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Projet d’Institut autonome des sciences humaines et sociales
6 février 2007 Projets
Je suis professeur des universités en Sciences de l'information et de la communication.

Je travaille sur les relations entre nature, savoirs et sociétés, sur la patrimonialisation de l'environnement, sur les discours à propos de sciences, ainsi que sur la communication dans les institutions du savoir et de la culture. Au plan théorique, je me situe à l'articulation du champ de l'ethnologie et de la sémiotique des discours.

Sinon, dans la "vraie vie", je fais aussi plein d'autres choses tout à fait contre productives et pas scientifiques du tout... mais ça, c'est pour la vraie vie !
Igor Babou
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Pour une structure d’enseignement et de recherche cohérente

Par Igor Babou , Joëlle Le Marec

Ce texte est en cours de rédac­tion : il s’inscrit dans une réflexion en cours. Les avis exté­rieurs sont les bienvenus !

L’enseignement supé­rieur et la recherche en sciences humaines et sociales tra­versent actuel­le­ment une crise très pro­fonde. Fon­da­men­ta­le­ment, cette crise n’est pas liée à un manque de moyens et encore moins à l’inadaptation des struc­tures au mar­ché. En réa­li­té, le pro­blème majeur que nous affron­tons quo­ti­dien­ne­ment, en tant que cher­cheurs, est celui de la perte de nos liber­tés : on assiste à l’assujettissement crois­sant de la recherche et de l’enseignement à des logiques éco­no­miques et poli­tiques, à une bureau­cra­ti­sa­tion effré­née, à une obses­sion pour l’évaluation et la pro­duc­ti­vi­té et à une uni­for­mi­sa­tion des struc­tures, des for­mats et des tem­po­ra­li­tés de la recherche. Ces évo­lu­tions sont évi­dem­ment incom­pa­tibles avec l’esprit des Lumières ain­si qu’avec les aspi­ra­tions expri­mées par le public. Celui-ci conti­nue en effet à sou­te­nir une vision géné­reuse de la science et s’inquiète de sa dépen­dance à des inté­rêts contraires au bien-être col­lec­tif de l’humanité.

Nous nous fon­dons sur la néces­si­té, recon­nue y com­pris par les ins­tances aca­dé­miques et poli­tiques, de main­te­nir une diver­si­té de para­digmes et de modes de pro­duc­tion et de trans­mis­sion, pour pro­po­ser une asso­cia­tion, une struc­ture dont le mode d’organisation et de fonc­tion­ne­ment soient la simple mise en œuvre des prin­cipes de liber­té et d’indépendance, de créa­ti­vi­té et de concen­tra­tion, de fra­ter­ni­té et de soli­da­ri­té, prin­cipes aujourd’hui rem­pla­cés par les mots d’ordre de ratio­na­li­sa­tion, pro­duc­ti­vi­té, concur­rence et compétitivité.

Nous nous fon­dons sur l’exigence abso­lue pour toute socié­té de main­te­nir les condi­tions d’une cri­tique et d’une réflexi­vi­té dont la dis­pa­ri­tion est extrê­me­ment dan­ge­reuse : car une socié­té qui se refuse à la cri­tique et à la réflexi­vi­té est une socié­té qui court le risque de plon­ger dans la bar­ba­rie, l’Histoire récente nous a don­né bien des exemples de ces catastrophes.

Nous sommes atta­chés au pro­jet des Lumières d’un savoir indé­pen­dant des pou­voirs et visant la « sor­tie de l’homme de sa mino­ri­té dont il est lui-même res­pon­sable », pour reprendre la for­mule bien connue de Kant, mais nous ne pou­vons igno­rer l’état éco­lo­gique catas­tro­phique de la pla­nète à laquelle le pro­jet de ratio­na­li­sa­tion des Lumières nous a conduit en ne consi­dé­rant la nature que sous l’angle d’une res­source à exploi­ter. Nous ne pou­vons igno­rer à quel point les sciences humaines et sociales, au même titre que les sciences de la nature, ont été res­pon­sables de cette inver­sion de la Rai­son qui, gui­dée par le mythe du Pro­grès, a fini par trans­po­ser la domi­na­tion de la nature en domi­na­tion des hommes et des socié­tés, et cela au sein même des ins­ti­tu­tions du savoir. Notre ambi­tion est de reve­nir à la Rai­son au sein même des pra­tiques quo­ti­diennes de la recherche et de l’enseignement supé­rieur : c’est pour­quoi nous reven­di­quons dans notre pro­po­si­tion à la suite de Mar­cuse, des cri­tères de ratio­na­li­té dont la réa­li­sa­tion « offre une plus grande chance de suc­cès pour la paci­fi­ca­tion de l’existence, à l’intérieur d’un cadre ins­ti­tu­tion­nel qui favo­rise mieux le déve­lop­pe­ment des besoins et des facul­tés humaines ».

