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Nuit debout : vers une convergence des luttes ?


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Je mets cette vidéo ici, en une, car sans ça Indis­ci­pline ne serait plus Indis­ci­pline… Point de vue stric­te­ment per­son­nel, mais que j’assume.

Je ne com­mente pas plus : l’i­dée serait qu’i­ci, on puisse avoir un débat sur tout cela.

Igor Babou
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16 réponses “Nuit debout : vers une convergence des luttes ?”

  1. Avatar photo 24 avril 2016 à 20 h 25 min

    Une vidéo assez impres­sion­nante qui montre l’ar­mée — oui oui, l’ar­mée ! — inter­ve­nir à Stras­bourg contre la Nuit Debout, sur une place. L’ar­mée. On en est là, en France, en 2016 :

    https://www.facebook.com/100011530335652/videos/175193132875030/

  2. Avatar photo 25 avril 2016 à 16 h 12 min

    Bon, puisque per­sonne ne semble inté­res­sé par la dis­cus­sion sur la Nuit Debout, au moins qu’on puisse en rire (ce n’est pas de moi, j’ai trou­vé ça sur https://odieuxconnard.files.wordpress.com, et c’est excellent) :

  3. Avatar photo 27 avril 2016 à 14 h 51 min

    Cette BD est mar­rante, et elle pointe un aspect des luttes sociales qui peut être cri­ti­qué, et sur lequel on ne se prive pas d’i­ro­ni­ser : leur ten­dance à se noyer dans d’in­ter­mi­nables débats, en par­ti­cu­lier les débats sur la bonne manière de débattre… Quoi qu’il en soit, cette iro­nie repose sur des bases his­to­ri­que­ment fausse, dans la mesure où la révo­lu­tion fran­çaise a été pré­cé­dée par la longue période de dis­cus­sion en “AG” (je pro­duis ici un ana­chro­nisme) lors de la réunion des Etats Géné­raux, et qu’un his­to­rien amé­ri­cain (Timo­thy Tackett) a démon­tré, sur la base de nom­breuses archives (en par­ti­cu­lier l’a­na­lyse inédite de la cor­res­pon­dance des conven­tion­nels), que cette pra­tique de la dis­cus­sion est jus­te­ment ce qui a conduit les conven­tion­nels à deve­nir révo­lu­tion­naires. Tackett se posi­tionne ain­si en oppo­si­tion avec les lec­tures mar­xistes de la Révo­lu­tion (qui repo­se­rait sur des rap­ports de force entre bour­geoi­sie et noblesse) ain­si qu’a­vec les lec­tures libé­rales post-mar­xiste à la Haber­mas (selon qui la Révo­lu­tion serait avant tout le résul­tat de la dif­fu­sion sociale des idées phi­lo­so­phiques de Lumières). La lec­ture de Teckett est, d’une cer­taine manière, prag­ma­tique (au sens de la socio­lo­gie prag­ma­tique) : les conven­tion­nels du Tiers Etat seraient deve­nus révo­lu­tion­naires dans le cadre-même du débat qui leur a été impo­sé par la noblesse et par le cler­gé, par la force du dis­po­si­tif et par leur ostra­ci­sa­tion. Et ce qui est inté­res­sant, et rai­sonne (résonne ?) avec l’ac­tua­li­té de la Nuit Debout, c’est que c’est sur le thème du mode de scru­tin que tout s’est joué.

      Timo­thy, Tackett, “Par la volon­té du peuple. Com­ment les dépu­tés de 1789 sont deve­nus révo­lu­tion­naires”, paris : Albin Michel, 1997.

      Et en sui­vant ce lien, vous trou­ve­rez une note de lec­ture plus dense que mon court com­men­taire : https://ch.revues.org/35

       

  4. 28 avril 2016 à 23 h 27 min

    Bon­soir,

    Je pense que dans son ana­lyse “Nuit Debout, le mythe du Peuple” publiée dans Le Monde en date du 29/04/16, Geof­froy de Lagas­ne­rie (GdL) nous pro­pose une cri­tique du mou­ve­ment ou plu­tôt de son dis­cours sous-jacent (car sa mul­ti­pli­ci­té empêche toute géné­ra­li­sa­tion) qui est inté­res­sante, voire per­ti­nente et en tous cas mérite débat.

