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Appel aux enseignants et responsables éducatifs pour afficher publiquement leur refus du CPE
31 mars 2006 Appels
Je suis professeur des universités en Sciences de l'information et de la communication.

Je travaille sur les relations entre nature, savoirs et sociétés, sur la patrimonialisation de l'environnement, sur les discours à propos de sciences, ainsi que sur la communication dans les institutions du savoir et de la culture. Au plan théorique, je me situe à l'articulation du champ de l'ethnologie et de la sémiotique des discours.

Sinon, dans la "vraie vie", je fais aussi plein d'autres choses tout à fait contre productives et pas scientifiques du tout... mais ça, c'est pour la vraie vie !
Igor Babou
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par Igor Babou et Joëlle Le Marec

Nous sommes ensei­gnants et cher­cheurs en sciences humaines et sociales. Notre acti­vi­té consiste à ten­ter de com­prendre les faits sociaux, leur arti­cu­la­tion avec les enjeux poli­tiques, leur épais­seur his­to­rique, leurs mani­fes­ta­tions contem­po­raines. Nous sommes aus­si parents, ensei­gnants en charge de la trans­mis­sion des connais­sances, des valeurs et du patri­moine cultu­rel aux géné­ra­tions qui nous suc­cèdent. En charge aus­si et sur­tout de la construc­tion d’un esprit cri­tique s’appuyant sur les acquis d’une culture du ques­tion­ne­ment héri­tée du siècle des Lumières qui a fon­dé nos démocraties.

Nous sommes les témoins du mou­ve­ment de contes­ta­tion des étu­diants et lycéens contre le CPE et plus lar­ge­ment contre le pro­jet de loi pour l’égalité des chances. Il est impos­sible de res­ter étran­gers à cette crise. Celle-ci secoue en réa­li­té la socié­té fran­çaise depuis de nom­breuses années, et atteint un paroxysme à l’occasion de dif­fé­rents phé­no­mènes qu’il s’agit de com­prendre ensemble : réfor­misme com­pul­sif des ins­ti­tu­tions, loi sur le droit d’auteur dans la socié­té de l’information (DADVSI), pro­jet de dépis­tage pré­coce des troubles du com­por­te­ment chez l’enfant, et loi pour l’égalité des chances et notam­ment pour le contrat pre­mière embauche. Ce n’est pas faire des amal­games que de signa­ler les liens orga­niques entre ces réformes. Une rhé­to­rique mono­tone et uni­forme de légi­ti­ma­tion atteste de leur paren­té idéo­lo­gique : il s’agit de « déblo­quer la socié­té », de « rat­tra­per un retard », de s’adapter à la « réa­li­té d’un monde qui change », d’« accroître la com­pé­ti­ti­vi­té », etc.

Le refus du CPE est l’indicateur qu’une autre lec­ture du monde est faite par les acteurs sociaux. Ceux-ci ne vivent pas naï­ve­ment dans un monde d’illusions, tan­dis les hommes poli­tiques seraient, eux, dans la réa­li­té vraie du monde [[M. De Vil­le­pin, le 16 mars, à l’oc­ca­sion d’un déjeu­ner réunis­sant des jour­na­listes et des­ti­né à défendre le CPE : « Moi je suis dans le réel ! Les Fran­çais, les médias, sont dans le vir­tuel » (Le Monde du 30 mars 2006 p. 26).]]. On a affaire à dif­fé­rentes lec­tures du monde, sous-ten­dues par des rap­ports de domi­na­tion dont cer­tains vont pro­fi­ter et que d’autres vont subir. Cer­tains cher­cheurs, nous-mêmes dans nos propres enquêtes, fai­sons le constat d’une souf­france sociale crois­sante dans le monde du tra­vail, et d’une menace sur les rela­tions de confiance qui struc­turent le lien aux ins­ti­tu­tions. Dans ce contexte, au nom des connais­sances que nous pro­dui­sons — les­quelles ne se réduisent pas à des visions fonc­tion­nelles et éco­no­mistes de la socié­té – nous ne pou­vons que com­prendre le mou­ve­ment de contes­ta­tion du CPE, et y adhérer.