Com­ment faire concrè­te­ment lorsqu’il semble que chaque jour les nou­velles moda­li­tés d’exercice de notre métier d’enseignant-chercheur consistent à nous trans­for­mer en agents de la des­truc­tion des valeurs qui le fon­daient. Nous avons héri­té d’un patri­moine d’institutions que nous sommes chaque jour ame­nés à vider de leur dimen­sion ins­ti­tu­tion­nelle au nom d’un rai­son­ne­ment dont nous savons déjà qu’il va nous pié­ger : il vau­drait tou­jours mieux res­ter dans un sys­tème pour l’infléchir plu­tôt que d’en sor­tir. Nous sommes ame­nés à ins­tru­men­ta­li­ser nos ins­ti­tu­tions pour leur propre des­truc­tion parce que nous vivons une crise majeure du don et de la transmission.

Nous ne pour­sui­vrons pas plus long­temps car les constats ont été effec­tuées et publiées, les alertes lan­cées, et l’expérience montre hélas que toute ana­lyse, si inat­ta­quable soit-elle, ne per­met jamais de faire chan­ger le cours des choses par elle-même.

C’est pour­quoi nous pen­sons que le moment est venu de sor­tir des cadres actuels. Nous ne pou­vons plus agir de façons inter­sti­tielle, dans le rat­tra­page, dans l’infléchissement, la perte de concen­tra­tion, la méfiance, l’indignité.

Ain­si, nous pro­po­sons la créa­tion d’une asso­cia­tion, un Ins­ti­tut auto­nome des sciences humaines et sociales, dont le fonc­tion­ne­ment s’appuie sur quelques prin­cipes simples de cohé­rence, de liber­té, de rigueur, de fra­ter­ni­té, dont on pour­rait pen­ser qu’ils sont consen­suels, mais qui n’inspirent plus guère les modes de struc­tu­ra­tion de la recherche et de l’enseignement.

L’Institut est une struc­ture mineure : il n’a pas pour voca­tion l’expérimentation d’un modèle qu’il s’agirait de tes­ter ou de déve­lop­per. Il n’a pas pour voca­tion à com­mu­ni­quer sur l’excellence de ses résul­tats ou convaincre de son effi­ca­ci­té. L’enjeu est uni­que­ment la créa­tion d’un espace pro­té­gée – une réserve – suite au constat que la situa­tion géné­rale est trop dégra­dée, mais qu’il est encore légi­time de reven­di­quer une diver­si­té des pra­tiques d’enseignements et de recherche, au nom d’une éco­lo­gie cultu­relle et intel­lec­tuelle. L’enjeu est de per­mettre que sub­sistent dans cet espace pro­té­gé des condi­tions qui sont néces­saires, au moins à cer­tain type d’enseignants-chercheurs, pour don­ner la pleine mesure de leur ambi­tion scien­ti­fiques et de leurs pos­si­bi­li­tés de tra­vail. Il n’est en effet plus rare d’entendre des cher­cheurs de pre­mier plan, actuel­le­ment en fin de car­rière, s’inquiéter de la dis­pa­ri­tion des condi­tions qui leur ont per­mis de contri­buer signi­fi­ca­ti­ve­ment à la com­pré­hen­sion des phé­no­mènes cultu­rels et sociaux.

Le coût de créa­tion de la struc­ture et son coût de fonc­tion­ne­ment sont minimes : : nous sommes fonc­tion­naires de l’Etat, à ce titre, nous sommes à l’abri du besoin et n’en sommes que plus rede­vables à la socié­té de la liber­té intel­lec­tuelle qu’elle nous accorde. C’est de l’usage de cette liber­té que nous sommes comp­tables, et non de celui de nos salaires. Quand cette liber­té est mena­cée par les struc­tures mêmes qui orga­nisent notre tra­vail notre devoir de cher­cheurs est de défendre les prin­cipes et les valeurs pour les­quels nous nous sommes enga­gés, dont nous avons héri­té, et que nous devons transmettre.

