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Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen


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Pour en savoir plus sur les réformes et leurs sou­bas­se­ments idéo­lo­giques, un livre récem­ment paru pour­rait s’avérer un bon compendium :

http://www.liens-socio.org/article.php3 ?id_article=4226

Je copie-colle la cri­tique qui en a été faite sur “Liens socio” :

Le cau­che­mar de Hum­boldt. Les réformes de l’enseignement supé­rieur européen

Un ouvrage sous la direc­tion de Franz Schul­theis, Mar­ta Roca i Esco­da et Paul-Frantz Cou­sin (Rai­sons d’agir, coll. “Cours et Tra­vaux”, 2008, 231 p., 17 €)

Par Igor Martinache

Phi­lo­sophe, lin­guiste diplo­mate et ministre, Wil­helm von Hum­boldt prit éga­le­ment le temps de fon­der, en 1810, l’Université à Ber­lin qui porte aujourd’hui son nom. Son pro­jet est alors vision­naire puisqu’il décide d’y réunir dif­fé­rentes dis­ci­plines afin que pro­fes­seurs et étu­diants de divers hori­zons se confrontent pour mener de cette manière une « libre recherche », affran­chie des sys­tèmes phi­lo­so­phiques et autres pré­ju­gés [1]. Signi­fi­ca­ti­ve­ment, aus­si illustre en Alle­magne que son natu­ra­liste de frère Alexan­der, Hum­boldt est peu connu de ce côté-ci du Rhin. Une lacune que sem­ble­rait devoir com­bler la mise en place d’un « espace euro­péen de l’enseignement supé­rieur », ini­tiée par la « Décla­ra­tion de Bologne » que signent les ministres de l’Éducation de 29 États euro­péens le 19 juin 1999 [2]. Un texte qui mar­quait en fait sur­tout le ral­lie­ment de vingt-cinq de ses res­pon­sables à la volon­té expri­mée un an plus tôt par leurs col­lègues fran­çais, bri­tan­nique, alle­mand et ita­lien dans la « décla­ra­tion de la Sor­bonne » du 25 mai 1998, impul­sé par les seuls ministres [3]. Si cette har­mo­ni­sa­tion des sys­tèmes d’enseignement supé­rieur semble par­tir d’une bonne inten­tion, venant inflé­chir la pente par trop mer­can­tile de la construc­tion euro­péenne et per­mettre enfin l’émergence d’une conscience euro­péenne [4]. Hélas, si elles posent les bases d’une telle Europe de la connais­sance, c’est sur son plus petit déno­mi­na­teur com­mun que les moda­li­tés de cette mise en œuvre de cette décla­ra­tion se sont appuyées, à savoir la culture gestionnaire.

