Marseille, capitale culturelle sans les sciences ? Pour un sursaut de la communauté éducative en faveur de la culture scientifique et technique abandonnée.
Ecrit par Sophie Deshayes, 28 Jan 2008, 0 commentaire
Cet article a été publié dans une version courte dans Marseille Hebdo (le 26.12.07). Son auteur, Sophie Deshayes, le publie dans sa version originale sur Indiscipline. Nous faisons figurer un communiqué de presse de l’Assemblée Générale de l’association nationale La Réunion des CCSTI, en complément d’information.
Nous n’irons plus à l’Agora des sciences sur la Canebière. Marseille — 2ième ville de France — n’a donc plus de CCSTI.
En France, le réseau des Centres de Culture Scientifique Technique et Industrielle (CCSTI) est un dispositif éducatif et citoyen de portée nationale, soutenu par le Ministère de la Recherche et fédéré par une association assurant la cohérence et la pertinence du dispositif à l’échelle du territoire. A l’heure de la décentralisation culturelle, ce sont les instances régionales qui sont chargées d’assumer les prérogatives régaliennes de l’Etat en matière d’éducation à la culture scientifique et technique.
A Marseille, le CCSTI est pourtant mort dans la quasi indifférence générale : les marseillais – et en particulier les jeunes marseillais n’auraient-ils pas les mêmes besoins qu’ailleurs ?
Depuis sa création en 1985, son enracinement dans des locaux trop confidentiels et exigus rue Sylabelle, à son installation sur la Canebière pour un projet enfin redimensionné en Agora des Sciences, le CCSTI de Marseille a su prouver la pertinence de son existence. Ne serait-ce qu’à l’égard des enfants et des jeunes qu’il touchait, en particulier dans le cadre de visites scolaires mais pas seulement puisqu’il n’était pas rare que certains y reviennent en famille et que d’autres poussent la porte en curieux ou en familiers de lieux fréquentés à chaque nouvelle exposition.
Pour assurer sa mission de service public –et ce dans le cadre d’un contrat de plan Etat Région – le CCSTI de Marseille avait judicieusement misé sur le rayonnement de la culture scientifique et technique en libre accès et aux yeux de tous. La Canebière, à l’endroit même où les gens sont et vont, sur le chemin du travail, de l’école, des magasins, à portée des flâneurs et oisifs du quartier, celui du centre ville de Marseille qui n’est pas des plus riches. Ce bel emplacement est devenu très convoité : sur la Canebière, les travaux du tramway sont maintenant terminés – l’équipe du CCSTI aura elle aussi subi le chantier, confiante en un environnement à terme renouvelé – mais la Région y entend maintenant afficher sa présence d’une tout autre manière. Fini l’Agora des Sciences, l’espace rebaptisé « 61 La Canebière » devient l’agence Régionale de communication institutionnelle. Espace avec pignon sur rue et vitrines : c’est bien le rêve de tout bon publicitaire qui aujourd’hui paie cher l’affichage public (même si Decaux se débrouille ici comme ailleurs pour vendre de l’espace promotionnel à des tarifs avantageux). Voyez : « La Région investit ici », et sur le plan culturel, elle va jusqu’à organiser de magnifiques expositions : en ce moment même “César — Lucien Clergue — Niki de Saint-Phalle”. Bien qu’il n’y ait pas « de lien de travail direct entre ces 3 artistes », ils ont cependant en commun d’être des « proactifs » en matière de communication régionale : ces trois artistes exaltent « la force de Provence-Alpes-Côte d’Azur : sa lumière, ses couleurs, ses formes, sa diversité et son énergie (…) », nous dit-on. La Galerie du Conseil Régional située Porte d’Aix n’accueille-t-elle pas déjà ce type de manifestation ? Certaines de qualité d’ailleurs, et il n’y a évidemment pas lieu de revisiter le débat puéril qui opposerait culture scientifique et culture artistique. Mais la culture scientifique et technique dans tout ça ? L’éveil des plus jeunes au champ des savoirs et méthodes scientifiques, aux techniques, aux inventions, innovations, aux risques et enjeux de notre science en société ?
