de per­mettre que sub­sistent dans cet espace pro­té­gé des condi­tions qui sont néces­saires, au moins à cer­tain type d’enseignants-chercheurs, pour don­ner la pleine mesure de leur ambi­tion scien­ti­fiques et de leurs pos­si­bi­li­tés de tra­vail. Il n’est en effet plus rare d’entendre des cher­cheurs de pre­mier plan, actuel­le­ment en fin de car­rière, s’inquiéter de la dis­pa­ri­tion des condi­tions qui leur ont per­mis de contri­buer signi­fi­ca­ti­ve­ment à la com­pré­hen­sion des phé­no­mènes cultu­rels et sociaux.

Le coût de créa­tion de la struc­ture et son coût de fonc­tion­ne­ment sont minimes : : nous sommes fonc­tion­naires de l’Etat, à ce titre, nous sommes à l’abri du besoin et n’en sommes que plus rede­vables à la socié­té de la liber­té intel­lec­tuelle qu’elle nous accorde. C’est de l’usage de cette liber­té que nous sommes comp­tables, et non de celui de nos salaires. Quand cette liber­té est mena­cée par les struc­tures mêmes qui orga­nisent notre tra­vail notre devoir de cher­cheurs est de défendre les prin­cipes et les valeurs pour les­quels nous nous sommes enga­gés, dont nous avons héri­té, et que nous devons transmettre.

Les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut auto­nome sont les suivants :

– L’Institut est consti­tué sur la base d’une asso­cia­tion Loi de 1901.

– L’Institut est auto­fi­nan­cé par la contri­bu­tion de ses membres, sur la base d’une dona­tion obli­ga­toire d’1/10ème du salaire de chaque ensei­gnant-cher­cheur par mois.

– La répar­ti­tion des bud­gets pour les opé­ra­tions de recherche est éga­li­taire : une fois reti­ré du bud­get glo­bal de l’Institut tout ce qui concerne les frais de fonc­tion­ne­ment col­lec­tifs, chaque cher­cheur confir­mé peut uti­li­ser la somme res­tante divi­sée par le nombre de cher­cheurs confir­més en acti­vi­té au sein de l’Institut.

– L’Institut a pour unique objec­tif la pro­duc­tion, l’enseignement et la dif­fu­sion publique de connais­sances ori­gi­nales dans le domaine de l’analyse des pro­ces­sus his­to­riques, sociaux et sémio­tiques, ain­si que de l’ensemble des pra­tiques, acteurs, repré­sen­ta­tions et ins­ti­tu­tions consti­tuant ces pro­ces­sus. Il n’est au ser­vice d’aucun Etat, d’aucune entre­prise, d’aucune col­lec­ti­vi­té ou groupe d’intérêt public ou pri­vé. Il a pour objec­tif de pro­duire un savoir sur la socié­té, ancré sur une réflexion théo­rique et des approches empi­riques vali­dées par une com­mu­nau­té de pairs s’engageant à res­pec­ter les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut.

– Les membres de l’Institut orga­nisent leur tra­vail en totale liber­té : les choix de mener des tra­vaux indi­vi­duel­le­ment ou col­lec­ti­ve­ment, les manières de les mener, les rythmes et les formes de la publi­ca­tion, sont liés aux néces­si­tés des recherches elles-mêmes. L’Institut rend public annuel­le­ment un compte-ren­du de ses acti­vi­tés, tra­vaux et résultats.

– Les membres de l’Institut sont libres et égaux en droits : ils ne recon­naissent aucun rap­port hié­rar­chique ni entre eux, ni entre les dis­ci­plines dont ils sont ori­gi­naires et dont ils s’engagent à aban­don­ner la reven­di­ca­tion à la fois dans leurs écrits et dans leurs actes quo­ti­diens au sein de l’Institut. Les grades, fonc­tions, res­pon­sa­bi­li­tés et légi­ti­mi­tés acquises à l’extérieur de l’Institut par ses membres n’ont aucune valeur en son sein.