    Pour résu­mer, si j’ai bien com­pris, Nuit Debout, dans son fan­tasme uni­ver­sel nie­rait les luttes plus mino­ri­taires et s’a­vé­re­rait mener à une impasse plu­tôt qu’à une conver­gence… bien que rien ne soit tranché.

    Pour le moins, nous pour­rions nous inter­ro­ger sur ce qui se rat­tache à la notion de “com­mun”.
    La Démo­cra­tie, la Répu­blique, la Citoyen­ne­té, le Peuple, consti­tuent t’ils le “com­mun” ou bien sont ils des concepts aujourd’­hui inopé­rants, dépassés ?

    Pour rebon­dir sur le besoin de “renouer avec la sin­gu­la­ri­té” décrit par GdL, il est impor­tant de noter que les points de réelles oppo­si­tions au capi­ta­lisme finan­cier débri­dé d’au­jourd’­hui se situent d’a­van­tage autour de luttes mino­ri­taires extrê­me­ment tenaces comme celles des peuples autoch­tones pour la pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ou des sans-papiers et réfu­giés contre les fron­tières (le “com­mun” c’est la pla­nète entière) plu­tôt qu’au­tour d’une espèce de nos­tal­gie d’une Démo­cra­tie Populaire ?

  5. Avatar photo 29 avril 2016 à 15 h 56 min

    Tout ça me donne envie de réagir, je ne l’ai pas fait plus tôt car j’ai  du mal  à déga­ger du temps. Bref. Je suis sou­vent à Nuit Debout. C’est plu­tôt le texte de G de Lagas­ne­rie qui ren­voie pour moi à la BD de Odieux­Con­nard que ce qui se passe à Nuit Debout. Car tu fais bien Igor de faire réfé­rence à T. Tha­ckett : oui les per­sonnes pré­sentes passent un temps énorme à argu­men­ter, et jus­te­ment, c’est exac­te­ment ça qui est super : le temps de la Nuit Debout est celui de l’action qui consiste à argu­men­ter, ima­gi­ner, débattre. Pen­ser que c’est ne rien faire, c’est fina­le­ment se mettre dans la logique poli­tique et média­tique du « pro­duire » (ou cas­ser, c’est la même chose)….Utiliser une place pour débattre été argu­men­ter ça pour­rait être la fina­li­té d’une action poli­tique. Une fois que ça se passe, alors ce n’est plus rien, l’évènement est pas­sé, il en faut un autre, vite, comme dans la consom­ma­tion. Nous sommes alié­nés par un rap­port au temps qui jus­te­ment est mis à la porte de la place de la Répu­blique : per­son­nel­le­ment, je trouve remar­quable qu’on puisse pas­ser deux heures à dis­cu­ter du fait qu’il faut savoir si on sou­met au vote des pro­po­si­tions ou bien si on expose des argu­ments : le temps poli­tique devient le temps de la recherche qui est récu­pé­ré soir après soir par les habi­tants de la place. Hier soir, les syn­di­cats sont arri­vés en force à l’AG et on a eu le dis­cours habi­tuel du pas­sage à l’action,  c’est-à-dire la grève, autant dire rien de bien révo­lu­tion­naire. Mais à un moment, un repré­sen­tant de Taxi Debout a pris la parole à son tour. Ce qu’il disait était net­te­ment plus inté­res­sant, les pro­po­si­tions étaient super (faire se suc­cé­der des jour­nées où on teste des actions col­lec­tives variées type boy­cotts, récu­pé­ra­tions de lieux, etc.),  il pre­nait en charge ses propres ambi­guï­tés (la consom­ma­tion des Mac­Do alors qu’il réclame que les per­sonnes ne prennent pas des véhi­cules UBER). J’ai appris juste après que ce taxi était tous les soirs dans les débats sur la place. J’ai vu la dif­fé­rence de qua­li­té, d’intelligence, d’imagination. Ce qui se passe à Nuit Debout c’est que la réflexion et le dia­logue sont abso­lu­ment et vrai­ment pris au sérieux, elles ne sont pas consi­dé­rées comme des acti­vi­tés fes­tives et faciles ou des symp­tômes ou signes d’autre chose. 

