Université : Opération « Écrans noirs » du vendredi 13 au mardi 17
Ecrit par Igor Babou, 13 Nov 2020, 0 commentaire
Cette semaine a sans doute été la pire qu’ait vécu l’université française, qui va prendre un virage autoritaire dont les enseignant.e.s, les chercheur.e.s et les étudiant.e.s vont faire les frais.
Tout d’abord, le Sénat vient d’adopter un amendement à la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) qui porte gravement atteinte aux franchises universitaires et à nos libertés de revendication et sans doute d’expression, ainsi qu’aux vôtres. Voici en effet le texte liberticide qui a été adopté :
« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».
Autrement-dit, tous les collègues et étudiant.e.s que je connais depuis 25 ans que je fais ce métier, sont maintenant passibles de prison (entre 1 an et 5 ans) et d’amendes (de 7500 euros à 45000 euros) si nous faisons maintenant ce que nous avions toujours fait, à savoir exercer notre capacité de jugement critique en protestant dans nos lieux de travail quand nous estimons qu’une mesure ou une action est illégitime.
Voir ici les éléments factuels et l’analyse : https://academia.hypotheses.org/28160 voir aussi : https://universiteouverte.org/2020/11/10/luniversite-en-taule/
En parallèle, les règles de recrutement des enseignant.e.s chercheur.e.s titulaires de l’université ont changé, là aussi pour le pire, puisque le CNU (Conseil national des universités) qui était une garantie de collégialité contre les dérives localistes et les recrutements de complaisance, est maintenant dessaisi de sa fonction d’évaluation des dossiers de qualification (l’étape préalable aux concours sur des postes d’enseignants-chercheur). La ministre de l’enseignement supérieur a en effet validé l’amendement sénatorial voté par LREM et LR en commission mixte paritaire qui permet de déroger aux qualifications par le CNU pour les recrutements universitaires. En tant que membre du CNU de ma discipline, je considère que cet amendement est inacceptable.
De plus, la programmation budgétaire votée par la représentation nationale, s’est appuyée sur des données qui ont été considérées comme fausses et insincères par de nombreux collègues, et va entériner un état de précarité sans précédent dans la recherche française. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est en effet en baisse de 175,9 millions € en 2021. Voir ici les éléments factuels : http://rogueesr.fr/20201026/
Voir également ici pour la position de la Commission permanente du Conseil National des Universités, qui n’est pas particulièrement connue pour être un groupuscule gauchiste, mais qui demande carrément la démission de la ministre : https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2020/11/08/frederique-vidal-ne-dispose-plus-de-la-legitimite-necessaire-pour-agir-en-faveur-de-l-universite_1804958
Il faut ajouter à ce tableau guère brillant les attaques publiques des sciences humaines et sociales et de leur travail de déconstruction critique par le ministre de l’éducation nationale (voir ici : https://academia.hypotheses.org/27287), ainsi les conflits d’intérêt lors de la nomination du président du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Enfin, il faut ajouter à cet ensemble désastreux pour la démocratie les atteintes à la liberté de la presse (notamment l’interdiction programmée de photographier ou de filmer les visages des policiers, ce qui fera de la France un pays plus répressif que la Chine dans ce domaine), et les violences policières qui s’exercent là aussi de manière systématique, disproportionnée et injustifiée sur les élèves de lycées en ce moment-même. Il semble donc que le virage répressif et autoritaire de la France s’accentue dans des proportions et à une vitesse vertigineuses.
Ne rien faire et ne rien dire, ne pas protester, c’est collaborer à cette dérive autoritaire qui est en train de s’installer dans le pays et qui ne peut que nous conduire à la catastrophe.
En conséquence, un appel à la grève vient d’être lancé à l’initiative de plusieurs organisations d’enseignants chercheurs et d’étudiant.e.s, dont Université Ouverte, Rogue ESR, Facs et labos en lutte et Sauvons l’Université.
C’est pourquoi mon écran restera noir à partir de ce soir et mes cours sont donc annulés du 13 au 17 novembre.
Une assemblée générale est organisée en ligne demain à 12h : https://www.facebook.com/events/685882975692845
Je copie colle ci-dessous le communiqué de Rogue ESR.
Soutenir la CP-CNU dans son appel à la démission de Mme Vidal:
Pour empêcher les recrutements d’être placés sous le contrôle des présidences:
Opération « Écrans noirs » dans toutes les universités du vendredi 13 au mardi 17 novembreNous sommes nombreux à être indignés par le contenu et les conditions d’adoption, en commission mixte paritaire, du projet de Loi de programmation de la recherche (LPR). La suppression de la qualification par le CNU, la création d’un nouveau délit de « trouble à la tranquillité et d’atteinte au bon ordre des établissements » et la poursuite d’une programmation budgétaire indigente et d’une précarisation accrue des emplois dans l’enseignement supérieur et la recherche nous semblent devoir appeler une réaction collective forte de toute la communauté universitaire et de toutes nos instances locales et nationales.
Nous proposons que les bureaux de toutes les sections du CNU, que les membres des conseils centraux des établissements et des conseils de composantes et de laboratoires, que les sociétés savantes, que les associations professionnelles, les collectifs et les organisations syndicales appellent l’ensemble des personnels à éteindre leurs écrans et à entrer en grève du vendredi 13 au mardi 17 novembre, date de l’adoption de la loi par l’Assemblée Nationale. Cette grève pourrait éventuellement être prolongée jusqu’au vote final au Sénat.
Dans cette période très dure pour les étudiantes et les étudiants, nous appelons par la suite à ne plus faire que notre métier — produire, transmettre, critiquer et conserver les savoirs — de sorte à leur accorder toute l’attention nécessaire. Nous appelons en conséquence à arrêter jusqu’à nouvel ordre toute contribution à des jurys de concours de la fonction publique, à des jurys de concours de grandes écoles, à des jurys de baccalauréat, à des jurys d’évaluation et plus généralement à toutes les instances pour lesquelles nous sommes en permanence sollicités.
Facs et labos en lutte / RogueESR / Sauvons l’Université / Université Ouverte———————–
RogueESR est un collectif de membres de la communauté académique. Il rassemble celles et ceux qui font vivre ses institutions au quotidien, et qui souhaitent défendre un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ouvert à toutes et tous.
Contact : contact@rogueesr.fr
Twitter : @rogueesr
Site: http://rogueesr.fr
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