- L’Institut fonc­tionne sur un prin­cipe de démo­cra­tie directe et col­lé­giale : l’ensemble des membres siège au conseil de déci­sion. Ce der­nier éla­bore ou modi­fie ses règles de fonc­tion­ne­ment sur la base de réunions régu­lières entre l’ensemble de ses membres.

– Chaque cher­cheur d’Institut dis­pose d’une voix. Les doc­to­rants en votent pas mais par­ti­cipent aux réunions. Les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut ne peuvent être modi­fiés en aucune manière : les déci­sions mises au vote ne peuvent concer­ner que les règles et pro­cé­dures d’application de ces prin­cipes, et non ces prin­cipes eux-mêmes.

- Le nombre des adhé­sions est limi­té de façon à ce que le nombre des membres per­mette le fonc­tion­ne­ment de l’Institut sur les bases ain­si défi­nies. Au cas où le nombre des membres attein­drait un seuil au-delà duquel il ne serait plus pos­sible d’en assu­rer le fonc­tion­ne­ment entiè­re­ment col­lé­gial, il appar­tien­drait aux nou­veaux can­di­dats de ten­ter de recréer un nou­vel Ins­ti­tut Autonome.

– L’Institut n’est com­po­sé que de deux types de cher­cheurs : les cher­cheurs confir­més (qui dis­posent d’un doc­to­rat et/ou d’une habi­li­ta­tion à diri­ger des recherches, et qui sont rému­né­rés par un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur et de recherche) et les doc­to­rants (qui s’inscrivent dans l’université de rat­ta­che­ment de leur direc­teur). Il n’emploie ni secré­ta­riat, ni agent comp­table, ni admi­nis­tra­teur : chaque cher­cheur confir­mé devra accom­plir sa part de charges orga­ni­sa­tion­nelles direc­te­ment. Les doc­to­rants se consacrent uni­que­ment à l’avancement de leur tra­vail de recherche.

– Les membres de l’Institut ont une obli­ga­tion d’enseignements et les cours dis­pen­sés sont d’accès libre et gratuits.

– L’aide deman­dé aux pou­voirs publics pour la créa­tion de l’Institut est la sui­vante : les ins­tances dont dépendent les cher­cheurs et ensei­gnants-cher­cheurs membres acceptent l’adhésion du membre à l’Institut. L’effort consen­ti équi­vaut à mettre à dis­po­si­tion d’une struc­ture un agent et son salaire.

– L’Institut ne demande aucune autre aide. Il accepte les dons et sub­ven­tions éven­tuelles sans les solliciter.

– Les ensei­gnants-cher­cheurs membres de l’Institut y mènent leur recherche et leur ensei­gne­ment à plein temps. Ils n’exercent plus leurs acti­vi­tés et res­pon­sa­bi­li­tés au sein de leurs anciens laboratoires.

Igor Babou
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10 réponses “Projet d’Institut autonome des sciences humaines et sociales”

  1. Avatar photo 2 octobre 2007 à 20 h 12 min

    Bon­jour,

    quel souffle, quel élan et quelle cohé­rence, bravo.

    L’esprit géné­ral me fait pen­ser à une ana­lyse de l’évolution de l’enseignement supé­rieur dans les années… 1960 par Oskar Negt, dont je viens de publier les écrits en fran­çais (L’espace public oppo­si­tion­nel, Payot, 2007).

    Une remarque cepen­dant : étant rému­né­ré comme cher­cheur contrac­tuel pour les acti­vi­tés que je mène au sein du labo, je ne sau­rais me consa­crer entiè­re­ment aux acti­vi­tés d’un ins­ti­tut auto­nome, à moins de ris­quer un licen­cie­ment rapide…

    Votre démarche ne prend peut-être pas suf­fi­sam­ment en compte l’état de pré­ca­ri­sa­tion du métier, même si la défi­ni­tion du cher­cheur confir­mé ne suit pas la sépa­ra­tion admi­nis­tra­tive titu­laires / doc­teurs etc. Je vous invite ami­ca­le­ment à repen­ser votre concep­tion pro­met­teuse en fonc­tion de ce phénomène.