Telle est donc la démons­tra­tion des dif­fé­rents contri­bu­teurs de cet ouvrage, issu du col­loque « Les sys­tèmes d’enseignement natio­naux et les caté­go­ries natio­nales de pen­sée » orga­ni­sé par le réseau ESSE (pour un réseau des sciences sociales euro­péennes) à Cop­pet (Suisse) en 2004, mais auquel les réformes actuel­le­ment en cours dans les uni­ver­si­tés fran­çaises viennent ‑mal­heu­reu­se­ment- redon­ner une actua­li­té brû­lante. La mar­chan­di­sa­tion de l’enseignement supé­rieur dont il est ques­tion passe ain­si par une uni­for­mi­sa­tion ges­tion­naire des cur­sus, qui, fai­sant fi des spé­ci­fi­ci­tés dis­ci­pli­naires, lar­ge­ment ins­pi­rée des pré­co­ni­sa­tions de l’OCDE (orga­ni­sa­tion pour la coopé­ra­tion éco­no­mique et le déve­lop­pe­ment) pour l’invention d’une « pres­ta­tion de ser­vice édu­ca­tif » uni­forme. Celle-ci passe ain­si par la mise en œuvre d’instruments a prio­ri neutres — illu­sion savam­ment com­prise et entre­te­nue par les diri­geants contem­po­rains [5] — tels que la tri­par­ti­tion des par­cours en 3, 5 ou 8 ans (le fameux « LMD » (Licence-Mas­ter-Doc­to­rat) dans la ter­mi­no­lo­gie fran­çaise) au détri­ment des diplômes inter­mé­diaires, la modu­la­ri­sa­tion de l’enseignement allant de pair avec la mise en place du sys­tème de « cré­dits » trans­fé­rables (les ECTS — Euro­pean Cre­dits Trans­fer Sys­tem) entre éta­blis­se­ments euro­péens, favo­ri­sant a prio­ri la mobi­li­té des étu­diants ‑mais pas n’importe lesquels‑, mais sur­tout rédui­sant la valeur des ensei­gne­ments à leur seule mesure horaire. C’est sur­tout l’autonomisation accrue des éta­blis­se­ments, encou­ra­ger à quê­ter leurs propres res­sources à tra­vers la mise en place de chaires spon­so­ri­sées par des entre­prises pri­vées, ou la mise en place de frais d’inscription — quand elle n’était pas encore mise en œuvre- de plus en plus éle­vés, avec la pri­va­ti­sa­tion pure et simple en ligne de mire. Bref, bien plus qu’une simple har­mo­ni­sa­tion des conte­nus d’enseignement, c’est bien un « pro­jet de grande enver­gure visant à trans­for­mer les condi­tions de pro­duc­tion et de dif­fu­sion du tra­vail intel­lec­tuel » qui est ain­si des­si­né depuis « Bologne », avec la réduc­tion de l’éducation supé­rieure à un ser­vice stan­dar­di­sé de for­ma­tion assu­ré par des uni­ver­si­tés mues en entre­prises com­pé­ti­tives pilo­tées par de véri­tables mana­gers ini­tiant pro­jet après pro­jet et visant bien davan­tage à assu­rer la « pro­fes­sion­na­li­sa­tion » des étu­diants qu’à culti­ver leur esprit cri­tique, ain­si que le montre bien San­drine Gar­cia dans sa contri­bu­tion. « La réduc­tion de la durée moyenne des études sous le régime du bache­lor [la nou­velle « Licence » fran­çaise] s’accompagne d’un ren­for­ce­ment du carac­tère sco­laire de l’apprentissage et d’un abais­se­ment du niveau des connais­sances et des com­pé­tences scien­ti­fiques pour la majo­ri­té des étu­diants […] Le prix à payer sera, en dehors des nou­velles inéga­li­tés sociales en matière d’accès aux biens cultu­rels, du côté de la capa­ci­té de réflexion cri­tique auto­nome et des com­pé­tences scien­ti­fiques « moyennes » » résument en intro­duc­tion Franz Schul­theis, Mar­ta Roca i Esco­da et Paul-Frantz Cousin.

Le modèle plus ou moins avoué est ain­si le sys­tème uni­ver­si­taire éta­su­nien, bros­sé ici à grands traits par Rick Fan­ta­sia dans un article ini­tia­le­ment publié dans Le Monde diplo­ma­tique [6] qui pointe les inéga­li­tés extrêmes ‑dans l’accès à cet ensei­gne­ment et entre uni­ver­si­tés- et le rôle pri­mor­dial de l’hérédité et du capi­tal social — fac­teurs qui favo­risent même l’accès des proches des anciens élèves — éga­le­ment géné­reux dona­teurs- de manière ins­ti­tu­tion­na­li­sée sans que cela ne crée d’émoi. Chris­tian de Mont­li­bert vient lui pour sa part décons­truire les dis­cours plai­dant pour cette (contre-)réforme euro­péenne d’une manière que ne désa­voue­rait sans doute pas Albert Hir­sch­man [7], tan­dis que Felix Kel­ler pro­pose lui une ana­lyse des habi­tus des « nou­veaux nomades » ain­si pro­mus par ce sys­tème en ges­ta­tion : les res­pon­sables ins­ti­tu­tion­nels, mais aus­si les étu­diants, dont l’appartenance dis­ci­pli­naire des plus mobiles indique non seule­ment une cer­taine proxi­mi­té avec le « monde de l’entreprise » (com­merce, com­mu­ni­ca­tion,…), et le choix des des­ti­na­tions favo­rites une curieuse ana­lo­gie avec celui des…touristes !