Les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut auto­nome sont les suivants :

– L’Institut est consti­tué sur la base d’une asso­cia­tion Loi de 1901.

– L’Institut est auto­fi­nan­cé par la contri­bu­tion de ses membres, sur la base d’une dona­tion obli­ga­toire d’1/10ème du salaire de chaque ensei­gnant-cher­cheur par mois.

– La répar­ti­tion des bud­gets pour les opé­ra­tions de recherche est éga­li­taire : une fois reti­ré du bud­get glo­bal de l’Institut tout ce qui concerne les frais de fonc­tion­ne­ment col­lec­tifs, chaque cher­cheur confir­mé peut uti­li­ser la somme res­tante divi­sée par le nombre de cher­cheurs confir­més en acti­vi­té au sein de l’Institut.

– L’Institut a pour unique objec­tif la pro­duc­tion, l’enseignement et la dif­fu­sion publique de connais­sances ori­gi­nales dans le domaine de l’analyse des pro­ces­sus his­to­riques, sociaux et sémio­tiques, ain­si que de l’ensemble des pra­tiques, acteurs, repré­sen­ta­tions et ins­ti­tu­tions consti­tuant ces pro­ces­sus. Il n’est au ser­vice d’aucun Etat, d’aucune entre­prise, d’aucune col­lec­ti­vi­té ou groupe d’intérêt public ou pri­vé. Il a pour objec­tif de pro­duire un savoir sur la socié­té, ancré sur une réflexion théo­rique et des approches empi­riques vali­dées par une com­mu­nau­té de pairs s’engageant à res­pec­ter les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut.

– Les membres de l’Institut orga­nisent leur tra­vail en totale liber­té : les choix de mener des tra­vaux indi­vi­duel­le­ment ou col­lec­ti­ve­ment, les manières de les mener, les rythmes et les formes de la publi­ca­tion, sont liés aux néces­si­tés des recherches elles-mêmes. L’Institut rend public annuel­le­ment un compte-ren­du de ses acti­vi­tés, tra­vaux et résultats.

– Les membres de l’Institut sont libres et égaux en droits : ils ne recon­naissent aucun rap­port hié­rar­chique ni entre eux, ni entre les dis­ci­plines dont ils sont ori­gi­naires et dont ils s’engagent à aban­don­ner la reven­di­ca­tion à la fois dans leurs écrits et dans leurs actes quo­ti­diens au sein de l’Institut. Les grades, fonc­tions, res­pon­sa­bi­li­tés et légi­ti­mi­tés acquises à l’extérieur de l’Institut par ses membres n’ont aucune valeur en son sein.

- L’Institut fonc­tionne sur un prin­cipe de démo­cra­tie directe et col­lé­giale : l’ensemble des membres siège au conseil de déci­sion. Ce der­nier éla­bore ou modi­fie ses règles de fonc­tion­ne­ment sur la base de réunions régu­lières entre l’ensemble de ses membres.

– Chaque cher­cheur d’Institut dis­pose d’une voix. Les doc­to­rants en votent pas mais par­ti­cipent aux réunions. Les prin­cipes fon­da­teurs de l’Institut ne peuvent être modi­fiés en aucune manière : les déci­sions mises au vote ne peuvent concer­ner que les règles et pro­cé­dures d’application de ces prin­cipes, et non ces prin­cipes eux-mêmes.

- Le nombre des adhé­sions est limi­té de façon à ce que le nombre des membres per­mette le fonc­tion­ne­ment de l’Institut sur les bases ain­si défi­nies. Au cas où le nombre des membres attein­drait un seuil au-delà duquel il ne serait plus pos­sible d’en assu­rer le fonc­tion­ne­ment entiè­re­ment col­lé­gial, il appar­tien­drait aux nou­veaux can­di­dats de ten­ter de recréer un nou­vel Ins­ti­tut Autonome.