    A pro­pos du billet de Lagas­ne­rie : des col­lègues disent en effet que les mino­ri­tés sont exclues de Nuit Debout. Je ne vois pas l’intérêt de ce type de remarque. En plus ce qu’il dit à pro­pos des inté­rêts qui sont consi­dé­rés comme uni­ver­sels alors que ce sont les causes sin­gu­lières qui devraient pro­li­fé­rer témoigne du fait qu’il n’a pas du beau­coup par­ti­ci­per  : il y a des dizaines de com­mis­sions et cer­taines pro­posent des choses qui sont contra­dic­toires mais les membres se res­pectent, il n’y a stric­te­ment aucune idée de vision uni­ver­selle qui se déga­ge­rait contre des mino­ri­tés. C’est jus­te­ment ça qui rend illi­sible ce qui se passe : Nuit Debout est un espace par­ta­gé par des dizaines de micro col­lec­tifs qui se concentrent sur leurs ques­tions. La vision de Lagas­ne­rie est bien plus banale que ce qui se res­sent sur place et qui ren­voie pour moi à quelque chose que je vois de manière un peu cachée dans les enquêtes  et qui explose ici : la décence ordi­naire, l’in­té­rêt poli­tique pour autrui, la reven­di­ca­tion d’un temps et d’un espace qui ne sont pas des ins­tru­ments ou des moyens mais qui sont uti­li­sés pour être plei­ne­ment ensemble, et envi­sa­ger un monde dif­fé­rent mais qu’il faut tra­vailler à se repré­sen­ter ensemble, sous peine de ne pas arri­ver à faire autre chose que ce qui existe déjà.
    Par contre je suis un peu inquiète depuis la jonc­tion avec les syn­di­cats hier et le retour à l’ob­jec­tif com­mun de sup­pri­mer la loi contre le code du travail.

  6. Avatar photo 29 avril 2016 à 16 h 26 min

    Je pour­suis un peu le com­men­taire : car pour moi Indis­ci­pline a beau­coup à voir avec Nuit Debout, le lien avec Tha­ckett que tu fais est mani­feste. Il y a autre chose : je pense à la Nuit des Meutes que tu avais orga­ni­sée, je suis cer­taine que la Nuit Debout per­met à plein de jeunes par­ti­ci­pants de vivre une forme d’im­pro­vi­sa­tion coor­don­née dont “l’ef­fi­ca­ci­té” n’est pas garan­tie, mais qui per­met de faire l’ex­pé­rience inou­bliable et inalié­nable du miracle des poten­tia­li­tés qui s’ac­tivent contre la plu­part des modèles du fonc­tion­ne­ment social qui inté­ressent les élites. Per­sonne ne sait actuel­le­ment ce qui va se pas­ser mais deman­der à Nuit Debout de faire vite la révo­lu­tion, c’est comme deman­der à des indiens des plaines sur­vi­vants de res­tau­rer dans leur pure­té quan­ti­té de dimen­sions qui ont été éra­di­quées dans leur culture. Il va fal­loir du temps même s’il y a urgence, mais ce qui est cer­tain c’est que quelque chose se passe, on ne sait pas à quelle échelle exac­te­ment. L’ir­ri­ta­tion impa­tiente des jour­na­listes est nor­male mais elle n’est pas jus­ti­fiée : c’est comme s’ils regar­daient une forêt pous­ser, se plai­gnaient de ne rien voir et affi­chaient leur mépris pour la forêt comme forme de vie insuf­fi­sam­ment pit­to­resque pour le spec­tacle politique.

  7. Avatar photo 29 avril 2016 à 17 h 41 min

    Je sen­tais bien que Lagas­ne­rie était à côté de la plaque, avec un dis­cours sur­plom­bant de phi­lo­sophe. Je le sen­tais car même si je suis trop loin pour par­ti­ci­per à Nuit Debout, je suis les AG sur inter­net, en vidéo, ain­si que cer­taines actions d’oc­cu­pa­tion qui on été menées. Je n’ai vu aucun uni­ver­sa­lisme à l’œuvre, en effet, aucun lis­sage de la diver­si­té des mino­ri­tés. Se méfier des approches phi­lo­so­phiques qui s’ap­puient sur les des­crip­tions média­tiques devrait être un réflexe de sur­vie intel­lec­tuelle. S’en méfier comme on se méfie du sens com­mun de Mme Michu : un phi­lo­sophe de média n’est rien d’autre qu’une Mme Michu qui a fait des études. Se méfier aus­si du sens com­mun de l’i­ma­gi­naire révo­lu­tion­naire : bar­ri­cades, mou­ve­ments de foule, etc. Comme si on expli­quait la Révo­lu­tion Fran­çaise par la prise de la Bas­tille. Tackett a fait bien plus : il a démon­tré, sur des bases d’ob­ser­va­tions empi­riques (5000 lettres de conven­tion­nels éplu­chées dans le détail), com­ment c’est l’être ensemble sans agir mais dans le débat des conven­tion­nels qui les a ame­nés à deve­nir révo­lu­tion­naires. Il montre com­ment l’ap­pren­tis­sage des formes du débat a été vécu comme une véri­table école du poli­tique, sans laquelle la Révo­lu­tion n’au­rait pas été ce qu’elle a été.