La deuxième par­tie de l’ouvrage est consa­crée à l’examen de quelques cas natio­naux. Charles Sou­lié décrit ain­si le cas hexa­go­nal en met­tant en évi­dence la « mon­tée d’un esprit ges­tion­naire » qui res­sort du conflit entre « facul­tés » dis­ci­pli­naires. Tan­dis que les plus éloi­gnés du nou­vel esprit du capi­ta­lisme tendent, par leurs étu­diants comme leurs ensei­gnants, à mani­fes­ter leur oppo­si­tion au pro­ces­sus de Bologne, celui-ci est au contraire sou­te­nu par les membres dis­ci­plines proches de la ges­tion qui per­çoivent plus ou moins consciem­ment les rétri­bu­tions que leur pro­met la trans­for­ma­tion des uni­ver­si­tés en « busi­ness schools de masse », ain­si que le pré­fi­gure la manière dont la ges­tion pha­go­cyte d’ores et déjà l’économie dans les uni­ver­si­tés les plus « domi­nées » du sys­tème. Mais remarque-t-il, la socio­lo­gie joue éga­le­ment un rôle ambi­gu dans ce pro­ces­sus, incar­nant un véri­table « che­val de Troie » comme l’avait déjà noté Pierre Bour­dieu, lorsqu’à sa ver­sion « auto­nome » est pri­vi­lé­giée une concep­tion essen­tiel­le­ment uti­li­taire consis­tant à mettre ses méthodes au ser­vice de la demande com­mer­ciale ou poli­tique [8]… Les rap­ports de force ins­ti­tu­tion­nels sont éga­le­ment au coeur de l’analyse de Stuart Woolf, s’agissant cepen­dant cette fois de l’Italie. La mise en oeuvre du pro­ces­sus de Bologne per­met cepen­dant de mettre à jour un cer­tain nombre des contra­dic­tions et autres logiques « clien­té­listes » déjà pré­sentes dans le sys­tème uni­ver­si­taire, qui appe­laient ain­si sans doute à une réforme, quoique pré­fé­ra­ble­ment dif­fé­rente. Ce sont d’autres contra­dic­tions que vient éga­le­ment exa­cer­ber cette réforme en Alle­magne comme le montre Ulf Wug­ge­nig, venant ravi­ver un éli­tisme jusque-là conte­nu et incar­né par le sys­tème dual entre uni­ver­si­tés tra­di­tion­nelles et Fach­hoch­schu­len, non sans sus­ci­ter des oppo­si­tions viru­lentes. Ce n’est pas l’étude d’un cas natio­nal, mais celui d’un domaine dis­ci­pli­naire qui referme l’ouvrage : celui des études lit­té­raires, qu’analyse Paul Aron. En com­pa­rant som­mai­re­ment les cur­sus la lit­té­ra­ture fran­co­phone dans dif­fé­rents pays, il pose un cer­tain nombre de ques­tions inté­res­santes quant à la struc­tu­ra­tion de leur for­ma­tion, mais aus­si l’« uti­li­té sociale » de la recherche en la matière — que nombre d’agents exté­rieurs semblent avoir bien des dif­fi­cul­tés à percevoir.

Ces dif­fé­rentes contri­bu­tions per­mettent ain­si de resi­tuer les actuelles réformes de l’enseignement supé­rieur fran­çais dans le cadre plus géné­ral du pro­ces­sus de Bologne. A l’instar de la « stra­té­gie de Lis­bonne » [9], celui-ci est aus­si mécon­nu du public qu’il ne se situe au cœur de trans­for­ma­tions poli­tiques pro­fondes. Comme ce der­nier éga­le­ment, il vient pla­cer la logique ges­tion­naire au centre de sphères qui devraient lui être étran­gères. Le bench­mar­king, cette « co-opé­ti­tion » [10], sans fin — parce que sans objec­tif (que rem­place la com­pa­rai­son per­ma­nente). « L’ « esprit de Bologne » est bien moins géné­reux que le texte de la décla­ra­tion le laisse croire », aver­tit ain­si Yves Win­kin en conclu­sion, rajou­tant de manière pro­phé­tique qu’ « entre les étu­diants [alors] en grève et les pré­si­dents d’université, les plus naïfs ne sont pas ceux qu’on pense ». A lire la récente lettre ouverte au pré­sident de la Répu­blique fran­çaise de la Confé­rence des pré­si­dents d’université [11], on se dit effec­ti­ve­ment que ces der­niers auraient été bien ins­pi­ré de faire un tour au col­loque de Cop­pet il y a presque cinq ans maintenant…”

[1] Ce qui n’est pas sans faire écho au pre­mier « com­man­de­ment » du socio­logue énon­cé par Dur­kheim : « il faut écar­ter sys­té­ma­ti­que­ment toutes les pré­no­tions » (Les règles de la méthode socio­lo­gique, Paris, PUF, 2007 [1895], p.31)

