En vrac. Pas d’ironie svp, je débute.
Un préambule un peu long pour expliquer notre démarche.
Nous sommes une compagnie d’écriture et de danse contemporaine, nous produisons des spectacles et animons des ateliers de médiation culturelle en direction de publics divers.
Dans ces ateliers, nous intervenons sur les mots et les émotions : ressentis, pensés, parlés et écrits et l’interaction entre ces expressions du vécu. Démonter une signification acceptée et la remonter différemment, réaliser que les mots parlés pour décrire une situation ou une émotion deviennent les mots avec lesquels on pense et avec lesquels on échange. Réaliser également que nous employons des mots qui nous sont fournis, pas ceux que nous utiliserions si nous avions une autonomie de pensée.
La création de nos spectacles repose sur un parti-pris simple : ne pas faire de spectacle que les enfants que nous avons été ne puissent comprendre grâce à une au moins des deux formes d’intelligence, la cérébrale et la sensible.
Maintenant, le vif.
La masse salariale des activités culturelles se répartit entre les administratifs et la création/médiation. Rapport grosso merdo de 90% pour l’administration et de 10% pour la création !
La variable d’ajustement des budgets culturels est représentée par les artistes et techniciens du spectacle (intermittents). Les Drac et autres “tutelles financières” ont des budgets de fonctionnement environ 10 fois supérieurs aux subventions qu’ils distribuent.
Ce n’est que l’aspect économique.
Le pire est dans l’aspect culture pour tous : on nous conseille de favoriser l’émergence de cultures les plus diverses possibles, mais en respectant une hiérarchie : les créations d’excellence, pour les lieux d’excellence tels que les théâtres subventionnés, et d’autres, que j’appelle créations de médiocrité, pour les lieux médiocres. Voilà la situation de la culture en France, et ce, depuis l’abandon de l’Éducation Populaire et la création du ministère de la culture.
Nous croyons que la Culture est Une, jamais plurielle. Accepter une hiérarchie, c’est condamner le peuple aux spectacles de qualité inférieure. C’est le but de la culture telle qu’elle a été mise en place par les gouvernements depuis 1960. La Culture est dangereuse pour les pouvoirs, ce sont les artistes qu’on enferme ou qu’on tue dans les dictatures.
Les fractures sociales sont provoquées par les fractures culturelles.
Je pose mes définitions :
‑L’éducation est ce qui nous permet d’évoluer à l’intérieur d’une société.
‑L’érudition, ou savoir, nous donne la possibilité de nous acquitter de certaines tâches avec le maximum d’efficacité.
‑La culture nous donne la possibilité de comprendre notre environnement et son évolution apparente : elle constitue l’enveloppe des deux précédentes.
‑L’acte créatif est une réponse à un inconfort, matériel ou spirituel qui n’était pas ressenti comme tel auparavant.
Le chemin le plus souvent emprunté est celui qui partant du mot “culture” nous mène en réalité à “ensemble de comportements”. Apparaissent des locutions du genre “culture populaire’ et même “culture religieuse”. Ce qui à tout le moins, pour moi, constitue un abus de langage.
Toutes ces “cultures” sont des comportements ritualisés par un groupe donné en un temps donné et devraient plutôt être nommés “expression”, “comportement”, “convention”, car elles n’ont pas ce caractère intemporel qui fait qu’une poterie chinoise ou une peinture rupestre saute les siècles et les civilisations pour toucher notre sens du beau.
La plupart des réflexions conduites à propos de la culture posent que celle ci est appuyée sur l’acte créatif ou que l’acte créatif est à l’origine de la culture.
Mon opinion sur l’émergence du fait culturel.
Le besoin culturel peut être ressenti lorsque la survie est assurée. Ce qui implique l’existence d’une société, au moins dans sa forme la plus simple. A ce stade de l’histoire, certains choix de comportements ont déjà été adoptés, même à tort du moment qu’ils se révélaient utiles ou nécessaires. Les comportements sociaux de récompense ou de punition, de pouvoir ou de sujétion se mettaient en place. L’éducation avait fait son travail de cohésion, l’érudition, son travail de hiérarchisation professionnelle, les comportements étaient codifiés mais soumis à révision : la niche de la culture pouvait trouver sa place dans la société humaine.
A partir du moment où l’esprit humain n’était plus en permanence sollicité par les problèmes de survie, il pouvait trouver le“temps des questions” dont les réponses sont à l’origine de la culture.