    Cor­dia­le­ment, Alexan­der Neu­mann, char­gé de recherche post-doc et …

    redac­teur en chef de Varia­tions — revue inter­na­tio­nale de théo­rie critique.

    • Avatar photo 2 octobre 2007 à 20 h 14 min

      Mer­ci pour vos encou­ra­ge­ments et votre remarque, qui est tout à fait légi­time. Nous avons rai­son­né à par­tir de nos pra­tiques de cher­cheurs sta­tu­taires, sans tenir compte des contrac­tuels de recherche. Mais c’est bien là l’intérêt de dis­cu­ter de ce texte, qui n’est vrai­ment qu’un pre­mier jet. Si vous avez une idée pour aller dans le sens défi­ni par ce pro­jet tout en inté­grant mieux les autres pro­fils de cher­cheurs pou­vant être inté­res­sés, n’hésitez sur­tout pas !

    • Avatar photo 2 octobre 2007 à 20 h 16 min

      Mer­ci à vous ! Je ne connais­sais pas Oskar Negt mais je ne vais pas tar­der à connaître Je com­prends bien la remarque, et elle est d’autant plus inté­res­sante qu’elle pos­tule la pos­si­bi­li­té pour l’Institut d’être une struc­ture empi­rique effec­tive fonc­tion­nant à par­tir des volon­tés exis­tantes. Or ce pas­sage d’un ensemble de prin­cipes à la pro­po­si­tion effec­tive reste à faire. C’est une étape dif­fi­cile parce que dans le contexte actuel, nous avons envie de sen­tir jusqu’à quel point on a (encore) envie de par­ta­ger des prin­cipes fermes, pas des “hori­zons”.

  2. Avatar photo 7 février 2008 à 20 h 02 min

    Allé­chant. Néan­moins, quitte à viser une orga­ni­sa­tion liber­taire, pour­quoi s’arrêter en si bon chemin :
    — le titre de doc­teur confé­ré par l’État n’est qu’un filtre, un garant de la repro­duc­tion des élites ; l’adopter comme cri­tère pour les membres revient à replan­ter le germe de l’inégalité pro­duite par l’université institutionnelle ;
    — « nous sommes des fonc­tion­naires » ? tant mieux pour vous, mais ce n’est ni le cas ni le sou­hait de tous.
    — pour­quoi se par­quer dans une « réserve » pour cher­cheurs confir­més, quant on peut adop­ter le prin­cipe de l’accès pour qui le sou­haite à l’enseignement et à la recherche ? L’émancipation ne se réa­lise que par l’échange libé­ré du conven­tion­nel et de l’institutionnel.
    — la démo­cra­tie, même directe, peut tou­jours cacher une oli­gar­chie : pour­quoi le vote est-il réser­vé aux cher­cheurs, et reti­ré aux doc­to­rants ? Une vieille manie sans doute … Avec tout mon intérêt.

  3. Avatar photo 8 février 2008 à 20 h 07 min

    Je vous réponds à titre per­son­nel, et lais­se­rai mes amis indis­ci­pli­nés don­ner leur avis s’ils le souhaitent.