[2] Dis­po­nible en ligne sur le site d’échanges de point de vue « Lima­do » de l’école supé­rieure d’architecture de la Villette

[3] Éga­le­ment dis­po­nible en ligne sur le même site

[4] Confor­mé­ment à la thèse déve­lop­pée par Ernest Gell­ner dans Nations et natio­na­lisme (Paris, Payot, 1989) selon laquelle l’édification de l’Etat-nation repose moins sur la mono­po­li­sa­tion de la vio­lence légi­time que sur celle de l’éducation

[5] Cf Pierre Las­coumes et Patrick Le Galès, Gou­ver­ner par les ins­tru­ments, Paris, Presses de Sciences-Po, 2004

[6] En novembre 2004

[7] Cf Deux siècles de rhé­to­riques réac­tion­naire, Paris, Fayard, 1991

[8] Et que l’on appelle déjà « mar­ke­ting » dans les écoles de gestion

[9] Cf Isa­belle Bru­no, A vos marques, prêts… cher­chez ! La stra­té­gie euro­péenne de Lis­bonne, vers un mar­ché de la recherche, Bel­le­combe-en-Bauges, édi­tions du Cro­quant, 2008, dont une recen­sion est dis­po­nible à ce lien

[10] Néo­lo­gisme for­gé au niveau com­mu­nau­taire pour dési­gner un état simul­ta­né de col­la­bo­ra­tion et de com­pé­ti­tion à toutes les échelles de l’Union : de l’UE vis-à-vis du reste du monde, entre pays membres, entre ins­ti­tu­tions de ces pays membres, entre com­po­santes de ces ins­ti­tu­tions, et fina­le­ment entre tous les citoyens-indi­vi­dus… — « Nous devons en par­ti­cu­lier recher­cher une meilleure com­pé­ti­ti­vi­té du sys­tème euro­péen d’enseignement euro­péen » indiquent ain­si les auteurs de la « décla­ra­tion de Bologne »

[11] En date du 5 jan­vier 2008 et consul­table en ligne sur le site du quo­ti­dien L’Humanité”

Igor Babou
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4 réponses “Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen”

  1. Zenon
    18 février 2009 à 0 h 29 min

    J’a­dore. J’a­dore, les rac­cour­cis ful­gu­rants (pro­ces­sus de Bologne = auto­no­mi­sa­tion, chaires spon­so­ri­sées = privatisation). 

    Car bien évi­de­ment, Europe = Grand Satan Méga-Ultra-Libé­ral. Il est donc tota­le­ment inutile de lire les textes officiels
    — Conven­tion sur la recon­nais­sance des qua­li­fi­ca­tions rela­tives à l’en­sei­gne­ment supé­rieur dans la région euro­péenne (Lis­bonne)
    — Décrets n° 2002–481 MENS0200156D et 2002–482 MENS0200157D.
    Qui ne font nulle men­tion d’au­to­no­mi­sa­tion ou de chaires sponsorisées.

    Ces rac­cour­cis arrivent à dépas­ser tout enten­de­ment, il dépasse même la vitesse de la lumière car leur conte­nu infor­ma­tion­nel est nul.

