Deux mois après … il refuse de comprendre
Ecrit par Jean-Paul Bourgès, 13 Jan 2016, 13 commentaires
Dans les billets que j’ai écrits dans les jours qui suivirent les attentats du 13 novembre, j’avais évoqué la nécessité de comprendre en profondeur ce qui pouvait être à l’origine de ces comportement monstrueux qu’on résume par le terme de terrorisme ( https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-bourges/blog/171115/decidons-de-nous-aimer ).
Plusieurs déclarations du Premier Ministre font état de ce qu’il assimile « réflexion en vue de comprendre » et « recherche d’excuses » … et qu’il y est, par conséquent, opposé.
Il me semble que cette logique est très exactement ce qu’on nomme l’obscurantisme.
Nous sommes gouvernés par un obscurantiste … quelle déchéance nationale !
Comme je suis d’un tempérament un peu frondeur, je vais essayer de comprendre ce qui a pu se produire pour qu’un Premier Ministre socialiste puisse agir et s’exprimer comme s’il appartenait à la branche dure de l’UMP. Mais, à l’avance, je préviens … ça n’est pas dans le but de lui trouver des excuses.
Toute la vie politique française vient de subir ce qui est déjà arrivé de nombreuses fois à la Terre : une bascule des pôles. Au cours d’une période pouvant durer de cent à dix-mille ans, les pôles se déplacent, jusqu’à se re-stabiliser avec le pôle nord magnétique au sud géographique et réciproquement le sud au nord.
Depuis la seconde guerre mondiale la boussole politique et intellectuelle française fut dominée par un pôle gauche, même quand la droite exerça le pouvoir. L’inversion de ces pôles politiques a commencé il y a une vingtaine d’années et cela joua autant sur la droite que sur la gauche. Concernant cette dernière, rappelons-nous le propos « L’Etat ne peut pas tout » prononcé à l’occasion de licenciements chez Michelin par Lionel JOSPIN qui, Premier Ministre, disait son abandon de l’idée que l’Etat a un rôle actif à jouer sur l’économie. Quelle distance parcourue depuis le temps où le Général DE GAULLE, pourtant peu suspect de gauchisme, parlait du Plan en le définissant comme « une ardente obligation ».
Désormais le pôle droit extrême a pris le rôle de pôle dominant. La droite, qui devrait s’y sentir bien, penche donc fortement vers l’extrême-droite. Les socialistes n’ont plus que le nom de leur parti pour les rattacher à la gauche, de même que l’UMP a dû se parer indûment du terme de Républicain pour se prémunir d’une probable digestion par le Front National qui, lui, ré-invente le pétainisme.
Manuel VALLS est victime de cette inversion des pôles politiques … malheureusement nous le sommes par ricochet car il finit d’achever la bascule qui marque l’ensemble de la société française qui aspire à plus d’autorité, à du protectionnisme, au repli identitaire, à des crèches dans les mairies … en un mot à une régression de plus d’un siècle.
Mais un homme politique ayant un rôle aussi important que Manuel VALLS peut avoir un comportement qu’on explique … sans avoir droit à la moindre excuse.
Durant l’inversion des pôles, la Terre n’est plus bien protégée des radiations cosmiques ce qui peut présenter un risque mortel pour certaines espèces et provoquer des mutations chez d’autres. Lors du phénomène politique, les risques de dérives graves me semblent également très forts et nous assistons déjà à d’étranges mutations.
Jean-Paul BOURGЀS 13 janvier 2016
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http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20160113.OBS2699/les-tres-chers-meilleurs-voeux-de-manuel-valls.html
Par contre, il ne refuse pas de comprendre que ses petits camarades de la com’ ont besoin de beaucoup de sousous.
Al Ceste, je n’ai même pas envie de polémiques périphériques fondées sur des aspects peu ragoûtants de copinage.
Pour moi le sujet est plus lourd que cela. Il correspond à un rejet de ce qui fait appel à l’intelligence au profit des sentiments les plus primaires.