– L’Institut n’est com­po­sé que de deux types de cher­cheurs : les cher­cheurs confir­més (qui dis­posent d’un doc­to­rat et/ou d’une habi­li­ta­tion à diri­ger des recherches, et qui sont rému­né­rés par un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur et de recherche) et les doc­to­rants (qui s’inscrivent dans l’université de rat­ta­che­ment de leur direc­teur). Il n’emploie ni secré­ta­riat, ni agent comp­table, ni admi­nis­tra­teur : chaque cher­cheur confir­mé devra accom­plir sa part de charges orga­ni­sa­tion­nelles direc­te­ment. Les doc­to­rants se consacrent uni­que­ment à l’avancement de leur tra­vail de recherche.

– Les membres de l’Institut ont une obli­ga­tion d’enseignements et les cours dis­pen­sés sont d’accès libre et gratuits.

– L’aide deman­dé aux pou­voirs publics pour la créa­tion de l’Institut est la sui­vante : les ins­tances dont dépendent les cher­cheurs et ensei­gnants-cher­cheurs membres acceptent l’adhésion du membre à l’Institut. L’effort consen­ti équi­vaut à mettre à dis­po­si­tion d’une struc­ture un agent et son salaire.

– L’Institut ne demande aucune autre aide. Il accepte les dons et sub­ven­tions éven­tuelles sans les solliciter.

– Les ensei­gnants-cher­cheurs membres de l’Institut y mènent leur recherche et leur ensei­gne­ment à plein temps. Ils n’exercent plus leurs acti­vi­tés et res­pon­sa­bi­li­tés au sein de leurs anciens laboratoires.

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"10" Comments
  1. Bon­jour,

    quel souffle, quel élan et quelle cohé­rence, bravo.

    L’esprit géné­ral me fait pen­ser à une ana­lyse de l’évolution de l’enseignement supé­rieur dans les années… 1960 par Oskar Negt, dont je viens de publier les écrits en fran­çais (L’espace public oppo­si­tion­nel, Payot, 2007).

    Une remarque cepen­dant : étant rému­né­ré comme cher­cheur contrac­tuel pour les acti­vi­tés que je mène au sein du labo, je ne sau­rais me consa­crer entiè­re­ment aux acti­vi­tés d’un ins­ti­tut auto­nome, à moins de ris­quer un licen­cie­ment rapide…

    Votre démarche ne prend peut-être pas suf­fi­sam­ment en compte l’état de pré­ca­ri­sa­tion du métier, même si la défi­ni­tion du cher­cheur confir­mé ne suit pas la sépa­ra­tion admi­nis­tra­tive titu­laires / doc­teurs etc. Je vous invite ami­ca­le­ment à repen­ser votre concep­tion pro­met­teuse en fonc­tion de ce phénomène.

    Cor­dia­le­ment, Alexan­der Neu­mann, char­gé de recherche post-doc et …

    redac­teur en chef de Varia­tions — revue inter­na­tio­nale de théo­rie critique.

    • Mer­ci pour vos encou­ra­ge­ments et votre remarque, qui est tout à fait légi­time. Nous avons rai­son­né à par­tir de nos pra­tiques de cher­cheurs sta­tu­taires, sans tenir compte des contrac­tuels de recherche. Mais c’est bien là l’intérêt de dis­cu­ter de ce texte, qui n’est vrai­ment qu’un pre­mier jet. Si vous avez une idée pour aller dans le sens défi­ni par ce pro­jet tout en inté­grant mieux les autres pro­fils de cher­cheurs pou­vant être inté­res­sés, n’hésitez sur­tout pas !

    • Mer­ci à vous ! Je ne connais­sais pas Oskar Negt mais je ne vais pas tar­der à connaître Je com­prends bien la remarque, et elle est d’autant plus inté­res­sante qu’elle pos­tule la pos­si­bi­li­té pour l’Institut d’être une struc­ture empi­rique effec­tive fonc­tion­nant à par­tir des volon­tés exis­tantes. Or ce pas­sage d’un ensemble de prin­cipes à la pro­po­si­tion effec­tive reste à faire. C’est une étape dif­fi­cile parce que dans le contexte actuel, nous avons envie de sen­tir jusqu’à quel point on a (encore) envie de par­ta­ger des prin­cipes fermes, pas des “hori­zons”.