    Allé­chant. Néan­moins, quitte à viser une orga­ni­sa­tion liber­taire, pour­quoi s’arrêter en si bon chemin :

    Je ne pense pas que nous envi­sa­gions d’être (ni de deve­nir) une orga­ni­sa­tion “liber­taire”. Sur­tout si par “liber­taire” on entend absence de règle, ce qui est trop sou­vent le cas, et ne cor­res­pond pas à ce que j’imagine d’un véri­table esprit liber­taire, qui est plu­tôt celui d’une éla­bo­ra­tion conti­nue et col­lec­tive des règles de fonc­tion­ne­ment du col­lec­tif. Notre visée (du moins la mienne) est celle de la recherche et de l’enseignement, celle du savoir, qui est, ou devrait être, “auto­nome” plus que “liber­taire”. En ce sens, ce sont plus les Lumières qui nous servent de fon­de­ment idéo­lo­gique, moyen­nant quelques cri­tiques (notam­ment en ce qui concerne le rap­port à la nature).

    le titre de doc­teur confé­ré par l’État n’est qu’un filtre, un garant de la repro­duc­tion des élites ; l’adopter comme cri­tère pour les membres revient à replan­ter le germe de l’inégalité pro­duite par l’université institutionnelle ;

    Dans ce cas là, pour­quoi faites vous une thèse à l’EPHE ?

    Le titre de doc­teur n’est pas “que” un filtre, et encore moins un “garant de la repro­duc­tion des élites”. Bien au contraire. Il cor­res­pond, si on oublie un peu l’Etat qui le délivre (ou plu­tôt l’université… si on pou­vait avoir un peu plus d’Etat et un peu moins de libé­ra­lisme suite à la LRU, on se por­te­rait sans doute mieux.…), à un tra­vail intel­lec­tuel signi­fiant que celui qui l’a accom­pli a réus­si à dépas­ser, dans un sec­teur déli­mi­té du réel, ses propres pré­ju­gés. A se libé­rer de la tutelle du “don­né”, des fausses évi­dences. Que ce soit l’Etat qui confère ce titre ren­voie à l’histoire des sciences qui est insé­pa­rable d’une concep­tion de l’Etat “pro­vi­dence” (cf. Bacon) comme garant d’une équi­té sur un ter­ri­toire et de la per­en­ni­sa­tion des struc­tures per­met­tant à une pen­sée auto­nome et libé­rée des puis­sances de l’argent et de la reli­gion de se déployer. Que l’Etat ait man­qué à cette mis­sion, qui est avant tout une uto­pie, est dif­fé­rent de la nature même de cette mis­sion, qui me paraît tou­jours aus­si res­pec­table. Peut-être fau­drait-il rap­pe­ler plus sou­vent que les ins­ti­tu­tions sont issues de la révo­lu­tion et de l’énorme tra­vail d’émancipation de la pen­sée pro­duit dès le XVIIème siècle, et pas seule­ment un espace de coer­ci­sion comme les années 60 à 70 se sont plues à le défi­nir. Si vous vou­lez aller jusqu’au bout de votre cri­tique, alors il fau­drait rap­pe­ler que le titre de doc­teur était déjà déli­vré au moyen âge par les facul­tés de théo­lo­gie, et non par l’Etat républicain.

    Quant à la repro­duc­tion, je pré­fère celle des pairs s’organisant col­lec­ti­ve­ment et en public à par­tir de règles expli­cites à celle de la jungle du mar­ché et des cer­ti­fi­ca­tions Micro­soft, ou à la concep­tion sar­ko­zyste du droit du Prince implan­tée dans la LRU

    « nous sommes des fonc­tion­naires » ? tant mieux pour vous, mais ce n’est ni le cas ni le sou­hait de tous.