    L’at­tente d’une explo­sion popu­laire qui, par l’ac­tion, ren­ver­se­rait tout sur son pas­sage et ferait table rase du pas­sé relève d’un ima­gi­naire : un ima­gi­naire qui se foca­lise sur l’é­vé­ne­ment, sans voir que les évé­ne­ments sont ins­crits dans des tem­po­ra­li­tés qui les dépassent. Mais cet ima­gi­naire c’est aus­si celui des médias, gar­diens s’il en est de l’ordre éta­bli, et qui ne tolèrent pas qu’un désordre ne conduise pas immé­dia­te­ment au ren­ver­se­ment d’un ordre par un autre : car c’est bien cela qui  attire les médias, que l’ordre suc­cède à l’ordre, et que le pou­voir reste donc dans les mains du pou­voir. Pas que l’i­dée de pou­voir ou d’ordre, de domi­na­tion, soit remise en cause. Le carac­tère fon­da­men­ta­le­ment réac­tion­naire des médias est lisible jusque dans leur atti­rance pour les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires. Ils attendent une révo­lu­tion pour célé­brer le fait que, jamais, rien ne change. Et que, logés au coeur de cet ordre (qu’il soit poli­ti­que­ment  de gauche, ou de droite, leur importe peu), ils puissent conser­ver leur place de don­neurs de leçon, de des­crip­teurs faus­se­ment objec­tifs du monde.

     

  8. Avatar photo 30 avril 2016 à 7 h 17 min

    Par ailleurs, pour en reve­nir à la sup­po­sée exclu­sion des mino­ri­tés (qui rejoint la cri­tique des “bobos”, qui sont au XXIè siècle ce que les juifs furent au XIXème et XXème : la caté­go­rie média­tique repous­soir abso­lue, on se demande bien pour­quoi d’ailleurs, dans les deux cas, mais pas­sons… le fait est qu’une cer­taine cri­tique de la Nuit Debout pré­tend qu’elle ne serait com­po­sée que de “bobos” et pêche­rait donc par son uni­for­mi­sa­tion), il fau­drait se deman­der sur la base de quels obser­vables on dis­cute. En ce qui me concerne, j’ai évi­dem­ment la vision par­tielle de celui qui, situé à 9000 km de Paris, ne voit de la Nuit Debout que ce que les péri­sco­peurs donnent à voir dans leurs vidéos : je suis vir­tuel­le­ment assis avec eux chaque soir dans le public pour suivre en direct les AG sur la place de la Répu­blique (et je sais bien qu’il n’y a pas que cette place où des Nuits Debout se réunissent en France). J’é­coute par ailleurs la Radio Debout, en paral­lèle. Et je suis les dis­cus­sions en forum.

    Dans cha­cune des AG, pour le moment, j’ai vu un public appa­rem­ment majo­ri­tai­re­ment blanc et jeune, mais aus­si, en tri­bune, pas mal de chô­meurs de longue durée, de per­sonnes âgées, de ban­lieu­sards, de blacks et de beurs, de mili­tants asso­cia­tifs pour le droit au loge­ment, de fémi­nistes radi­cales, de per­sonnes peu dotées en capi­tal cultu­rel mais appre­nant à prendre la parole en 3 minutes devant une foule, d’é­tu­diants, de vieux 68tards, de SDF, etc. Tout ce panel de la popu­la­tion de Nuit Debout me paraît tout de même légè­re­ment moins uni­forme qu’un amphi à Nor­male Sup’ (et dieu sait que toi et moi, on les a bien connus, ces normaliens…).

