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Ce soir, 7 février : espérance, confiance, courage


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Nous sui­vons sur l’écran d’ordinateur, la retrans­mis­sion en direct de la ren­contre orga­ni­sée par Média­part au Théâtre de la Col­line ce 7 février 2011

(http://www.mediapart.fr/journal/international/070211/de-tunis-au-caire-jusqua-paris-en-direct-du-theatre-de-la-colline)

Nous aurions aimé être là-bas mais il n’y avait plus de places dis­po­nibles depuis plu­sieurs semaines. Sur le pla­teau Ste­phane Hes­sel, Edgar Morin et Claude Alphan­dé­ry. Mon­cef Mar­zou­ki et Radhia Nas­raoui viennent témoi­gner de la révo­lu­tion tuni­sienne. Dari­na Al-Joun­di rend hom­mage à la jeu­nesse égyp­tienne  L’E­gypte est  repré­sen­tée avec l’é­cri­vain Mah­moud Hus­sein et la Pales­tine avec Elias Sam­bar, Ambas­sa­deur à l’Unesco. Edwy Ple­nel anime.

Un grand souffle dans ces voix mul­tiples qui portent enfin une parole, si simple, si forte : comme si nous en avions été pri­vés depuis long­temps, si long­temps – quand c’était ? – et qu’elle sur­gis­sait là toute belle et puis­sante comme le peuple tuni­sien, comme le peuple égyp­tien, appa­rus sous nos yeux ou plu­tôt sur nos écrans,  à la place des figures constam­ment agi­tées pour­tant par tant de pro­fes­sion­nels de la com­mu­ni­ca­tion et de la poli­tique : les mar­chés, Paris, les agences de nota­tion, Washing­ton, les Isla­mistes, la Chine  ins­tances vides marion­nettes que s’évertuent à ani­mer des édi­to­ria­listes, des com­men­ta­teurs tout gon­glés de l’or­gueil qu’ils tirent de leur inti­mi­té avec ces fétiches.

Il y avait là par contre des anciens, presque tous âgés, mais qui ont une confiance mer­veilleuse en la jeu­nesse, celle que cer­tains dénoncent comme étant uni­que­ment occu­pée à consom­mer et s’ennuyer alors que c’est pour­tant ce qu’ils sou­haitent pro­fon­dé­ment qu’elle soit, la mépri­sant ain­si et se mépri­sant de tant la pré­fé­rer réduite à de la presque publi­ci­té, per­dant alors leur digni­té et pri­vés à jamais du pou­voir de la recon­naître chez autrui, chez des hommes mas­sés dans la rue autour des chars et sous les pierres.

Cette jeu­nesse sor­tie en France dans la rue à l’occasion des mani­fes­ta­tions de la ren­trée 2011, et que des édi­to­ria­listes idiots ou de mau­vaise foi ont cri­ti­quée pour sem­bler tant atta­chée à sa retraite future, idiots car il fal­lait être idiots pour ne pas sen­tir l’aspiration à un autre monde, la joie d’être ensemble pour par­ta­ger cette aspi­ra­tion. Cette jeu­nesse qui est en nous comme elle l’est chez ces vieux résis­tants, chez qui les com­bats l’ont comme sai­sie et main­te­nue vivante et claire comme la vigi­lance. Cette uni­té de l’homme par la jeu­nesse de son espé­rance dans des pays dif­fé­rents, Morin l’a rap­pe­lée et l’a saluée, lui qui avait orga­ni­sé il y a près de 40 ans un col­loque sur cette espé­rance et ce pro­jet intel­lec­tuel pro­po­sé aux sciences. Hélas, les com­mu­nau­tés scien­ti­fiques ont per­du la voie, elles ont per­du ce pro­jet, elles se battent pour être utiles à l’économie des pays et des régions, elles se jalousent pour décro­cher des contrats avec des dic­ta­tures, elles se sou­mettent à un « prin­cipe de réa­li­té » : les marion­nettes inlas­sa­ble­ment agi­tées par les poli­ti­ciens et les édi­to­ria­listes, et qui ô stu­peur, leur semblent plus réelles que les réa­li­tés sociales vivantes qu’ils observent et décrivent dans leurs ouvrages tant ils sont fati­gués et son­nés par les forts cou­rants conver­gents de l’au­to­ri­ta­risme et du nou­veau management.

La digni­té : un des inter­ve­nants dit que les peuples tuni­siens et égyp­tiens n’ont pas retrou­vé leur digni­té puisqu’ils ne l’ont jamais perdue.Parfois il nous semble, dans ce début de déses­pé­rance que nous vivons, il nous semble que c’est peine per­due que d’essayer mal­gré tout de main­te­nir la pos­si­bi­li­té d’une alliance, de témoi­gner de la confiance, de s’indigner aus­si, puisque depuis tout semble aller de mal en pis. Mais ces gens nous disent : soyez vigi­lant, ce qui veut dire gar­dez votre digni­té ; gar­dez votre digni­té, ce qui veut dire soyez vigi­lants. Le jour venu vous serez prêt à recon­naître la digni­té d’autrui, et vous serez son semblable.

Les peuples : Elias Sam­bar dit que les com­men­ta­teurs n’arrivent pas à pro­non­cer  ce mot, « ça ne passe pas » : de fait on ne dit pas dans les jour­naux et à la radio « le peuple tuni­sien », « le peuple égyp­tien ». Mais à la tri­bune ce soir le mot peuple éclate, repris cent fois, inlas­sa­ble­ment, neuf à nos oreilles incré­dules : c’est bien lui et non une abs­trac­tion, non une figure du dis­cours, non une repré­sen­ta­tion. Mah­moud Hus­sein le dit : cer­tains consi­dèrent encore que les cla­meurs du peuple en Égypte et en Tuni­sie sont une sorte de bruit de fond car ils ne peuvent croire que le peuple existe réel­le­ment. Elias Sam­bar lui encore : ce n’est pas face­book, ce ne sont pas des ordi­na­teurs qui ont été dans la rue, qui tiennent la place du Caire « dégage, nous avons envie de revoir nos femmes ! ».

Les pos­sibles : il a fal­lu ouvrir des pos­sibles, en quan­ti­té, pour que puisse naître une révo­lu­tion, deux révo­lu­tions. Elles ne sont pas adve­nues par hasard, elles ne sont pas des « bouf­fées de fièvre » ou des épi­dé­mies, elles ne sont pas un mou­ve­ment pul­sion­nel né d’on ne sait où et allant au chaos. Com­bien de com­men­taires, là-bas et ici sur le thème de « ils n’ont pas de pro­jet », « nous n’avons pas de pro­jet de socié­té », « il n’y a pas l’ombre d’une pro­po­si­tion ». Quel aveu­gle­ment. Retrou­ver la liber­té, éprou­ver la fra­ter­ni­té c’est un pro­jet, qui couve, et qui un jour s’exprime et prend corps dans le peuple. Ce sont les illu­sions qui font l’histoire dit un autre de nos sages combattants.

Il n’y a pas d’autre pro­jet, pas d’autre uto­pie néces­saire, que celui qui n’a jamais vieilli et qui est res­té devant nous comme l’horizon de nos espé­rances. Ce soir en écou­tant ces hommes et ces femmes si âgés sou­vent, si heu­reux et si déter­mi­nés au théâtre de la Col­line, c’était comme si les paroles confis­quées pour deve­nir la manière de ce bruit de fond s’échappaient elles aus­si, libres et fra­ter­nelles, de ces hommes libres et fraternels.

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