    Certes, mais nous, nous le sommes, et n’en avons pas honte et pour le moment, depuis le lan­ce­ment de cette idée d’institut, seuls d’horribles fonc­tion­naires ont mon­tré leur inté­rêt actif et régu­lier. Donc, on construi­ra avec qui sera là, pour nous-mêmes. Ensuite on par­ta­ge­ra une pro­po­si­tion, en espé­rant qu’elle inté­resse. Mais on peut bien enten­du ima­gi­ner des solu­tions pour des membres non fonctionnaires.

    pour­quoi se par­quer dans une « réserve » pour cher­cheurs confir­més, quant on peut adop­ter le prin­cipe de l’accès pour qui le sou­haite à l’enseignement et à la recherche ? (…)

    J’assume la dis­tinc­tion entre cher­cheurs confir­més et cher­cheurs débu­tants. Elle est inhé­rente à l’idée même de savoir, c’est à dire de quelque chose qui dépend d’un dépla­ce­ment intel­lec­tuel, d’un appren­tis­sage, de la figure du “maître” (ou du guide, du conseiller, du tuteur, si vous pré­fé­rez. D’ailleurs, même dans les com­mu­nau­tés anar, il y a des anars confir­més, et des anars débu­tants, et les légi­ti­mi­tés n’ont cer­tai­ne­ment pas dis­pa­ru dans les milieux dits “anti-auto­ri­taires” : elles se déplacent, mais ne dis­pa­raissent jamais…). Si on sup­pri­mait cette disc­tinc­tion pour le savoir, on se trou­ve­rait vite au café du com­merce, non ? L’obscurantisme libé­ral n’est fait que de ça : du refus de tenir compte de la dif­fé­rence de sta­tut cog­ni­tif entre ceux qui tentent de dépas­ser leurs pré­ju­gés sur un domaine et de construire une pen­sée orga­ni­sée à par­tir d’un tra­vail valant “plus” que le fait de n’avoir rien fait ni rien sou­te­nu publi­que­ment dans un envi­ron­ne­ment de pairs, et d’autre part ceux qui pré­tendent que tout se vaut, que le savoir est à celui qui parle le plus fort ou qu’il ne doit pas être confié à des comm­nu­nau­tés qui s’y dédient corps et âme.

    En fait, nous sommes des clas­siques, et moi je suis fon­da­men­ta­le­ment bache­lar­dien : je pense que la vraie révo­lu­tion, c’est d’être classique.

    Ensuite, il y a des condi­tions pra­tiques : il ne s’agit pas de recons­ti­tuer l’université. Des vies entières d’indisciplinés n’y suf­fi­raient pas ! Et encore une fois, si cer­tains veulent s’impliquer dans l’enseignement ouvert à tous, par­fait, mais pour le moment, nous ne sommes pas assez nom­breux. Enfin, il existe déjà des uni­ver­si­tés popu­laires. Notre pro­pos est plus situé en direc­tion de l’enseignement doc­to­ral. Mais bon, sans dog­ma­tisme non plus !

    Cor­dia­le­ment

  4. Avatar photo 8 février 2008 à 20 h 10 min

    J’oubliais votre der­nière remarque :

    La démo­cra­tie, même directe, peut tou­jours cacher une oli­gar­chie : pour­quoi le vote est-il réser­vé aux cher­cheurs, et reti­ré aux doc­to­rants ? Une vieille manie sans doute … Avec tout mon intérêt.

    Dans les labos, les doc­to­rants ont le droit de vote (disons, dans les gros labos très struc­tu­rés) : vous avez l’impression d’une bonne démo­cra­tie ? Rien à voir en ce qui me concerne avec des habi­tudes man­da­ri­nales : d’ailleurs, si nous n’avions que ce type d’habitude et d’enjeux, nous nous conten­te­rions de nos car­rières aca­dé­miques… sans nous com­pli­quer la vie avec un Ins­ti­tut Auto­nome ! Sinon, on aime­rait bien que les doc­to­rants vivent dans l’espace idéal du savoir sans avoir d’autres contraintes que l’élaboration d’une bonne thèse. Si on com­mence à dis­tri­buer des res­pon­sa­bi­li­tés admi­nis­tra­tives aux doc­to­rants, alors on recons­ti­tue l’université telle qu’elle est, je le crains. Mais je pense qu’il faut qu’on en dis­cute, effec­ti­ve­ment. Je pense que le fon­de­ment de cette idée, c’est qu’on ne veut pas re-créer l’université mais créer un espace spé­ci­fique dôté de règles spé­ci­fiques. Tiens, une méta­phore : un café n’est pas une démo­cra­tie. Dans le sens où, quand on rentre dans un café, on dis­cute avec des gens, on boit des coups, mais on ne vote pas pour chan­ger la déco­ra­tion du bar. Avec notre ins­ti­tut, c’est un peu la même chose : on veut d’abord réa­li­ser la déco à notre goût avant de la mettre au vote…