    Donc, même si j’ai évi­dem­ment des cri­tiques à faire à Nuit Debout (mais qui n’au­rait pas de cri­tique à faire à n’im­porte quel mou­ve­ment reven­di­ca­tif nais­sant et visant à refon­der la démo­cra­tie en contexte de vio­lence poli­cière, de cen­sure média­tique, et de mépris de la classe poli­tique…), je ne vois pas vrai­ment la per­ti­nence des cri­tiques du carac­tère uni­forme de ce mouvement.

    Ensuite, il y a l’o­pi­nion de Lagas­ne­rie selon laquelle la seule réelle oppo­si­tion effi­cace au capi­ta­lisme serait celle por­tée par les peuples autoch­tones autour d’en­jeux envi­ron­ne­men­taux et de sans papiers relé­gués aux marches de l’Em­pire. Certes. And so what ? Est-ce que cela signi­fie que toute autre forme de lutte serait inutile, non per­ti­nente, et qu’il fau­drait la cri­ti­quer en soi ? J’a­voue ne pas voir l’en­jeu de ce débat. Les autoch­tones et l’en­vi­ron­ne­ment ? En France, il n’existe pas de peuple autoch­tone. Les der­niers d’Eu­rope sont les Sami de Suède et de Nor­vège. Qu’en tire-t-on, en termes de stra­té­gie de lutte anti­ca­pi­ta­liste ? Qu’en France il vaut mieux ne rien faire, ne rien dire, ne rien ten­ter, et qu’on doit tous émi­grer en Lapo­nie afin d’ai­der les éle­veurs de rennes à mon­ter des bar­ri­cades dans la steppe pour lut­ter contre un enne­mi qu’eux-mêmes n’i­den­ti­fient pas comme tel ? (il se trouve que je connais un peu le sujet, et qu’ayant été récem­ment dans un jury de thèse sur les Sami et fré­quen­tant des spé­cia­listes de ce peuple autoch­tone, je peux dire que la ques­tion du capi­ta­lisme finan­cier n’est pas celle qui les occupe en prio­ri­té). Enfin, les migrants par­qués dans des camps de tran­sit : ils veulent avant tout vivre et sur­vivre en trou­vant un job. Pas lut­ter contre le capi­ta­lisme. Ou alors, il fau­drait le démon­trer. Ce que per­sonne n’a fait, bien enten­du, et sur­tout pas Lagasnerie.

    En gros, ces deux exemples des autoch­tones et des migrants per­mettent à un phi­lo­sophe confor­ta­ble­ment assis der­rière son cla­vier et publiant dans un quo­ti­dien au ser­vice du capi­ta­lisme finan­cier de dire : “ne pen­sez pas, je m’en charge pour vous, ne débat­tez pas, c’est inutile, et n’a­gis­sez pas là où vous pou­vez agir car les seules actions effi­caces vous sont inac­ces­sibles”.  On a vu mieux comme “pen­sée” anticapitaliste…