Je ne fais pas partie des intellectuels car je suis plus un homme de l’action concrète que de la réflexion … mais voir récuser ainsi la nécessité de comprendre me semble une véritable entrée dans une spirale de la barbarie, annonciatrice des pires horreurs.
Très amicalement. Jean-Paul
J’ai en effet l’impression d’observer cette bascule, ou ce glissement, en tout cas quelque chose qui ressemble à un changement des repères. Je me disais, mais avec tout ce que je lis sur ce site sur la communication, je ne sais plus… je me disais quand même que le dogme martelé depuis maintenant des années et des décennies nous invitant à être réalistes, à accepter les faits, les conséquences de “la crise” y était pour quelque chose. Nous sommes pris dans un engrenage mondial qui rigidifie les marges de manoeuvres (en tout cas c’est ce que je “gobe”) et fait que toute proposition en décalage avec ces normes devient utopiste. Et ça, craindre que penser autrement, c’est penser inutilement, prendre les normes pour des vérités, c’est déjà un glissement de la gauche vers la droite.
Ce que je trouve dangereux, c’est que ce basculement n’est pas un effet contextuel ou de l’opinion. Il me semble qu’il est plutôt sciemment organisé par des leaders démagogiques, et amplifié par des journalistes serviles.
Nos leaders politiques sont des démagogues en raison, me semble-t-il, de la médiocrité de leur formation (ENA/Science po Paris : une véritable politique de gauche devrait, si elle arrivait au pouvoir, supprimer ces officine de l’apprentissage de la servilité à l’égard du marché).
Nos journalistes ne sont pas serviles par essence (les journalistes sont comme vous et moi, ni pires ni meilleurs), mais ils sont mis dans des conditions de précarité (smicardisation de l’ensemble des métiers de la presse et des médias audiovisuels) et dans un contexte de concentration monopolistique des industries de l’information, qui leur interdit toute indépendance intellectuelle et politique réelle, sauf à crever de faim dans des webzines ou dans la presse alternative.
Et il y a un contexte délétère également à gauche : qui y pense encore ? Mystère. Le dernier à avoir tenté de réfléchir, c’était Mélenchon. Mais il est trop dans un trip “tribun” à l’ancienne pour convaincre les gens vraiment de gauche. Quant aux autres, ils ne valent même pas l’énergie qu’on mettrait à en parler.
Autre élément de contexte : la fin des grandes idéologies depuis la chute du mur de Berlin et la prise de conscience de l’horreur du communisme en URSS. Ces anciens cadres n’ont pas encore trouvé de cadres de substitution permettant d’orienter l’action politique sur du long terme et d’éviter un retour à la violence politique, typique des périodes de crise idéologique. Seule l’écologie, à mon avis, pourrait reprendre le flambeau des utopies transformatrices, mais il faudrait le faire en dehors des partis actuels. Et le faire avec une logique pragmatique, celle de l’horizontalité et non celle des leaders charismatiques (enfin, autant qu’on puisse dire que de Dufflot à Hulot en passant par Placé il y aurait un quelconque charisme, parmi ces petits bureaucrates de la pensée juste avide de places de seconde zone au sein des ministères…).
Ca, plus une économie qui continue à prétendre que la croissance serait la seule issue, alors que rien ne croit autant que les inégalités et que la planète ne pourra évidemment pas supporter cette croissance absurde. Mais de là à envisager la décroissance, il y a du chemin, surtout si on reste dans l’état de connexion généralisée de la globalisation : au Sud, le thème de la décroissance est inaudible, et c’est légitime qu’il en soit ainsi. Et au Nord, on ne fera rien car on est trop égoïstes et on considère que les changements doivent être globaux ou ne pas être. Ce qui est simplement idiot.