  5. Avatar photo 8 février 2008 à 20 h 11 min

    Mer­ci Nico­las pour ce com­men­taire, j’ai lu les réponses d’Igor et je réponds à mon tour. J’avais l’idée de l’Institut Auto­nome à un moment où je me deman­dais com­ment on pou­vait main­te­nir l’institution (dans le sens volon­ta­riste qui a pris corps à la Révo­lu­tion, mais qui est aus­si le sens anthro­po­lo­gique) contre les éta­blis­se­ments pro­fes­sion­nel­le­ment gérés qui aujourd’hui l’ont absor­bée. Pour­quoi le besoin d’imaginer main­te­nir l’Institution ? parce que je ne vois rien de plus fort : les prin­cipes sont là, on n’a jamais réus­si pour le moment à aller au bout de leur logique. Ça coïn­ci­dait avec l’envie d’Igor d’une sor­tie des cadres : la plu­part des mou­ve­ments de contes­ta­tion se font dans les cadres exis­tant sur le monde “on n’est pas contre la néces­si­té de réfor­mer mais il faut de la concer­ta­tion”. D’où l’Institut : au fond, l’idée d’institution appar­tient à tous, mais ce n’est qu’en reve­nant à l’échelle de petits col­lec­tifs qu’on peut vrai­ment s’en empa­rer dans ce qu’elle a d’intéressant, et de tou­jours révo­lu­tion­naire. Je ne suis pas contre les “réserves” et les clô­tures d’ailleurs : l’idéal de la fin des fron­tières, de l’ouverture totale, est un idéal de domi­nant. Mais par contre, il ne s’agit pas de s’enfermer entre cher­cheurs confir­més, mais de se créer un espace, entre indi­vi­dus qui ne sont pas liés par un “niveau” ou un sta­tut mais tout autre chose, une vision com­mune la recherche et l’enseignement. En effet on est fonc­tion­naires et c’est ce qui a ins­pi­ré l’idée du fonc­tion­ne­ment de l’Institut. Main­te­nant si l’idée inté­resse vrai­ment des per­sonnes qui n’ont pas leur sub­ven­tion men­suelle à redis­tri­buer, alors il faut réfléchir.

  6. Avatar photo 5 janvier 2016 à 0 h 24 min

    PS (jan­vier 2015) : cette dis­cus­sion ne se déroule évi­dem­ment pas entre moi, moi et moi !  Je ne com­prends pas pour­quoi, mais les noms des com­men­ta­teurs (qui appa­raissent par­fois en signa­ture) ont tous été rem­pla­cés par le logi­ciel par le mien lors d’une mise à jour du site. Désolé…

  7. 5 janvier 2016 à 0 h 50 min

    Oui ça fai­sait un peu sur­réa­liste de prime abord, rire.

    Mais après deux minutes on finis­sait par com­prendre que sous votre signa­ture c’é­tait en réa­li­té d’autres qui s’exprimaient.

    • Avatar photo 5 janvier 2016 à 1 h 03 min

      Ouf ! Je n’ai pas com­pris ce qui s’est pas­sé, mais si on com­prend que je ne passe pas mon temps devant un miroir, ça me ras­sure :mrgreen: Joëlle Le Marec aus­si a vu son nom dis­pa­raître sous le mien, c’est dingue le révi­sion­nisme his­to­rique de ce site !

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