    • Avatar photo 30 avril 2016 à 18 h 36 min

      On est face au mépris du proche : la goyave de France au fond. Ce qui se passe  chez les autoch­tones et les migrants est plus vrai et plus impor­tant. Com­ment osons-nous reven­di­quer une action qui ne peut être que ridi­cule à côté de ce qui se vit et se pense loin, ailleurs, là où les choses sont plus dures, plus extrêmes, etc. Grand avan­tage : ça per­met de ne pas par­ti­ci­per, tout en gar­dant la légi­ti­mi­té du point de vue éclai­ré, savant, pano­ra­mique, contre la vision  ras-de- pavé des igno­rants mus par des ima­gi­naires qu’ils ne maî­trisent pas mais que l’ob­ser­va­teur savant, lui, peut déchif­frer faci­le­ment. Au fond,  la rente de situa­tion est ici le droit de par­ler de ce que le qui­dam ignore très cer­tai­ne­ment, vieille tech­nique, qui a fait l’ob­jet d’une cri­tique forte dans le cas de vul­ga­ri­sa­tion des sciences de la nature dans les années 70.  Du coup le savant rate quan­ti­té de dimen­sions très spé­ci­fiques du mou­ve­ment : le fait que les par­ti­ci­pants ne pré­tendent jus­te­ment pas pou­voir tenir un dis­cours géné­ral sur ce qui se passe, puis­qu’ils sont dedans, la dimen­sion éton­nam­ment inter­gé­né­ra­tion­nelle. ça me frappe, il y a des jeunes mais aus­si pas mal de gens assez âgés, comme si fina­le­ment les aspi­ra­tions étaient tou­jours là intactes, ça me rap­pelle quand Pierre Clé­ment disait qu’il était heu­reux de voir s’ex­pri­mer des visions éman­ci­pa­trices en 2009 alors qu’il avait été super inves­ti dans les années 70 et que nous pen­sions qu’il éprou­ve­rait peut-être las­si­tude ou irri­ta­tion à voir resur­gir tous les thèmes de l’é­poque. Ça me frappe beau­coup cette jeu­nesse per­ma­nente des idéaux même quand on a échoué, le fait que ça ne génère pas de cynisme, mais l’en­vie de retom­ber amou­reux en quelque sorte, d’une dyna­mique poli­tique qui reste sans cesse à ani­mer, inves­tir. Igor je pense que tu es une des rares per­sonnes à faire l’ef­fort de suivre de loin aus­si sérieu­se­ment et je pense que Radio Debout, TV Debout, seraient super heu­reux de savoir que ça sert, que ce n’est pas en vain d’en­re­gis­trer des images si fas­ti­dieuses quand même il faut bien l’a­vouer, comme sont fas­ti­dieux cer­tains moments, mais comme dans tout pro­ces­sus. Je ne suis pas tou­jours là-bas loin de là, en plus il fait froid, le beau temps ne vient tou­jours pas. Je sais que ce que je rate est plus impor­tant que ce que je sai­sis et c’est ça qui me semble éga­le­ment très posi­tif : on sait que ça va dans tous les sens et ce qui serait bien c’est que ça se déploie dans le quo­ti­dien, au nom de Nuit Debout, il fau­drait que les par­ti­ci­pants qui décident de mener une petite action ailleurs aient un bras­sard Nuit Debout. J’a­vais envie de repro­po­ser l’Ins­ti­tut Auto­nome! En tout cas de reprendre la réflexion, qu’en penses-tu?

      • Avatar photo 30 avril 2016 à 18 h 45 min

        Oui, super idée. De mon côté, vu là où je suis, je ne peux que ten­ter d’a­ni­mer quelques dis­cus­sions sur le chat de sciences-debout, mais les pré­sents semblent sur­tout avoir envie de par­ler de conte­nus scien­ti­fiques, ce qui est frus­trant.  En tout cas, si notre vieux pro­jet uto­pique d’ins­ti­tut auto­nome peut revoir le jour, ça serait une bonne chose. C’est très frus­trant pour moi de ne pas être à Paris en ce moment…

  9. Avatar photo 1 mai 2016 à 5 h 58 min

    Tiens, à pro­pos de conver­gence des luttes, je suis frap­pé par l’ab­sence d’une com­mis­sion sur les ser­vices publics : il y a une com­mis­sion édu­ca­tion, une sur les infir­mière, mais rien qui per­mette de pen­ser et d’a­gir au niveau glo­bal de ce qu’on sait subir les mêmes dyna­miques de des­truc­tion par le libé­ra­lisme. De même, s’il y a un type qui anime science debout (et dont la pro­po­si­tion se résume à se bala­der avec une pan­carte “je suis phy­si­cien, posez moi vos ques­tions), il n’existe pas de com­mis­sion uni­ver­si­té-recherche. Si tu vas à Répu, tu pour­rais peut-être en parler ?

    • Avatar photo 1 mai 2016 à 21 h 43 min

      Oui c’est juste, je me suis dit qu’il man­quait quelque chose de la part de l’U­ni­ver­si­té (et des ser­vices publics, tu as raison).

      • Avatar photo 2 mai 2016 à 6 h 59 min

        J’ai mis un mail dans ce sens (à pro­pos de l’u­ni­ver­si­té) sur le site de conver­gence des luttes. Je ne sais pas si ça abou­ti­ra à quelque chose, mais rien n’in­ter­dit d’essayer.