En gros, il faudrait mettre bout à bout des perspectives d’émancipation, de dé-globalisation, de décroissance locale sur des aspects précis et mesurés, et entrer dans une logique de pragmatique dépersonnalisée (mais surtout pas en renouant avec les idéologies universalistes et désincarnées) proposant des directions sur lesquelles un système “vérification des effets/modification en fonction des besoins et des résultats” serait possible et permettrait des diagnostics socialement partagés, tenant compte de la diversité des savoirs en jeu. Ça, plus une attention sociologique et anthropologique forte à la culture, aux faits religieux et aux dynamiques du conflit, dont la sphère politique dans son ensemble semble dénuée tant elle n’est formée qu’à l’économie de marché et à la gestion à court terme : il faudrait (re)penser les faits identitaires, (inter)culturels et religieux, et non leur dénier toute pertinence au nom d’un laïcardisme gauchiste d’un autre âge ou d’un anti-communitarisme aveugle aux transformations géopolitiques. Le fait de la migration (environ 60 millions de personnes étaient “migrantes” en 2015 dans le monde) est devenu anthropologiquement majeur, et non exceptionnel, et cela ne peut que s’accentuer avec le changement climatique et les guerres. D’où d’inévitables problèmes interculturels et interconfessionnels à venir.
Celles et ceux qui arriveraient à mettre tout cela en forme politiquement auraient peut-être un bout de solution crédible.
Seule l’écologie, à mon avis, pourrait reprendre le flambeau des utopies transformatrices
J’y ai cru un temps, et je crois encore au travail concret (donc, pas aux congrès) sur le terrain.
Mais tomber de Pierre Fournier (la Gueule ouverte) en Jean-Vincent Placé (ma gueule et moi) : impossible !
Je pense de plus en plus comme ça.
Je ne crois pas que ce soit “organisé”. Je crois plutôt que c’est subi par des individus (Les dirigeants mais aussi tout un chacun) qui ont renoncé à réagir … autrement dit à exister.
Ce n’était qu’une incidente, et vous aviez très bien décrit le pouvoir de nuisance de cet homme non d’idées mais de pouvoir.
On ne lâche rien !
Une interview assez connue de Pierre Bourdieu, par Pierre Carles, est intéressante pour avancer sur cette question des inversions droite/gauche. C’est situé à la fin de la première vidéo, et dans la seconde (qui s’enchaîne automatiquement après la première). Quand on entend ce qu’il dit de Hollande et de Royal en 1998, on ne peux que se dire que la sociologie a parfois un temps d’avance sur la perception commune des orientations réelles des politiciens :
Il y a quelques années, je pensais que je souffrais du syndrome du BVT (bon vieux temps), où on avait des Brassens, Elvis, Barbara, Rolling stones, Brel, Beatles, etc., et qui duraient avec talent et me surprenaient à chaque nouveauté. Aujourd’hui, je n’en suis plus si sûr. Je suis étonné quand j’entends des personnes de vingt ans, enfants de Bobos, c’est vrai, chanter en chœur “Le gorille”, et sans une erreur.
Notre monde se dit peut-être que toutes les révoltes et réformes ont été essayées et qu’aucune ne donnant satisfaction, on vit avec le temps présent. Mais pas parce que nous obéissons à la réalité, mais parce que nous avons découvert tellement de réalités que nous ne savons laquelle choisir, ou comment les mélanger pour ne plus en faire qu’une. Alors, on fait avec le présent en attendant que ça s’éclaircisse. Mettre toutes ces réalités en forme nécessiterait d’abord que nous ayons identifié les fausses réalités (certaines réalités du capitalisme, de l’accès aux connaissances, etc.).
Ceci n’est vrai que pour l’Occident, mais l’Occident avide est meneur du monde et a tendance à étouffer les révoltes issues d’autres réalités.
Cette bascule dont parle Jean-Paul est peut-être le résultat du choix difficile à faire entre les réalités auquel sont confrontés les psychopathes qui nous dirigent. Et qu’à leur niveau de décision, leur indécision est fatale.
Si j’étais optimiste, je citerais Gramsci : “La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés”.
Mais je ne suis pas sur de pouvoir être optimiste.
Le billet que je viens de publier appelle, non à l’optimisme, mais au volontarisme qui est la forme ultime, avant le plongeon final, du pessimisme.
(Petit troll : allez voir ma question au troquet)