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Appel aux enseignants et responsables éducatifs pour afficher publiquement leur refus du CPE


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par Igor Babou et Joëlle Le Marec

Nous sommes ensei­gnants et cher­cheurs en sciences humaines et sociales. Notre acti­vi­té consiste à ten­ter de com­prendre les faits sociaux, leur arti­cu­la­tion avec les enjeux poli­tiques, leur épais­seur his­to­rique, leurs mani­fes­ta­tions contem­po­raines. Nous sommes aus­si parents, ensei­gnants en charge de la trans­mis­sion des connais­sances, des valeurs et du patri­moine cultu­rel aux géné­ra­tions qui nous suc­cèdent. En charge aus­si et sur­tout de la construc­tion d’un esprit cri­tique s’appuyant sur les acquis d’une culture du ques­tion­ne­ment héri­tée du siècle des Lumières qui a fon­dé nos démocraties.

Nous sommes les témoins du mou­ve­ment de contes­ta­tion des étu­diants et lycéens contre le CPE et plus lar­ge­ment contre le pro­jet de loi pour l’égalité des chances. Il est impos­sible de res­ter étran­gers à cette crise. Celle-ci secoue en réa­li­té la socié­té fran­çaise depuis de nom­breuses années, et atteint un paroxysme à l’occasion de dif­fé­rents phé­no­mènes qu’il s’agit de com­prendre ensemble : réfor­misme com­pul­sif des ins­ti­tu­tions, loi sur le droit d’auteur dans la socié­té de l’information (DADVSI), pro­jet de dépis­tage pré­coce des troubles du com­por­te­ment chez l’enfant, et loi pour l’égalité des chances et notam­ment pour le contrat pre­mière embauche. Ce n’est pas faire des amal­games que de signa­ler les liens orga­niques entre ces réformes. Une rhé­to­rique mono­tone et uni­forme de légi­ti­ma­tion atteste de leur paren­té idéo­lo­gique : il s’agit de « déblo­quer la socié­té », de « rat­tra­per un retard », de s’adapter à la « réa­li­té d’un monde qui change », d’« accroître la com­pé­ti­ti­vi­té », etc.

Le refus du CPE est l’indicateur qu’une autre lec­ture du monde est faite par les acteurs sociaux. Ceux-ci ne vivent pas naï­ve­ment dans un monde d’illusions, tan­dis les hommes poli­tiques seraient, eux, dans la réa­li­té vraie du monde [[M. De Vil­le­pin, le 16 mars, à l’oc­ca­sion d’un déjeu­ner réunis­sant des jour­na­listes et des­ti­né à défendre le CPE : « Moi je suis dans le réel ! Les Fran­çais, les médias, sont dans le vir­tuel » (Le Monde du 30 mars 2006 p. 26).]]. On a affaire à dif­fé­rentes lec­tures du monde, sous-ten­dues par des rap­ports de domi­na­tion dont cer­tains vont pro­fi­ter et que d’autres vont subir. Cer­tains cher­cheurs, nous-mêmes dans nos propres enquêtes, fai­sons le constat d’une souf­france sociale crois­sante dans le monde du tra­vail, et d’une menace sur les rela­tions de confiance qui struc­turent le lien aux ins­ti­tu­tions. Dans ce contexte, au nom des connais­sances que nous pro­dui­sons — les­quelles ne se réduisent pas à des visions fonc­tion­nelles et éco­no­mistes de la socié­té – nous ne pou­vons que com­prendre le mou­ve­ment de contes­ta­tion du CPE, et y adhérer.

Contrai­re­ment aux appa­rences, les lycéens et étu­diants ne luttent pas contre les ins­ti­tu­tions répu­bli­caines : ils sont par­mi les seuls à y croire encore suf­fi­sam­ment pour faire le sacri­fice de leurs propres inté­rêts dans leurs modes d’action. Leur rap­port à la poli­tique est plus authen­tique et plus fort que celui des élus, ministres, syn­di­ca­listes et autres pro­fes­sion­nels et experts de la poli­tique. C’est pour­quoi il est de notre devoir de parents, de pro­fes­seurs, de pro­vi­seurs, de direc­teurs d’établissements, de prendre des posi­tions claires contre cette loi. Rap­pe­lons que la confé­rence des pré­si­dents d’université et le Conseil Natio­nal de l’Enseignement Supé­rieur et de la recherche (CNESER), ont deman­dé offi­ciel­le­ment le retrait de cette loi. Il faut suivre ces exemples. Rap­pe­lons éga­le­ment que plus de 3000 cher­cheurs et pro­fes­sion­nels de la culture et des médias ont lan­cé un appel à la déso­béis­sance civile contre la loi DADVSI, qui est de fait inap­pli­cable pour qui veut faire cor­rec­te­ment son métier d’enseignant ou de pro­fes­sion­nel de la culture.