  2. Allé­chant. Néan­moins, quitte à viser une orga­ni­sa­tion liber­taire, pour­quoi s’arrêter en si bon chemin :
    — le titre de doc­teur confé­ré par l’État n’est qu’un filtre, un garant de la repro­duc­tion des élites ; l’adopter comme cri­tère pour les membres revient à replan­ter le germe de l’inégalité pro­duite par l’université institutionnelle ;
    — « nous sommes des fonc­tion­naires » ? tant mieux pour vous, mais ce n’est ni le cas ni le sou­hait de tous.
    — pour­quoi se par­quer dans une « réserve » pour cher­cheurs confir­més, quant on peut adop­ter le prin­cipe de l’accès pour qui le sou­haite à l’enseignement et à la recherche ? L’émancipation ne se réa­lise que par l’échange libé­ré du conven­tion­nel et de l’institutionnel.
    — la démo­cra­tie, même directe, peut tou­jours cacher une oli­gar­chie : pour­quoi le vote est-il réser­vé aux cher­cheurs, et reti­ré aux doc­to­rants ? Une vieille manie sans doute … Avec tout mon intérêt.

  3. Je vous réponds à titre per­son­nel, et lais­se­rai mes amis indis­ci­pli­nés don­ner leur avis s’ils le souhaitent.

    Allé­chant. Néan­moins, quitte à viser une orga­ni­sa­tion liber­taire, pour­quoi s’arrêter en si bon chemin :

    Je ne pense pas que nous envi­sa­gions d’être (ni de deve­nir) une orga­ni­sa­tion “liber­taire”. Sur­tout si par “liber­taire” on entend absence de règle, ce qui est trop sou­vent le cas, et ne cor­res­pond pas à ce que j’imagine d’un véri­table esprit liber­taire, qui est plu­tôt celui d’une éla­bo­ra­tion conti­nue et col­lec­tive des règles de fonc­tion­ne­ment du col­lec­tif. Notre visée (du moins la mienne) est celle de la recherche et de l’enseignement, celle du savoir, qui est, ou devrait être, “auto­nome” plus que “liber­taire”. En ce sens, ce sont plus les Lumières qui nous servent de fon­de­ment idéo­lo­gique, moyen­nant quelques cri­tiques (notam­ment en ce qui concerne le rap­port à la nature).

    le titre de doc­teur confé­ré par l’État n’est qu’un filtre, un garant de la repro­duc­tion des élites ; l’adopter comme cri­tère pour les membres revient à replan­ter le germe de l’inégalité pro­duite par l’université institutionnelle ;

    Dans ce cas là, pour­quoi faites vous une thèse à l’EPHE ?

    Le titre de doc­teur n’est pas “que” un filtre, et encore moins un “garant de la repro­duc­tion des élites”. Bien au contraire. Il cor­res­pond, si on oublie un peu l’Etat qui le délivre (ou plu­tôt l’université… si on pou­vait avoir un peu plus d’Etat et un peu moins de libé­ra­lisme suite à la LRU, on se por­te­rait sans doute mieux.…), à un tra­vail intel­lec­tuel signi­fiant que celui qui l’a accom­pli a réus­si à dépas­ser, dans un sec­teur déli­mi­té du réel, ses propres pré­ju­gés. A se libé­rer de la tutelle du “don­né”, des fausses évi­dences. Que ce soit l’Etat qui confère ce titre ren­voie à l’histoire des sciences qui est insé­pa­rable d’une concep­tion de l’Etat “pro­vi­dence” (cf. Bacon) comme garant d’une équi­té sur un ter­ri­toire et de la per­en­ni­sa­tion des struc­tures per­met­tant à une pen­sée auto­nome et libé­rée des puis­sances de l’argent et de la reli­gion de se déployer. Que l’Etat ait man­qué à cette mis­sion, qui est avant tout une uto­pie, est dif­fé­rent de la nature même de cette mis­sion, qui me paraît tou­jours aus­si res­pec­table. Peut-être fau­drait-il rap­pe­ler plus sou­vent que les ins­ti­tu­tions sont issues de la révo­lu­tion et de l’énorme tra­vail d’émancipation de la pen­sée pro­duit dès le XVIIème siècle, et pas seule­ment un espace de coer­ci­sion comme les années 60 à 70 se sont plues à le défi­nir. Si vous vou­lez aller jusqu’au bout de votre cri­tique, alors il fau­drait rap­pe­ler que le titre de doc­teur était déjà déli­vré au moyen âge par les facul­tés de théo­lo­gie, et non par l’Etat républicain.