  2. Avatar photo 18 février 2009 à 10 h 46 min

    Je ne vois pas ce qu’il y a de “rac­cour­ci” dans le constat que nous avons été nom­breux à faire depuis 2003 (en ce qui concerne l’u­ni­ver­si­té) et depuis bien plus tôt d’une manière géné­rale : la volon­té de mar­chan­di­sa­tion appli­quée de manière auto­ri­taire, sans concer­ta­tion, aux divers champs du savoir, de la culture et de la san­té. Oui,le pro­ces­sus de Bologne a conduit à des modi­fi­ca­tions majeures dans notre tra­vail, quoi que pré­tendent cer­tains textes, et oui, on voit bien que l’ho­ri­zon qui se pro­file est celui — émi­nem­ment libé­ral et auto­ri­taire, d’un libé­ra­lisme à la fran­çaise, bureau­cra­tique et cen­tra­li­sa­teur — d’une perte totale d’au­to­no­mie des éta­blis­se­ments uni­ver­si­taires et des cher­cheurs vis à vis du pou­voir poli­tique et du mar­ché. Oui, comme divers his­to­riens des sciences le constatent (lisez au moins les ouvrages et articles de Domi­nique Pestre), il y a un chan­ge­ment de régime des savoirs qui sont aujourd’­hui en voie de pri­va­ti­sa­tion par la sphère mar­chande. Et oui cent fois oui, ce pro­ces­sus, s’il n’est pas sata­nique, n’est tou­te­fois en rien démo­cra­tique : il s’im­pose aux peuples à qui on refuse le droit de dire “NON” à une Europe mar­chande (quitte à s’as­soir sur leur vote, ou à les faire revo­ter jus­qu’à ce qu’ils votent “oui”), et il s’im­pose aux uni­ver­si­taires avec la bru­ta­li­té des réformes que nous subis­sons depuis des années. Dans ce sens, l’Eu­rope n’est en effet pas “sata­nique” : elle est juste bar­bare. Elle a la bar­ba­rie de la pen­sée éco­no­miste, même pas celle de la pen­sée éco­no­mique (ce serait lui faire encore trop d’hon­neur !). Elle a la bar­ba­rie d’une bureau­cra­tie tota­li­taire qui dénie aux acteurs (cher­cheurs, uni­ver­si­taires, per­son­nels admi­nis­tra­tifs, étu­diants, etc.) le simple droit d’a­voir un avis contraire à celui des bureau­crates libé­raux qui sont en train de trans­for­mer notre socié­té en camp de tra­vail, car ils ne pensent les rap­ports humains que dans le cadre de l’i­déo­lo­gie de la concur­rence, avec son sem­pi­ter­nel ava­tar de l’ “excel­lence” et de “l’é­va­lua­tion”.

    Oui, je n’ai pas peur de dire avec les cen­taines de mil­liers de per­sonnes qui défilent depuis des semaines dans la rue : je ne veux pas de cette socié­té là, et je me bat­trai contre.

  3. Zenon
    18 février 2009 à 11 h 27 min

    quoi que pré­tendent cer­tains textes” j’a­dore. La loi n’existe donc plus ? Notre socié­té n’a plus de règles ?

    Se battre contre des mou­lins à vents n’ap­porte que tris­tesse et solitude.

    Je pré­fère lar­ge­ment fus­ti­ger les points objec­tifs et inac­cep­tables. Exemple : pro­jet de décret n°84–431
    ” Le pré­sident […] arrête les déci­sions indi­vi­duelles d’at­tri­bu­tion de ser­vice des ensei­gnants chercheurs”
    Un seule per­sonne qui décide de tout le ser­vice d’un fonc­tion­naire = dan­ger d’ar­bi­traire inacceptable.

  4. Avatar photo 18 février 2009 à 11 h 58 min

    Le pro­blème, quand on réflé­chit et qu’on observe le tra­vail en géné­ral, et le tra­vail scien­ti­fique en par­ti­cu­lier, c’est qu’il y a la loi d’un côté, et les pra­tiques induites par les acteurs et les idéo­lo­gies de l’autre. 

    Ce que dit la loi, pour le moment, ce n’est pas “l’u­ni­ver­si­té est pri­va­ti­sée”, en effet. Mais ce que réa­lisent nombre de pra­tiques induites par l’Eu­rope, c’est la pri­va­ti­sa­tion dans les faits et dans les actes, dans les ins­ti­tu­tions et dans leurs moda­li­tés de fonc­tion­ne­ment, de l’université.

    Cette pri­va­ti­sa­tion — au sens éco­no­mique mais aus­si au sens épis­té­mo­lo­gique d’une “pri­va­tion de débat” — est ram­pante et ne passe pas seule­ment par la loi, mais par l’en­semble des cadres idéo­lo­giques impo­sés par un cer­tain nombre d’ac­teurs “exo­gènes” aux valeurs de l’u­ni­ver­si­té qu’on a vu appa­raître au sein de l’u­ni­ver­si­té depuis pas mal d’an­nées. Ces acteurs “exo­gènes”, ce sont la myriade de bureau­crates, de ges­tion­naires (saviez vous qu’il exis­tait des “sciences de ges­tion ? Quelle rigo­lade !), de comp­tables, de petits chefs, kapos du libé­ra­lisme uni­ver­si­taire, déla­teurs zélés, éva­lua­teurs et com­mu­ni­cants en tous genres, inca­pables d’a­voir la moindre idée claire mais pré­ten­dant dic­ter leur ratio­na­li­té aux cher­cheurs que nous sommes, direc­teurs d’é­ta­blis­se­ments, pré­si­dents d’u­ni­ver­si­té aux ordres des pou­voirs (il ne s’a­gitent que lorsque leurs inté­rêts immé­diats sont mena­cés, comme en ce moment).