Ces réponses sont examinées et validées ou non par les générations successives, sans limitation de la durée de l’examen. Certaines sont ” vraies” immédiatement et le restent (comme les peintures rupestres), elles entrent dans ce que j’appelle culture. D’autres, par contre, demandent plus de temps pour l’examen, mais finissent par être réfutées (comme les sacrifices humains), elles sont à ranger dans les comportements.
Le résultat de cet examen, séculaire, millénaire, est notre culture.
Un acte créatif n’est pas culturel par le fait qu’il est admis comme tel par les membres d’une société, pas plus qu’un mensonge accepté par une majorité ne devient une vérité.
L’acte créateur d’une religion sanguinaire ou des navrantes majorettes n’est que la mauvaise réponse à une question, limitée par la paresse. Que cette question soit plus vaste dans sa formulation, et la réponse (qui sera plus complexe), sera plus juste.
En raccourci, les premiers millénaires.
La vie en tribus errantes, imposée par la reproduction et la durée de maturation des petits humains, acheminent notre espèce vers des comportements qui s’éloignent de plus en plus de la Nature. Prédateur s’il en est, l’humain chasse en meute, devient animal social et adopte le partage des tâches. Le langage articulé vient et permet, dans un premier temps, les échanges sur le concret puis sur l’abstrait.
Ces comportements, tant qu’ils n’entravent pas la survie de la tribu, sont acceptés comme positifs. Profitant du fait que l’abstrait prenait de plus en plus de place dans la réflexion, certains manipulateurs de concepts, revenant à leur Nature égoïste, entreprirent d’élargir les tribus, les sédentarisèrent tout en inventant une hiérarchie dans le partage du travail : classes de prêtres, de nobles et différents niveaux de plèbe. Chez certains plébéiens privilégiés, se développa une faculté rare : faire naître le beau grâce à un talent particulier. Les manipulateurs de concepts les embauchèrent, les protégèrent et leur firent produire des œuvres à la gloire desdits concepts.
L’artiste est né. La Culture peut éclore
Petit à petit, les artistes arrivèrent à trouver le temps d’explorer d’autres sources que celle de leurs maîtres, en Europe, ce fut la Renaissance. Les maîtres rechignèrent devant cette intention d’autonomie et ce fut le Grand Siècle. Puis, avec la Révolution Française, la classe plébéienne s’élargit et la frontière entre les classes devint une frange dégradée aux bords indiscernables. Héritage de l’ancien régime, l’Art fut ” kidnappé ” par la nouvelle classe dirigeante qui donna le pouvoir à la grande bourgeoisie. Cette grande bourgeoisie savait, pour être passée par là, que la Culture pouvait mener à l’autonomie de pensée, voire à l’harmonie, sapant leur statut. Ils trouvèrent la parade : muselés, les artistes devinrent en majorité des artistes gouvernementaux. Ceux de la minorité ne furent reconnus qu’à leur mort.
Sautons plusieurs pages et arrivons à l’époque contemporaine.
La Nature reprend le dessus, les prédateurs égoïstes reviennent sur le devant de la scène…
La démocratisation de la culture s’est souvent faite d’une façon telle que les résultats en ont déçus les initiateurs. Pour la diffusion de la culture, je ne sais que trois voies possibles:
‑La première procède de l’imprégnation, par la “naissance”. Pour le bénéficiaire, elle va de soi.
‑La seconde, plus commune, nécessite la participation de missionnaires, d’éducateurs.
‑La troisième, moins connue, est l’appropriation d’un patrimoine auquel “on” n’a pas droit.
Transmission héréditaire, Distribution, Vol : Trois mécanismes d’acquisition que l’on retrouve dans tous les moyens de diffusion et d’acquisition des biens, qu’ils soient matériels ou non.
La Transmission se révèle avoir un excellent rendement. Les bénéficiaires peuvent en critiquer les modalités, ils en acceptent les avantages.
La Distribution n’a de limites que celles des “missionnaires”. Celles ci sont, hélas, vite atteintes.
Le Vol n’est pas compris, pas étudié. C’est à dessein que j’emploie le mot “vol”, car les bénéficiaires s’emploient bien vite à le légaliser, le “blanchir”.
C’est un peu le bordel, mais je demande de l’aide pour corriger, élargir, rétrécir ou annuler les éléments discutables.
Et ils le sont tous.