Les éditions Textuel ont publié récemment :
« Discriminations : contre la glottophobie » de Philippe Blanchet.
Ce petit ouvrage est une intervention de sociolinguiste dans l’espace public.
La sociolinguistique n’est pas une discipline très médiatisée, même si certains auteurs, ou certaines auteures, Marina Yaguello par exemple, ont su questionner dans des petits bouquins bien ciblés les paradoxes de la question du genre dans les usages langagiers.
Philippe Blanchet prend pour objet « la glottophobie » . Une X‑phobie de plus ? Posant autant de problèmes de définition que certaines autres ? Je ne crois pas.
Il s’agit de la « discrimination par la langue ».
Blanchet balaie sans difficulté les habituels sophismes qui défendent les « discriminations » par le fait qu’elles seraient « naturelles » et omniprésentes, pour fonder son argumentation sur le nécessaire combat pour affranchir les personnes des « discriminations de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation » (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ONU, 1966).
On voit aisément que cette liste n’est pas une liste de faits « naturels » dont on chercherait à limiter la nuisance, mais bien une liste de pratiques politiques et sociales illégitimes, ancrées dans des idéologies fausses ou mensongères exploitées à des fins de domination et d’oppression.
Il focalise sur une pratique de discrimination aussi peu « évidente » qu’omniprésente, quotidienne et trop souvent perçue comme normale, ou, on y revient, « naturelle », la discrimination par la langue.
Il montre ainsi qu’un certain modèle linguistique et langagier, le monolinguisme auto légitimé par l’hégémonie sur les pratiques scolaires, administratives, d’embauche, de qualification, d’accès à l’espace public, participe de la gestion sociale des personnes et des populations réussissant le tour de force de transformer des aptitudes potentiellement plus productives et intelligentes, le plurilinguisme, l’aptitude aux « code-switching », la mobilité et la fluidité en handicaps socio culturels.
Il montre très concrètement ce phénomène autour de nombre d’observations cliniques. Par exemple l’observation d’enseignants monolingues qu’un élève plurilingue comprend fort bien, mais qui eux affectent de ne pas le comprendre, au nom de variations phonétiques en réalité sans fonctionnalité de signification, pour lui attribuer à lui un handicap communicationnel, qui est en fait le leur.
Il fait apparaître, suivant ainsi de nombreux linguistes qui ont décrit à d’autres époques et en d’autres lieux ce phénomène qui semble désespérément « sans histoire », le purisme comme une idéologie linguistique, agglomérant de faux savoirs en une doctrine disparate et arbitraire, à l’origine de pratiques d’arbitraire linguistiques et stylistiques d’autant plus efficaces que l’observation rationnelle et objective de la réalité de la langue et des usages langagiers ne fournit aucun indice ou repère pour prévoir ce que peut être « la norme » autoproclamée du monolinguisme minoritaire et dominant.
L’ouvrage donne aussi un aperçu de l’ignorance généralisée par l’institution scolaire et par les politiques éducatives de la réalité linguistique de la France contemporaine.
En effet, de même que dans de nombreux pays, la plupart des locuteurs sont dès le plus jeune âge bilingues ou trilingues ; sans que cette richesse, dont l’origine est dans les histoires personnelles et familiales, les migrations, l’enracinement régional et social, soit jamais reconnue et valorisée. Bien au contraire, elle est utilisée à des fins discriminatoires, notamment depuis que l’effarante théorie des « niveaux » ou « registres » de langue hiérarchise socialement les pratiques linguistiques par situation, habillant la construction de l’ordre social par un souci de « pédagogie » et « d’éducation ». Ainsi la domination sociale est enseignée sous couvert d’une fausse grammaire et d’une lexicologie autoritaire et bornée.
L’ouvrage est souvent très concret, donnant à lire la grande violence de cette autorité linguistique qui a pour elle beaucoup de force, au point qu’on la prend trop souvent pour une évidence, un a priori de la vie quotidienne au point… d’en être inconscient. Ainsi l’une des discriminations les plus répandues est aussi l’une des moins nommées et les moins combattues.
J’espère que l’ouvrage de Philippe Blanchet aura beaucoup de lecteurs, et qu’il aidera beaucoup de citoyens à mieux comprendre et à modifier leur éthique et leur pragmatique de la communication courante, comme aussi de la pédagogie et l’éducation.
Peut-être aussi la grande pertinence de ce point de vue dans le débat public contribuera-t-elle à un intérêt plus large de nos concitoyens pour la sociolinguistique.