L’époque est ainsi, où l’on peut tout dire et faire son contraire : déplorer la crise des vocations scientifiques en France, le risque d’appauvrissement économique et culturel qu’un recul de la culture scientifique et technique engendre et dans le même temps abandonner les missions de service public d’éducation et de diffusion des sciences. Celles-ci sont bien inscrites aux programmes scolaires pourtant et les enseignants sont sommés d’utiliser toutes les ressources pédagogiques dont un état moderne dispose : manuels, documents audiovisuels, sites Internet, kits ou mallettes pédagogiques, musées et expositions …
A Marseille, il en manquera une, et d’excellence puisque la charte des CCSTI est fondée sur 30 ans d’expériences et d’innovations dans le champ de la vulgarisation scientifique né du mouvement de l’éducation populaire des années 70. Dans le sillage de la Cité des sciences de la Villette dont l’envergure appelle de larges dotations publiques, les CCSTI ont pour vocation d’essaimer en région où la culture scientifique et technique a aussi des résonances plus locales. Instruire, renseigner et questionner les choix scientifiques et techniques aux mains de décideurs locaux sont-elles des missions à nouveau inscrites dans le nouveau plan de Com’ du « 61 La Canebière » ? La logique de l’événementiel permettra-t-elle le temps de la réflexion ?
Depuis de nombreuses années, écoles, collèges et lycées travaillent avec les CCSTI : lieux ressources, lieu d’acculturation aux sciences et techniques, pour les enfants et aussi leurs enseignants citoyens qui tous n’ont pas la science infuse. La disparition de l’Agora des Sciences concerne tout autant la communauté éducative que la communauté culturelle : c’est ensemble, éducateurs des nouvelles générations que nous devrions d’urgence réagir pour exiger le maintien d’un niveau commun d’accès à la culture pour tous, d’une égalité de moyens pédagogiques culturels qui souffrent de cruelles carences à Marseille peut-être plus qu’ailleurs. Faudra-t-il attendre un flyer annonçant l’offre privée de formation du type « soutien scolaire : ateliers scientifiques, de la maternelle à la terminale » vendue à des parents légitimement soucieux que leurs enfants ne passent pas à côté, avec de beaux slogans du type : « payez leur le meilleur : parce que le goût des sciences s’apprend » ?
Communiqué de presse
Assemblée Générale de l’association nationale La Réunion des CCSTI (Centres de Culture scientifique, technique et industrielle) Le 30 Janvier 2008 à 18h CRDP – Salle Gassendi – 31 Bd d’Athènes – 13001 Marseille
Pourquoi faire disparaître le CCSTI de PACA ? (CCSTI – Agora des Sciences)
L’association La Réunion des CCSTI, centres de sciences dont le réseau maille le territoire national, organise son Assemblée générale ordinaire à Marseille, en soutien au CCSTI-Agora des Sciences, menacé de disparaître totalement à très brève échéance. Porteur du projet Agora des Sciences et soutenu dans le cadre du Contrat de Plan 2000–2006, le CCSTI Provence-Méditerranée change de nom fin 2002 et s’installe au 61 La Canebière, où, jusque mi-2007, dans le cadre de son activité intra-muros, il a proposé aux publics (130 000 visiteurs environ) 10 « saisons culturelles » (expositions, animations, rencontres…) autour des sciences et des technologies. L’Agora des Sciences a fermé ses portes au public l’été dernier et aujourd’hui, l’association, qui a dû licencier son personnel, poursuit, avec l’aide de quelques bénévoles, une activité de diffusion d’expositions et de malles itinérantes. Détenteur d’un patrimoine important, matériel (expositions, équipements d’exploitation et de production muséographiques) et immatériel (savoir-faire, fichiers et contacts dans les réseaux régionaux et nationaux), payé par l’argent public, le CCSTI souhaite reconstruire un nouveau projet associatif et partenarial. Pourtant, à l’heure où le Contrat de Projet Etat-Région 2007–2013 privilégie la mise en place d’une « agence » de coordination des structures et d’évaluation de la Culture scientifique régionale, on peut s’interroger sur la pérennité de missions de « services aux publics » prises en charge jusqu’ici par le CCSTI, comme dans les autres régions : coordination régionale d’événements comme la Fête de la Science, production et diffusion d’outils de médiation valorisant la recherche « en train de se faire » dans notre région, accueil des publics, animations auprès des scolaires, etc. Il est indispensable de conserver en PACA une structure associative offrant une culture scientifique de qualité et non partisane, un « carrefour des partenariats » apte à toucher tous les publics et à contribuer à éveiller les citoyens et futurs citoyens aux sciences dans la société. C’est pour réaffirmer cette nécessité, pour témoigner son soutien au CCSTI – Agora des Sciences et l’aider à trouver une solution, notamment pour préserver et valoriser son patrimoine que le réseau national La Réunion des CCSTI abordera ce point dans le cadre de son Assemblée Générale annuelle à Marseille ce mercredi 30 janvier à 18h.
Contacts : Louis Saint-Lèbe, président du CCSTI-Agora des Sciences : 06 07 42 93 27 Christine Welty, présidente de La Réunion des CCSTI : 06 60 75 76 33 Alain Tournier, trésorier de La Réunion des CCSTI : 06 08 34 77 63