    Quant à la repro­duc­tion, je pré­fère celle des pairs s’organisant col­lec­ti­ve­ment et en public à par­tir de règles expli­cites à celle de la jungle du mar­ché et des cer­ti­fi­ca­tions Micro­soft, ou à la concep­tion sar­ko­zyste du droit du Prince implan­tée dans la LRU

    « nous sommes des fonc­tion­naires » ? tant mieux pour vous, mais ce n’est ni le cas ni le sou­hait de tous.

    Certes, mais nous, nous le sommes, et n’en avons pas honte et pour le moment, depuis le lan­ce­ment de cette idée d’institut, seuls d’horribles fonc­tion­naires ont mon­tré leur inté­rêt actif et régu­lier. Donc, on construi­ra avec qui sera là, pour nous-mêmes. Ensuite on par­ta­ge­ra une pro­po­si­tion, en espé­rant qu’elle inté­resse. Mais on peut bien enten­du ima­gi­ner des solu­tions pour des membres non fonctionnaires.

    pour­quoi se par­quer dans une « réserve » pour cher­cheurs confir­més, quant on peut adop­ter le prin­cipe de l’accès pour qui le sou­haite à l’enseignement et à la recherche ? (…)

    J’assume la dis­tinc­tion entre cher­cheurs confir­més et cher­cheurs débu­tants. Elle est inhé­rente à l’idée même de savoir, c’est à dire de quelque chose qui dépend d’un dépla­ce­ment intel­lec­tuel, d’un appren­tis­sage, de la figure du “maître” (ou du guide, du conseiller, du tuteur, si vous pré­fé­rez. D’ailleurs, même dans les com­mu­nau­tés anar, il y a des anars confir­més, et des anars débu­tants, et les légi­ti­mi­tés n’ont cer­tai­ne­ment pas dis­pa­ru dans les milieux dits “anti-auto­ri­taires” : elles se déplacent, mais ne dis­pa­raissent jamais…). Si on sup­pri­mait cette disc­tinc­tion pour le savoir, on se trou­ve­rait vite au café du com­merce, non ? L’obscurantisme libé­ral n’est fait que de ça : du refus de tenir compte de la dif­fé­rence de sta­tut cog­ni­tif entre ceux qui tentent de dépas­ser leurs pré­ju­gés sur un domaine et de construire une pen­sée orga­ni­sée à par­tir d’un tra­vail valant “plus” que le fait de n’avoir rien fait ni rien sou­te­nu publi­que­ment dans un envi­ron­ne­ment de pairs, et d’autre part ceux qui pré­tendent que tout se vaut, que le savoir est à celui qui parle le plus fort ou qu’il ne doit pas être confié à des comm­nu­nau­tés qui s’y dédient corps et âme.

    En fait, nous sommes des clas­siques, et moi je suis fon­da­men­ta­le­ment bache­lar­dien : je pense que la vraie révo­lu­tion, c’est d’être classique.

    Ensuite, il y a des condi­tions pra­tiques : il ne s’agit pas de recons­ti­tuer l’université. Des vies entières d’indisciplinés n’y suf­fi­raient pas ! Et encore une fois, si cer­tains veulent s’impliquer dans l’enseignement ouvert à tous, par­fait, mais pour le moment, nous ne sommes pas assez nom­breux. Enfin, il existe déjà des uni­ver­si­tés popu­laires. Notre pro­pos est plus situé en direc­tion de l’enseignement doc­to­ral. Mais bon, sans dog­ma­tisme non plus !

    Cor­dia­le­ment

  4. J’oubliais votre der­nière remarque :

    La démo­cra­tie, même directe, peut tou­jours cacher une oli­gar­chie : pour­quoi le vote est-il réser­vé aux cher­cheurs, et reti­ré aux doc­to­rants ? Une vieille manie sans doute … Avec tout mon intérêt.