        • Avatar photo 8 mai 2016 à 12 h 34 min

          Aucune réponse. Ni de la part des gens du site de Nuit Debout, ni sur Face­book, ni sur les forums. Bon, je sens que je ne vais pas perdre plus de temps que ça, et que je vais me conten­ter de vaquer à mes occu­pa­tions per­so à moi que j’ai, d’au­tant qu’i­ci même, ça n’a l’air d’in­té­res­ser que toi et moi… Intense moment de solitude 😉

  10. Avatar photo 16 mai 2016 à 13 h 46 min

    J’a­vais envie quand même de conti­nuer à com­men­ter même si comme tu le remarques, on a rare­ment de réponses sur les réseaux. Avec des membres du GRIPIC il y a quelques temps, nous sommes allés à Nuit Debout, j’a­vais envie qu’on se déplace hors de nos murs, et j’ai écrit ensuite un petit texte sur le lien que je fais entre Nuit Debout et une forme de recréa­tion ins­ti­tu­tion­nelle hors des envi­ron­ne­ments pro­fes­sion­nels qui sont vidés de leur sub­stance ins­ti­tu­tion­nelle. On a une assem­blée, une biblio­thèque, un orchestre, un stand d’aide juri­dique, de l’é­du­ca­tion popu­laire, on a aus­si l’u­ni­ver­si­té dans ses rap­ports aux savoirs et au débat. Je mets ici le petit texte que j’ai adres­sé aux col­lègues et doc­to­rants avec qui je suis allée à la République

    Je vou­drais essen­tiel­le­ment reve­nir sur ce que l’é­mer­gence de Nuit Debout nous dit de l’U­ni­ver­si­té aujourd’­hui, ce qu’elle res­ti­tue de ce qu’est cet espace uni­ver­si­taire, ancien, extrê­me­ment pré­cieux et vivant. Cet espace uni­ver­si­taire est aujourd’­hui  com­pac­té, com­pri­mé, contraint par une poli­tique d’en­sei­gne­ment et de la recherche qui est fort peu ins­pi­rée par les résul­tats de nos propres tra­vaux sur ce qu’est le social, le savoir, la culture.

    Nuit Debout inter­vient au moment où l’U­ni­ver­si­té conti­nue à être écra­sée dans le rou­leau com­pres­seur de réformes qui visent à en faire un dis­po­si­tif de pro­duc­tion, obsé­dé de com­pé­ti­tion,  for­te­ment hété­ro­nome,  bureau­cra­ti­sé, où les socia­bi­li­tés sont atta­quées par un manque de confiance total de nos tutelles dans nos capa­ci­tés d’ex­pé­ri­men­ter libre­ment et de nous orga­ni­ser en fonc­tion de nos propres savoirs sur la société.
    Nuit Debout, dans sa ten­ta­tive pour la réap­pro­pria­tion quo­ti­dienne de l’ac­ti­vi­té poli­tique, est par une iro­nie du sort assez ras­su­rante, très for­te­ment ins­pi­rée par une culture uni­ver­si­taire qui est pas­sée dans la culture com­mune. Comme si des aspects fon­da­men­taux de l’u­ni­ver­si­té qui sont for­te­ment décou­ra­gés et mena­cés dans nos propres murs, sur­gis­saient au milieu de l’es­pace urbain, bien vivants et robustes.

    Les dimen­sions cultu­relles, sociales et poli­tiques de l’U­ni­ver­si­té sont contes­tées dans les poli­tiques de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche, au nom de visions qui sont pour­tant tota­le­ment dépas­sées en sciences humaines et sociales. Mais elles rejaillissent ailleurs, dans le monde de la place :

    - atten­tion et res­pect pour la parole de cha­cun, pas­sion pour l’ar­gu­men­ta­tion et pour des formes de socia­bi­li­tés régu­lées qui per­mettent de construire dans des petits col­lec­tifs (comme les sémi­naires !), goût pour le dia­logue, curio­si­té intense, res­pect pour la parole qui s’é­nonce, carac­tère posi­tif de la cri­tique,  enthou­siasme pour les idées qui sur­gissent de l’échange

    - impor­tance assu­mée de toutes les pra­tiques liées à la culture et aux savoirs sur la place, ce qui mani­feste avec éclat le lien entre ter­ri­toires, savoirs, poli­tique : stand d’é­du­ca­tion popu­laire, biblio­thèque debout, orchestre sym­pho­nique, col­lectes d’ex­pé­riences et de témoi­gnages (par la com­mis­sion savoir faire des luttes), consul­ta­tions juri­diques, confé­rences, etc. En même temps, absence de béné­fices quels qu’ils soient : toutes ces pra­tiques poli­tiques, savantes et cultu­relles se font hors mar­ché, hors valo­ri­sa­tion, hors pro­duc­tion. Elles tirent leur valeur du fait qu’elles n’ont besoin ni de pré­pa­rer une action, ni de construire une posi­tion, ni de rap­por­ter un béné­fice. Elles se sou­tiennent  du simple fait qu’elles sont entre­te­nues et vivantes.

