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La pierre triste” de Filippos Koutsaftis, ou les lucioles d’Eleusis


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Envie de par­ta­ger “La pierre triste”, un film de Filip­pos Kout­saf­tis, Grèce, 2000, (Ecrans Docu­men­taires à Arcueil)
http://www.lesecransdocumentaires.org/ et  sur http://www.derives.tv/La-pierre-triste.

Le cinéaste regarde pen­dant une dou­zaine d’an­nées la ville d’E­leu­sis. Sa gigan­tesque raf­fi­ne­rie en crois­sance conti­nue, la cimen­te­rie Titan, les routes, auto­routes, échan­geurs, chan­tiers de démo­li­tion, de construc­tion, les urba­ni­sa­tions, pan­neaux publi­ci­taires géants rem­plis des visages de man­ne­quins, tout cela pousse la ville habi­tée et son sous-sol truf­fé de ves­tiges, qui livre sans arrêt des tombes, des temples, des traces (puits) de l’an­cienne Eleu­sis des batailles héroïques, celle des Mys­tères aux­quels Hadrien fut ini­tié, celle d’Es­chyle, celle du cycle annuel de Per­sé­phone qui va rejoindre Plu­ton aux enfers et en revient chaque année avec le prin­temps, celle du culte des mi-semailles et de Marie, ou de Saint Nico­las pro­tec­teurs des ouvriers de la cimen­te­rie dont seul 10 ont sur­vé­cu aux mala­dies des poumons.

Peu à peu, le cinéaste suit dans ce chaos de des­truc­tions, de publi­ci­té et de lai­deur indus­trielle et de crise des­truc­trice (ambi­tion, indif­fé­rence, insen­si­bi­li­té) des figures fra­giles, des habi­tants ordi­naires, beau­coup, par­mi les plus vieux, réfu­giés de la Grèce d’A­sie Mineure ( les “ioniens”. Il s’é­meut de la sublime beau­té des gestes ordi­naire, du soin aux mul­tiples mémoires, celle des êtres chers dis­pa­rus, celle de la ren­contre ter­rible avec l’His­toire et les guerre, celle de la Grèce mil­lé­naire, es gestes et du soin por­tés aux traces si mal­trai­tées par les obs­cures et absentes puis­sances des enfers indus­triels. Paya­na­tos, comme un héros Tar­kovs­kien (le fou dans la pis­cine, s’il réus­sis­sait à la tra­ver­ser sans que s’é­teigne la bou­gie qu’il trans­porte le monde serait sau­vé), ou comme celui des oiseaux de Tar­jei Vesaas, inlas­sable vaga­bond des ves­tiges qu’il retrouve et soigne, la tête cou­verte d’une, veste en loque “qui cache son auréole”, le lai­tier qui dis­pa­raît, hélas, les femmes qui allument les lampes, par­courent le site avec fami­lia­ri­té et modes­tie pour se rendre au culte, l’ar­chéo­logue qui net­toie amou­reu­se­ment un minus­cule tes­son où appa­raît le déli­cat pro­fil d’une jeune fille qui lui res­semble tan­dis que les pel­le­teuses arrachent les murs quelque part dans la ville, l’a­do­les­cent qui aide aux fouilles et qui res­semble tant, quant à lui, à Anti­noüs, les vieux et vieilles aux visages timides et clairs dont le cinéaste célèbre la noblesse et la beau­té et dont il écoute les paroles, rares, déchi­rantes, qui se réper­cutent en échos cos­miques sur l’en­semble du site et de la Grèce, le gar­dien du site qui connaît les pas­sages des oiseaux, du lièvre, des cou­leuvres entre les colonnes tron­quées et l’herbe rase.

Les habi­tants sont modestes mais moins ano­nymes pour le cinéaste puis pour nous que les puis­sants pétro­liers et inves­tis­seurs dont on ne sau­ra rien. Leurs gestes soi­gneux et infimes “réta­blissent l’é­qui­libre du monde”, exac­te­ment comme le décrit David Abram dans “com­ment la terre s ‘est tue”. Anto­nia est fière d’ha­bi­ter près des tombes des sept Thé­bains qui ont tenu tête aux Spar­tiates, sa fier­té à elle, femme toute simple, rachète l’in­dif­fé­rence abso­lue de toutes les puis­sances finan­cières, poli­tiques, tout ce qui a contri­bué à détruire tota­le­ment le cime­tière où repo­saient les sept thé­bains. Le cinéaste au fil des années, découvre les lucioles, par­tout, celles dont parle Didi Huber­man qui a jus­te­ment com­men­té ce film ; des lucioles. C’est le film de l’at­ten­tion por­tée aux autres, de la quo­ti­dien­ne­té héroïque d’un peuple plein de héros, et dont le tré­sor poli­tique, extra­or­di­naire, réside dans la “décence ordi­naire” de cette atten­tion trans­mise, inlas­sable. Un mer­veilleux film, qui réta­bli l’é­qui­libre du monde.

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