    Dans les labos, les doc­to­rants ont le droit de vote (disons, dans les gros labos très struc­tu­rés) : vous avez l’impression d’une bonne démo­cra­tie ? Rien à voir en ce qui me concerne avec des habi­tudes man­da­ri­nales : d’ailleurs, si nous n’avions que ce type d’habitude et d’enjeux, nous nous conten­te­rions de nos car­rières aca­dé­miques… sans nous com­pli­quer la vie avec un Ins­ti­tut Auto­nome ! Sinon, on aime­rait bien que les doc­to­rants vivent dans l’espace idéal du savoir sans avoir d’autres contraintes que l’élaboration d’une bonne thèse. Si on com­mence à dis­tri­buer des res­pon­sa­bi­li­tés admi­nis­tra­tives aux doc­to­rants, alors on recons­ti­tue l’université telle qu’elle est, je le crains. Mais je pense qu’il faut qu’on en dis­cute, effec­ti­ve­ment. Je pense que le fon­de­ment de cette idée, c’est qu’on ne veut pas re-créer l’université mais créer un espace spé­ci­fique dôté de règles spé­ci­fiques. Tiens, une méta­phore : un café n’est pas une démo­cra­tie. Dans le sens où, quand on rentre dans un café, on dis­cute avec des gens, on boit des coups, mais on ne vote pas pour chan­ger la déco­ra­tion du bar. Avec notre ins­ti­tut, c’est un peu la même chose : on veut d’abord réa­li­ser la déco à notre goût avant de la mettre au vote…

  5. Mer­ci Nico­las pour ce com­men­taire, j’ai lu les réponses d’Igor et je réponds à mon tour. J’avais l’idée de l’Institut Auto­nome à un moment où je me deman­dais com­ment on pou­vait main­te­nir l’institution (dans le sens volon­ta­riste qui a pris corps à la Révo­lu­tion, mais qui est aus­si le sens anthro­po­lo­gique) contre les éta­blis­se­ments pro­fes­sion­nel­le­ment gérés qui aujourd’hui l’ont absor­bée. Pour­quoi le besoin d’imaginer main­te­nir l’Institution ? parce que je ne vois rien de plus fort : les prin­cipes sont là, on n’a jamais réus­si pour le moment à aller au bout de leur logique. Ça coïn­ci­dait avec l’envie d’Igor d’une sor­tie des cadres : la plu­part des mou­ve­ments de contes­ta­tion se font dans les cadres exis­tant sur le monde “on n’est pas contre la néces­si­té de réfor­mer mais il faut de la concer­ta­tion”. D’où l’Institut : au fond, l’idée d’institution appar­tient à tous, mais ce n’est qu’en reve­nant à l’échelle de petits col­lec­tifs qu’on peut vrai­ment s’en empa­rer dans ce qu’elle a d’intéressant, et de tou­jours révo­lu­tion­naire. Je ne suis pas contre les “réserves” et les clô­tures d’ailleurs : l’idéal de la fin des fron­tières, de l’ouverture totale, est un idéal de domi­nant. Mais par contre, il ne s’agit pas de s’enfermer entre cher­cheurs confir­més, mais de se créer un espace, entre indi­vi­dus qui ne sont pas liés par un “niveau” ou un sta­tut mais tout autre chose, une vision com­mune la recherche et l’enseignement. En effet on est fonc­tion­naires et c’est ce qui a ins­pi­ré l’idée du fonc­tion­ne­ment de l’Institut. Main­te­nant si l’idée inté­resse vrai­ment des per­sonnes qui n’ont pas leur sub­ven­tion men­suelle à redis­tri­buer, alors il faut réfléchir.

  6. PS (jan­vier 2015) : cette dis­cus­sion ne se déroule évi­dem­ment pas entre moi, moi et moi !  Je ne com­prends pas pour­quoi, mais les noms des com­men­ta­teurs (qui appa­raissent par­fois en signa­ture) ont tous été rem­pla­cés par le logi­ciel par le mien lors d’une mise à jour du site. Désolé…

  7. Oui ça fai­sait un peu sur­réa­liste de prime abord, rire.

    Mais après deux minutes on finis­sait par com­prendre que sous votre signa­ture c’é­tait en réa­li­té d’autres qui s’exprimaient.

    • Ouf ! Je n’ai pas com­pris ce qui s’est pas­sé, mais si on com­prend que je ne passe pas mon temps devant un miroir, ça me ras­sure :mrgreen: Joëlle Le Marec aus­si a vu son nom dis­pa­raître sous le mien, c’est dingue le révi­sion­nisme his­to­rique de ce site !

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