    - évo­lu­tion non pas vers des formes struc­tu­rées d’»action» mais vers un foi­son­ne­ment de ques­tions, d’ex­plo­ra­tions, d’i­ni­tia­tives micro-col­lec­tives qui ne réclament pas de visi­bi­li­té : c’est là à mon avis qu’il existe un foyer d’in­com­pré­hen­sion radi­cal avec tous ceux qui ne voient que des bavar­dages brouillons, de la dis­per­sion, et attendent une grande action col­lec­tive structurée.

    Car la rue est très rare­ment  le lieu où le savoir est un enjeu majeur. C’est pour­quoi on ne consi­dère l’ar­gu­men­ta­tion et la parole que comme des pré­li­mi­naires à autre chose, alors même qu’il s’a­git d’ acti­vi­tés en tant que telles. Ima­gi­nons quel­qu’un qui ouvri­rait les portes des cours et sémi­naires dans n’im­porte quel lieu de savoir, consta­te­rait que tout le monde réflé­chit, ques­tionne, répond, parle, et en conclu­rait qu’il ne se passe stric­te­ment rien et que toute cette huma­ni­té perd son temps au lieu d’a­gir. Je pense constam­ment en ce moment à l’ou­vrage de T. Tha­ckett, Par la volon­té du peuple, où l’his­to­rien nous plonge dans les semaines et mois d’im­mer­sion dans l’é­coute et la réflexion lors des États Généraux.

    En outre le foi­son­ne­ment et la dif­fé­ren­cia­tion sont des phé­no­mènes que nous ché­ris­sons en sciences sociales, ils sont notre mode de struc­tu­ra­tion dans l’é­la­bo­ra­tion, le par­tage, la cri­tique des savoirs face à la com­plexi­té : per­sonne n’est inquiet du fait que chaque thèse apporte encore une vision sin­gu­lière, que les cours ne sont jamais iden­tiques. Il ne vien­drait à l’i­dée de per­sonne de consi­dé­rer que l’or­ga­ni­sa­tion de sémi­naires est du temps per­du compte-tenu des urgences d’ac­tion ou de pro­duc­tion puis­qu’à l’U­ni­ver­si­té, ce sont des actions ou des productions.

    Et cette réap­pro­pria­tion du poli­tique sous cette forme si par­ti­cu­lière oblige à  éti­rer, ralen­tir les pro­ces­sus au lieu de les rac­cour­cir, c’est une for­mi­dable indif­fé­rence à l’ur­gence qui est alié­nante et des­truc­trice. Fina­le­ment le fameux mou­ve­ment du slow science est un peu sur la place, dans cette réap­pro­pria­tion de tout le temps néces­saire. Au moment où on demande l’ac­cé­lé­ra­tion des durées de thèses, et de pro­grammes, des per­sonnes passent tout le temps qu’il faut à dis­cu­ter d’un pro­ces­sus de vote par exemple. Si les enfants devaient se deman­der  com­ment pla­ni­fier  l’ap­pren­tis­sage le plus rapide pos­sible de la marche, du lan­gage, du cal­cul, de la lec­ture, etc  mar­cher par­ler comp­ter lire, etc etc, ils n’en­tre­pren­draient pas sans aucun sou­ci d’é­chéance mille appren­tis­sages et ajustements.

    - Impor­tance des socia­bi­li­tés,  fon­da­men­tales :  je fais le lien avec ce j’ai appris dans les ren­contres d’en­quête. Il n’y a pas qu’un côté «sym­pa» dans le fait de pou­voir se réunir dans des lieux urbains, réflé­chir face à des bières. C’est essen­tiel dans l’ac­ti­vi­té même de recherche et dans les pra­tiques de connais­sances et leur par­tage. Nous sommes ama­teurs de nos propres pra­tiques, avant d’être sala­riés (ou pré­caires) au sein d’or­ga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, et nous pou­vons les pra­ti­quer, au moins en par­tie,  où bon nous semble avec des modes de fonc­tion­ne­ment dont nous sommes libres, pour peu que nous récu­pé­rions des marges.
    Ce sont ces aspects de Nuit Debout  qui m’in­té­ressent beaucoup.

     

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