Nous sommes convain­cus qu’une grande par­tie des ensei­gnants et des res­pon­sables édu­ca­tifs res­sentent, au quo­ti­dien, le tra­vail de sape inouï qui est mis en œuvre depuis quelques années contre les méca­nismes de trans­mis­sion des connais­sances et des valeurs, de pré­ser­va­tion des prin­cipes de soli­da­ri­té, de com­pen­sa­tion des inéga­li­tés. Mais tous, uni­ver­si­taires ou ensei­gnants, nous res­tons éton­ne­ment pas­sifs, para­ly­sés par des prin­cipes léga­listes que la sphère poli­tique ne res­pecte guère elle-même. Celle-ci affiche quo­ti­dien­ne­ment son cynisme et son mépris de l’intérêt géné­ral : le ministre de l’éducation natio­nale a même ordon­né le recours à la force pour stop­per le mou­ve­ment lycéen.

C’est au nom du sens des res­pon­sa­bi­li­tés que nous devons prendre la parole et dénon­cer cette atti­tude irresponsable.

Nous avons le devoir de deman­der, où que nous soyons, le retrait de la loi pour l’égalité des chances.

Nous avons le devoir, bien au-delà de cette contes­ta­tion, d’inventer avec les jeunes de nou­velles formes d’implication dans la vie publique qui concré­tisent réel­le­ment les valeurs que nous sommes sup­po­sés por­ter au sein des ins­ti­tu­tions dont nous avons nous-mêmes hérité.

Auteurs

Joëlle Le Marec
Maître de confé­rence habi­li­tée à diri­ger des recherches, Direc­trice du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Socié­té”, Ecole Nor­male Supé­rieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon.

Igor Babou
Maître de confé­rence, Labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Socié­té”, Ecole Nor­male Supé­rieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon.

Pre­miers signataires

  • Bau­douin Jur­dant, Pro­fes­seur des Uni­ver­si­tés, Direc­teur du Centre de Recherche Inter­cul­tu­ra­li­té et Cir­cu­la­tion des Savoirs de l’U­ni­ver­si­té Paris VII
  • Phi­lippe Hert, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Pro­vence, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”.
  • Fabienne Galan­gau, (Maître de confé­rences, Muséum Natio­nal d’Histoire Natu­relle — Paris, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”)
  • Sophie Deshayes (doc­to­rante, ENS-lsh Lyon, membre du labo­ra­toire “Com­mu­ni­ca­tion, Culture et Société”)
  • Afi­fa Zena­ti (Char­gée de mis­sion à la direc­tion de la recherche de l’ENS-Lsh Lyon)
  • Thier­ry Lefebvre, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Paris VII, membre du CRICS
  • Lau­rence Allard, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té de Lille III
  • Agnès Camus, Cher­cheuse au Ser­vice Etudes et Recherches de la Biblio­thèque Publique d’Information
  • Sophie Béroud, Maître de confé­rences à l’U­ni­ver­si­té Lumière Lyon 2
  • Anne-Lise Tou­boul, Maître de confé­rences, Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Ber­nard Lami­zet, Pro­fes­seur, Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Oli­vier San­mar­tin, Maître de confé­rences, IUT de Tours
  • Claude Jamet, Maître de confé­rences, ICOM — Uni­ver­si­té Lumière Lyon 2
  • Daniel Dufourt, Pro­fes­seur, Ins­ti­tut d’E­tudes Poli­tiques — Uni­ver­si­té Lyon 2
  • Jean-Michel Ram­pon, Maître de confé­rences, Ins­ti­tut d’E­tudes Poli­tiques — Uni­ver­si­té Lyon 2
Igor Babou
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