Contrai­re­ment aux appa­rences, les lycéens et étu­diants ne luttent pas contre les ins­ti­tu­tions répu­bli­caines : ils sont par­mi les seuls à y croire encore suf­fi­sam­ment pour faire le sacri­fice de leurs propres inté­rêts dans leurs modes d’action. Leur rap­port à la poli­tique est plus authen­tique et plus fort que celui des élus, ministres, syn­di­ca­listes et autres pro­fes­sion­nels et experts de la poli­tique. C’est pour­quoi il est de notre devoir de parents, de pro­fes­seurs, de pro­vi­seurs, de direc­teurs d’établissements, de prendre des posi­tions claires contre cette loi. Rap­pe­lons que la confé­rence des pré­si­dents d’université et le Conseil Natio­nal de l’Enseignement Supé­rieur et de la recherche (CNESER), ont deman­dé offi­ciel­le­ment le retrait de cette loi. Il faut suivre ces exemples. Rap­pe­lons éga­le­ment que plus de 3000 cher­cheurs et pro­fes­sion­nels de la culture et des médias ont lan­cé un appel à la déso­béis­sance civile contre la loi DADVSI, qui est de fait inap­pli­cable pour qui veut faire cor­rec­te­ment son métier d’enseignant ou de pro­fes­sion­nel de la culture.

Nous sommes convain­cus qu’une grande par­tie des ensei­gnants et des res­pon­sables édu­ca­tifs res­sentent, au quo­ti­dien, le tra­vail de sape inouï qui est mis en œuvre depuis quelques années contre les méca­nismes de trans­mis­sion des connais­sances et des valeurs, de pré­ser­va­tion des prin­cipes de soli­da­ri­té, de com­pen­sa­tion des inéga­li­tés. Mais tous, uni­ver­si­taires ou ensei­gnants, nous res­tons éton­ne­ment pas­sifs, para­ly­sés par des prin­cipes léga­listes que la sphère poli­tique ne res­pecte guère elle-même. Celle-ci affiche quo­ti­dien­ne­ment son cynisme et son mépris de l’intérêt géné­ral : le ministre de l’éducation natio­nale a même ordon­né le recours à la force pour stop­per le mou­ve­ment lycéen.

C’est au nom du sens des res­pon­sa­bi­li­tés que nous devons prendre la parole et dénon­cer cette atti­tude irresponsable.

Nous avons le devoir de deman­der, où que nous soyons, le retrait de la loi pour l’égalité des chances.

Nous avons le devoir, bien au-delà de cette contes­ta­tion, d’inventer avec les jeunes de nou­velles formes d’implication dans la vie publique qui concré­tisent réel­le­ment les valeurs que nous sommes sup­po­sés por­ter au sein des ins­ti­tu­tions dont nous avons nous-mêmes hérité.

Auteurs

Joëlle Le Marec
Maître de confé­rence habi­li­tée à diri­ger des recherches, Direc­trice du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Socié­té”, Ecole Nor­male Supé­rieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon.

Igor Babou
Maître de confé­rence, Labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Socié­té”, Ecole Nor­male Supé­rieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon.

Pre­miers signataires

  • Bau­douin Jur­dant, Pro­fes­seur des Uni­ver­si­tés, Direc­teur du Centre de Recherche Inter­cul­tu­ra­li­té et Cir­cu­la­tion des Savoirs de l’U­ni­ver­si­té Paris VII
  • Phi­lippe Hert, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Pro­vence, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”.
  • Fabienne Galan­gau, (Maître de confé­rences, Muséum Natio­nal d’Histoire Natu­relle — Paris, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”)
  • Sophie Deshayes (doc­to­rante, ENS-lsh Lyon, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”)
  • Afi­fa Zena­ti (Char­gée de mis­sion à la direc­tion de la recherche de l’ENS-Lsh Lyon)
  • Thier­ry Lefebvre, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Paris VII, membre du CRICS
  • Lau­rence Allard, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Lille III
  • Agnès Camus, Cher­cheuse au Ser­vice Etudes et Recherches de la Biblio­thèque Publique d’Information
  • Sophie Béroud, Maître de confé­rences à l’U­ni­ver­si­té Lumière Lyon 2
  • Anne-Lise Tou­boul, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Ber­nard Lami­zet, Pro­fes­seur, Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Oli­vier San­mar­tin, Maître de confé­rences, IUT de Tours
  • Claude Jamet, Maître de confé­rences, ICOM — Uni­ver­si­té Lumière Lyon 2
  • Daniel Dufourt, Pro­fes­seur, Ins­ti­tut d’E­tudes Poli­tiques — Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Jean-Michel Ram­pon, Maître de confé­rences, Ins­ti­tut d’E­tudes Poli­tiques — Uni­ver­si­té Lyon 2
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