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PARODIE DE JUSTICE POUR LES UNIVERSITAIRES À ISTANBUL


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Nous relayons ici ce texte d’un socio­logue qui est allé à Istam­bul suivre les pro­cès inten­tés aux uni­ver­si­taires par le régime d’Erdogan :

J’étais ce jeu­di 7 décembre au palais de jus­tice d’Istanbul, à la chambre 33, une cours cri­mi­nelle spé­cia­li­sée de fait, comme plu­sieurs autres qui siègent aus­si ce jour-là, la 32, la 34, dans les pro­cès poli­tiques. C’est le deuxième jour où com­pa­raissent les uni­ver­si­taires turcs mis en cause pour avoir signé la péti­tion des Aca­de­mics for Peace. Ils sont doc­to­rants, ensei­gnants-cher­cheurs juniors et seniors ou même à la retraite. Ils sont his­to­riens, phi­lo­sophes, socio­logues, juristes, etc. Des dépar­te­ments uni­ver­si­taires tout entiers passent au tribunal.
Les pro­cès sont indi­vi­duels. La même scène se répète. La cour est com­po­sée de trois juges, en l’occurrence trois hommes et un pro­cu­reur, mais c’est le pré­sident seul qui fait tous les rôles, celui d’accusateur et celui de juge. Caché der­rière son écran d’ordinateur, il récite à toute vitesse l’acte d’accusation — un docu­ment creux, des charges fabri­quées. Le pro­cu­reur confirme l’accusation en trois phrases à voix basse. Les avo­cats demandent tous, avec des argu­men­ta­tions plus ou moins déve­lop­pées, l’acquittement ou, au moins la requa­li­fi­ca­tion des charges, de « pro­pa­gande du ter­ro­risme » à « insulte à l’état ». Le pré­sident sol­li­cite l’avis de ses asses­seurs d’un clin d’oeil. Pas d’acquittement, pas de requa­li­fi­ca­tion. Sur la demande des avo­cats, pour pré­pa­rer la défense, les affaires sont ren­voyées à une audience qui varie d’une chambre à l’autre — ici, c’est à la fin jan­vier. (Par­fois c’est en mars, en avril ou en juin. À la 32, dans l’après-midi, ce sera ren­voi au 22 décembre — deux semaines pour pré­pa­rer sa défense…) À vrai dire, ces ren­vois et la manière dont ils sont pro­non­cés à la chaîne et bru­ta­le­ment n’annoncent rien de bon quant aux déci­sions qui seront prises alors. A une femme âgée, qui dit espé­rer un acquit­te­ment parce qu’elle à des pro­blèmes de san­té, le pré­sident réplique avec cynisme en mon­trant les murs de la salle d’audience : « Vous voyez, dans nos éta­gères, il n’en reste plus des acquittements. »
Le cou­loir, devant les chambres, est plein : des cen­taines d’universitaires et des proches sont venus. Pour sou­te­nir les ensei­gnants, les étu­diants ont édi­té un sti­cker, à la manière de Magritte : « CECI N’EST PAS UN PALAIS DE JUSTICE ».
Ces pro­cès fabri­qués font par­tie du mou­ve­ment de har­cè­le­ment des uni­ver­si­taires et de des­truc­tion du milieu aca­dé­mique, contre lequel les auto­ri­tés uni­ver­si­taires turques elles-mêmes se montrent peu pro­tec­trices. Face à ce mou­ve­ment, la seule force qui semble tenir aujourd’hui, c’est le front com­mun des uni­ver­si­taires pour­sui­vis, leur cou­rage, la soli­da­ri­té qui les entoure et les sou­tiens dont ils peuvent béné­fi­cier, y com­pris au plan international.
Benoit Bastard
Socio­logue direc­teur de recherche émé­rite au CNRS, ENS Paris-Saclay

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