De l’indiscipline … à la discipline et vice-versa
Ecrit par Jean-Paul Bourgès, 16 Jan 2016, 8 commentaires
Il y a cent dix ans, à Algeciras, commençait la conférence qui allait mettre un terme à la concurrence entre la France et l’Allemagne en Afrique et confier à la France le rôle de « protecteur » du Maroc.
Cette date du 16 janvier 1906 me rappelle la vie de mon grand-père, Auguste BOURGЀS, puisque, depuis 1904 il était affecté à la légation de France à Tanger. Détaché là par la Police d’Alger, il avait un rôle d’avant-garde policière discrète qui se transforma, après les accords d’Algeciras, en responsabilité de la police à Tanger … où il demeura jusqu’à sa mort, cinquante ans plus tard, au moment où le Maroc redevint un royaume indépendant. Mon grand-père est enterré à Tanger face à l’océan Atlantique … avec, de l’autre côté du détroit de Gibraltar, les côtes espagnoles. J’ai chez moi ses rapports de police des années 1904 à 1908 et le récit de ses interventions pour écarter certains agitateurs du trajet de l’Empereur Guillaume lors de sa venue à Tanger en mars 1905 est fort drôle.
Mais j’ai l’air de m’égarer et le titre de ce billet mérite quelques explications.
Auguste BOURGЀS était né sous Napoléon III, en 1866, à Meyssac au sud de Brive en Corrèze. Fils aîné d’une famille de petits paysans, il avait été scolarisé à l’école des frères. Elève brillant, il était habitué à la place de premier et les bons frères avaient convaincu son père de lui faire poursuivre, à la fin de ses études primaires, ses études au petit séminaire afin qu’il puisse devenir prêtre.
A l’occasion de la distribution des prix de sa dernière année, il apprit qu’au lieu de recevoir le prix d’excellence correspondant à ses résultats, il n’aurait qu’un prix moins glorieux car c’était le fils du nobliau du coin, généreux financeur de l’école, qui aurait le prix d’excellence à sa place.
Il se rendit à la distribution des prix, mais lorsque le nom de l’usurpateur fut appelé, il se leva, sortit de sa poche un sifflet et en usa fortement puis tourna les talons et quitta la salle. Inutile de dire qu’il n’était plus le bienvenu au séminaire où son indiscipline aurait créé du trouble.
Il entra en apprentissage chez le potier voisin de ses parents … mais, à seize ans, devant les difficultés économiques des potiers (Le chemin de fer apportait jusque dans les campagnes la vaisselle industrielle meilleur marché), il décida de quitter la Corrèze pour aller tenter sa chance en Algérie. Arrivé seul là-bas, il servit d’auxiliaire teneur de piquet aux géomètres qui traçaient les routes dans le bled. Il se remit à étudier sous la tente le soir, aidé par un ingénieur qui, plusieurs années plus tard, serait membre de l’équipe de Georges CLEMENCEAU. Il passa des concours administratifs … qui le conduisirent à entrer dans la police.
Année après année il en gravit les échelons et, à trente-huit ans, il était donc à Tanger avec le grade de commissaire.
Sa carrière s’y déroula jusqu’au sommet de la hiérarchie policière, illustrant ainsi un parcours allant de l’indiscipline jusqu’à la discipline. La photo ci-après vous montre ce grand-père le jour de son départ en retraite, en 1930.
Je ne sais ce que je dois à ce grand-père, que je ne vis que pendant quinze jours alors que j’avais sept ans, mais il y a des jours où j’ai le sentiment de vivre à l’envers en m’écartant de plus en plus de la discipline en direction de l’indiscipline !
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Il ne faut jamais lâcher la main de l’enfant qu’on a été, celui qui criait :“C’est pas juste ! “.
On ne la retrouve, autrement, qu’un peu trop tard !
A l’occasion de la distribution des prix de sa dernière année, il apprit qu’au lieu de recevoir le prix d’excellence correspondant à ses résultats, il n’aurait qu’un prix moins glorieux car c’était le fils du nobliau du coin, généreux financeur de l’école, qui aurait le prix d’excellence à sa place.
Ce genre d’injustice frappant des enfants était courant naguère. Lors de la communion solennelle, une tradition de ma paroisse voulait qu’à la procession défile une statue de la Vierge Marie, portée par deux filles, la communiante de tête étant celle arrivée première au caté. Hélas, pour mon année, c’était une fille de l’école du diable ! Elle fut donc priée de rester derrière, et n’eut pas le loisir de se révolter comme votre grand-père.
(Les filles de l’école dite catholique, qui n’avaient pas su devancer l’intruse, furent savonnées du haut en bas par la “bonne” sœur !)
Ne jamais s’incliner devant l’injustice … c’est le premier enseignement que l’on devrait apporter aux enfants. Cela ne donnerait pas la même société que celle qui résulte de la prime accordée à ceux qui sont de serviles lopettes, s’apprêtant à exercer à leur tour un pouvoir abusif.
La convention sociale la plus répandue est la servilité. Elle va de pair avec l’irrespect qu’on doit aux inférieurs. Redoutables, les petits chefs qui ne doivent leur situation qu’à leur veulerie.
Ils ne sont pas nombreux les parents qui n’ont pas réprimandé leur enfant coupable de faire remarquer l’injustice d’un supérieur.
J’ai eu cette chance … chez mes parents, pourtant bien classiques, le refus de l’injustice était considéré comme une vertu et la marque du courage. S’incliner devant l’injustice nous était, au contraire, reproché.
Un ancien instituteur a écrit un livre où il parle de son école dans le Haut-Jura. Il recopie une page d’écolier des années 1910. La maxime du début de journée : Je resterai digne et je ne m’humilierai devant personne.
Ce n’est pas dans notre Ouest soumis à la cure et au château qu’on aurait enseigné ça aux élèves !
C’est plutôt ce lait jurassien qui m’a fait !