    L’u­ni­ver­si­té a été peu à peu colo­ni­sée par cette bureau­cra­tie enva­his­sante qui n’a de cesse de nous mettre, petit à petit, insi­dieu­se­ment, comme sous la forme des méta­stases can­cé­reuses emplis­sant un corps aupa­ra­vant à peu près sain, sous la coupe réglée des poli­tiques et du marché.

    L’ar­bi­traire poten­tiel des pré­si­dents d’u­ni­ver­si­té ne serait rien sans la modi­fi­ca­tion de la struc­ture des conseils d’ad­mi­nis­tra­tion avec la pos­si­bi­li­té, pour des élus et des pseu­do “repré­sen­tants de la socié­té civile” (enten­dez : chefs d’en­tre­prise, et sur­tout pas syn­di­ca­listes, ni asso­cia­tifs ni même simples citoyens), de sié­ger dans ces conseils sans même avoir un jour pas­sé de diplôme.

    Et ces conseils et la sphère bureau­cra­tique direc­to­riale ne seraient rien en eux mêmes sans l’ap­pui de tous les petits bureau­crates — obs­curs et sans grades du pou­voir avec un petit “p” — qui régentent au quo­ti­dien la moindre de nos actions : de la comp­ta­bi­li­té ana­ly­tique que nous devons gérer nous mêmes, aux mes­qui­ne­ries inces­santes pour se faire rem­bour­ser un billet de train ou un café offert à un col­lègue uni­ver­si­taire en visite, en pas­sant par les for­mu­laires sté­réo­ty­pés de réponse aux appels d’offre et à la chaine inhu­maine (car n’é­tant peu­plée que de machines, d’in­ter­faces web) qui se sub­sti­tue à l’é­va­lua­tion par les pairs au nom de la sacro sainte quan­ti­fi­ca­tion” de l’é­va­lua­tion par les “impairs” : ceux que nous ne recon­nais­sons pas comme légi­times pour juger de notre tra­vail, et encore moins pour le réfor­mer : Pecresse n’a même pas l’é­qui­valent d’un DEA, et elle est loin d’être la seule “impaire” du minis­tère à pré­tendre légi­fé­rer sur la recherche.

    On n’en fini­rait plus de lis­ter les lieux et les dis­po­si­tifs de coer­ci­tion quo­ti­diens qui font que, même sans texte de loi impo­sant la pri­va­ti­sa­tion expli­cite de notre tra­vail, ce der­nier est sans arrêt dévié du ser­vice au béné­fice de l’in­té­rêt géné­ral (celui de la “Science” avec un grand “S”, et pas de la tech­nique de pro­duc­tion d’in­no­va­tion au ser­vice de l’emploi ou du mar­ché) pour lequel nous avons, pour un cer­tain nombre d’entre nous, pas­sé une thèse, des concours, et accep­té de tra­vailler pour des salaires de misère en dépit de nos fameux bac + 10.

    De toute manière, ce qui compte c’est la manière auto­ri­taire dont l’Eu­rope éco­no­mique, à tra­vers ses clas­se­ments, ses cri­tères absurdes, et ses pra­tiques bureau­cra­tiques s’est impo­sée de manière non débat­tue au sein des éta­blis­se­ments. Indis­ci­pline est né dans la lutte contre le LMD, en 2003 : déjà à cette époque, Joëlle Le Marec et moi même annon­cions ce qui allait se pas­ser, et le pré­sent nous donne — hélas ! — ample­ment rai­son alors qu’à l’é­poque, les col­lègues refu­saient d’i­ma­gi­ner qu’on pour­rait aller jus­qu’à perdre notre sta­tut de fonc­tion­naire, ce qui, au delà de la rup­ture pro­fes­sion­nelle que ça impose dans un cadre de pen­sée cor­po­ra­tiste, en dit tout de même long sur la pen­sée qui anime les libé­raux : reve­nir ain­si sur des siècles d’his­toire, ne peut être que le signe d’une haine vis­cé­rale du savoir en ce qu’il a de cri­tique. Nous avions rai­son d’être pes­si­mistes en 2003, et je crois sin­cè­re­ment qu’au­jourd’­hui encore, Indis­ci­pline ne se trompe pas.

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